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La
plupart des commentateurs et des observateurs de la vie politique
française s'accordent à dire que la droite parlementaire est
engagée dans un processus de « droitisation »,
amorcé par le président-candidat Nicolas Sarkozy dans
l'entre-deux tours des élections présidentielles,
destiné à reconquérir le vote des électeurs du
Front national (FN). Cette évolution est illustrée notamment
par l'appel du pied explicite de Nadine Morano aux
électeurs frontistes ou le désistement du candidat de l'Union
pour un Mouvement Populaire (UMP) en faveur du candidat du FN arrivé
en tête dans certaines circonscriptions emblématiques.
Ces
mouvements de tranchée conduisent à s'interroger sur la
question de la proximité voire de la porosité des «
valeurs ». D'autant plus que, dans le même temps,
l'état-major parisien de l'UMP refuse toute idée et projet
d'alliance avec le parti de Marine Le Pen tandis que près de 64% des
militants UMP se disent quant à eux favorables à un tel
rapprochement. Cette situation n'est guère tenable à terme et
est sans doute le prélude à une recomposition de la droite que
Marine Le Pen appelle de ses voeux, à
condition qu'elle se fasse autour de son parti.
Dans
ce contexte, il nous apparaît primordial aujourd'hui de nous interroger
sur les fondements idéologiques du discours du Front national, ne
serait-ce que pour évaluer le sens, l'opportunité et
l'efficacité d'un tel rapprochement entre une droite dite
républicaine et une droite qualifiée d'extrême.
Le fait le plus marquant dans le discours du Front national est sans nul
doute sa critique radicale et virulente du libéralisme, plus souvent
qualifié d'« ultralibéralisme », ce qui la conduit
à s'attaquer à la mondialisation (rebaptisée «
mondialisme ») et aux marchés financiers pour prôner un
retour au protectionnisme, une sortie de l'euro, une fermeture des
frontières et une préférence nationale.
Ce positionnement conduit Marine Le Pen à considérer tous ses
ennemis comme des traîtres à la nation et à se
présenter comme l'unique défenseur de la patrie. Alors que les
libéraux de ce pays peinent à se retrouver sur
l'échiquier politique national et que le courant libéral au
sein de l'UMP trouve difficilement sa place, les ténors du FN voient
des libéraux partout: Sarkozy était le président
libéral à abattre, le Parti socialiste (PS) est libéral,
l'Europe est libérale.
Comble de cette paranoïa singulière, même le front de
gauche et l'extrême-gauche – foncièrement anticapitalistes
et antilibéraux – sont taxés d'agents du péril
libéral et mondialiste: en étant favorables à la
régularisation massive des sans-papiers et à une immigration
sans limite, ils seraient les complices objectifs du grand patronat, qui
profiterait ainsi d'une main-d'oeuvre bon
marché et corvéable à merci faisant concurrence aux
travailleurs nationaux.
Ainsi,
dans sa posture antilibérale, le discours du Front national se
réfère fondamentalement aux théories et
idéologies socialistes qui conduisent à préférer
l'État-providence à l'État-gendarme cher aux
libéraux. Le seul point qui le différencie des partis de gauche
est son caractère nationaliste, illustrée par la «
préférence nationale », qui ne manque pas de nourrir les
réflexes xénophobes parmi les plus fragiles qui se sentent
menacés par l'étranger. Dans cette optique, la seule
façon de préserver le modèle social français,
fondé sur un État-providence volontariste et
généreux, c'est de le réserver aux seuls nationaux. Ce
discours rejoint en tout point les théories national-socialistes
des années 1930 fondées sur la fermeture des nations au nom de
l'intérêt de la patrie et de la préservation du
modèle social.
On connait aujourd'hui tous les malheurs dans lesquels nous ont
entraînés ces discours par le passé. De plus, on se doit
de souligner que le discours libéral est à l'exact
opposé des thèses frontistes. Au lieu de prôner la
fermeture et le repli sur ses frontières au nom de la
préservation de l'État-providence, le libéral
préfèrera la réforme de l'État-providence au nom
de la préservation de l'ouverture au monde qui est un acquis de
l'après-Seconde Guerre mondiale.
La question des flux migratoires illustre particulièrement ce
débat. Ainsi, pour le Front national, les flux migratoires constituent
une menace pour notre modèle social et pour l'équilibre de nos
comptes publics. Dans un contexte de crise caractérisé par un
chômage important, les travailleurs immigrés vont concurrencer
les travailleurs nationaux, exerçant une pression à la baisse
des salaires.
De plus, en s'appuyant sur de forts prélèvements
eux-mêmes basés sur une fiscalité de nature progressive
qui répond à un souci de justice sociale (faire payer plus ceux
qui ont le plus de revenus), et finançant des dépenses sociales
et de santé réputées les plus généreuses
au monde, l'État-providence conduit à nourrir une
émigration économique (fuite des talents, expatriation des
capitaux, exilés fiscaux) dans le même temps qu'il
déclenche une immigration sociale.
La conclusion logique pour le Front national: puisqu'il n'est pas question de
remettre en question l'État-providence, et a fortiori, si l'on
veut le renforcer, alors il faut limiter les flux migratoires, notamment les
flux d'immigration. Pour un libéral, la conclusion est l'exact
inverse: puisqu'il n'est pas question de revenir sur l'ouverture des
frontières, notamment en raison d'un droit fondamental et sacré
qui est la liberté de circulation des individus, alors il faut
réformer la fiscalité et l'État-providence dans un
contexte d'économie ouverte.
Cet exemple illustre l'opposition radicale entre la philosophie
libérale et les thèses du Front national. Il y a peu de valeurs
communes entre les deux. Comment cela se traduit-il sur l'échiquier
politique français, notamment à la droite de cet
échiquier?
La recomposition de la droite est l'occasion historique de
réfléchir sur ses fondements idéologiques, ce qui lui
permettrait de trancher cette question lancinante de l'opportunité
d'un rapprochement avec le Front national incompatible avec un rapprochement avec
le centre. Elle serait aussi l'occasion de redécouvrir ses racines
libérales et donc de donner toute sa place à un courant
libéral s'appuyant sur des valeurs claires et fortes, permettant
d'évacuer tout rapprochement ou tentation d'alliance avec le Front
national.
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