Le temps qu'il nous reste.
Mes chères Contrariées, mes chers Contrariens,
« Aujourd'hui c'est le jour J, le D Day
comme disent les Anglo-Saxons. D pour Draghi bien
sûr, Mario Draghi, le Gouverneur de la Banque
Centrale Européenne (BCE).
Alors que j'écris ces lignes…Mario Draghi parle, et les tractations se poursuivent entre les
Etats pour trouver le plus petit dénominateur commun, et laisser la
marge de manœuvre nécessaire à la BCE pour imprimer des
billets à la hauteur de « juste ce qu'il faut ».
Les autorités monétaires
européennes sont désormais obligées d'intervenir. Le
problème n'étant plus de savoir s’il le faut, mais
comment le faire.
Comment le faire, en respectant le mandat de la BCE
et l'objectif allemand de maîtrise de l'inflation, qui ont une peur
panique de la création monétaire débridée depuis
l'époque de la République de Weimar qui déboucha sur
l'avènement du nazisme et la ruine de l'Allemagne.
Comment le faire, en sauvant l'euro, et en
permettant aux pays du Sud en plein marasme (avec en ligne de mire bien
entendu l'Espagne et l'Italie) de s'en sortir au mieux.
Comme nous l'avons toujours dit et
affirmé, le FESF ou le MES, les mécanismes de sauvetages
prévus, ne seront pas suffisants pour ces deux pays. Ils sont donc
fondamentalement inutiles et ne serviront pas.
Compte tenu des sommes en jeu, seule la BCE peut,
en créant de la monnaie en quantité suffisante, permettre
d'éteindre l'incendie qui menace d'emporter l'ensemble de la
construction européenne de ces 60 dernières années.
Pour le moment, les marchés donnent
crédit aux à la stratégie d'intervention massive
annoncée aujourd'hui par la Banque Centrale Européenne.
Des rachats d'obligations sans limite de montant.
Mario Draghi, en
s'appuyant sur l'article 18 des statuts de la BCE, lance un programme de
rachat d'obligations illimité sur des échéances allant
jusqu'à trois ans. Cette maturité relativement courte
recueillerait l'assentiment de notre partenaire allemand puisque cela permet
de cadrer la création monétaire dans le temps.
Le président de la Bundesbank, quant
à lui, resterait farouchement opposé à ce changement
radical de politique monétaire, et son gouverneur, Jens Weidmann, devrait démissionner dans la foulée
afin de protester contre cette décision.
Mais ce n'est pas tout, la BCE renonce
également à son statut de créancier
privilégié pour ces achats d'obligations... Ce qui signifie en
clair qu'elle accepterait de ne jamais être remboursée de ses créances...
Au bout du chemin il faudra choisir entre renflouer la BCE (qui
possède un bilan comme n'importe quelle banque), ou lui autoriser la
création monétaire pure correspondante.
En contrepartie, des conditions strictes seront
demandées aux pays qui feront appel à l'aide de la BCE (Italie
et Espagne) et l'intervention de la BCE d'une rigueur budgétaire sans
faille.
Cependant, à ce jour, les modalités
concrètes d'application de ce plan n'ont pas été
dévoilées ce qui illustre les tensions politiques toujours
à l'œuvre et que les négociations entre Etats membres semblent s'éterniser.
Une volonté, sauver l'euro.
C'est bien de cela fondamentalement qu'il s'agit.
L'objectif n'est pas de sauver la croissance. L'objectif n'est pas de sauver
l'économie, mais bel et bien de sauver la monnaie unique :
l'euro.
Les propos tenus par Maio Draghi
aujourd'hui sont sans ambiguïté:
"Comme je l'ai déjà dit, nous
ferons tout ce qu'il faut et ce sera assez. L'Euro est irréversible et
les craintes sont infondées. Je répète, infondées".
Le premier pari de la BCE est qu'en disant que
les rachats sont illimités en montant, cette simple annonce coupera
l'herbe sous le pied des spéculateurs.
C'est une bonne nouvelle car cela peut
fonctionner, même si il est fort à parier que dans les
prochaines semaines les marchés testeront la détermination des
européens.
Est-ce que ce nouveau plan de la dernière
chance peut réussir?
Oui et non.
Oui sur le court et moyen terme pour
éviter l'explosion de la monnaie unique et la faillite d'Etats
européens importants.
Non sur le long terme, dans la mesure où
le rachat d'obligations ne résoudra en aucun cas le problème
fondamental de nos économies à savoir le manque de croissance,
pour ne pas dire l'absence de croissance qui est un phénomène durable.
Mais cette décision sans nul doute
permettra au système économique de tenir certainement quelques
années de plus et nous pouvons imaginer un répit d'environ deux
à trois ans.
Cependant, pour que cela fonctionne, il faudra
voir dans quelle mesure les "conditionnalités"
imposées, disons le clairement, par nos
"amis" allemands, seront dans leur détail acceptable par nos
partenaires espagnols ou italiens.
Le principal écueil reste bien politique.
Si les politiques de rigueur exigées sont trop drastiques, elles
peuvent tout simplement politiquement être refusées. Dès
lors, de fait, cela signifiera un retour aux monnaies nationales et de facto
la reconfiguration de la zone euro. A court terme c'est le danger. A ce jour
rien ne dit que l'orgueil ibérique pourra s'accommoder d'une mise sous
tutelle de la Troïka (FMI, BCE, Union Européenne).
Y a-t-il des risques à mener une telle
politique de création monétaire?
Le risque majeur est celui bien évidemment
de l'inflation, avec à terme, si le processus de création
monétaire n'est pas maîtrisé, une hyperinflation qui peut
s'avérer catastrophique aussi bien pour les finances des Etats que
pour le pouvoir d'achat des ménages.
Il faut bien comprendre que, contrairement aux
années 70 où la mondialisation n'existait pas, où les
frontières protégeaient chaque économie nationale et
où les salaires étaient indexés sur l'inflation, la
situation a radicalement changé. Dans un monde ouvert, chaque point
d'inflation en plus vient appauvrir d'autant les peuples dont les salaires
n'évoluent plus ou très faiblement depuis maintenant plus de 10
ans.
Peut-on maîtriser ces risques?
C'est tout le pari qui est fait par les
autorités monétaires, d'abord par la FED, la Banque Centrale
Américaine qui s'est lancée depuis plusieurs années dans
une politique dite de « Quantitative Easing
» désormais imitée par la BCE.
Nombreux sont ceux qui pensent que nous entrons
dans un monde d’inflation voire d’hyperinflation.
Les forces déflationnistes à
l’œuvre restent très fortes. La mondialisation (les
délocalisations), la démassification
(le remplacement des « travailleurs » par des machines ou des
ordinateurs), le désendettement, la baisse des actifs immobiliers, la
baisse des actifs actions, le vieillissement mondial de la population, sans
même parler de l’impact d’une explosion des dettes
souveraines qui effacerait des milliards d’euros d’épargne
pour ne citer que les plus importantes.
Il ne s’agit pas de trancher le
débat aujourd’hui mais de mettre en exergue, le risque non nul
de voir le monde occidental basculer dans une déflation
sévère. Le mauvais remake des années 30 n’a pu
être évité que grâce aux interventions massives des
banques centrales.
Un arrêt des Quantitative Easing pour permettre une maîtrise de la masse
monétaire, des risques inflationnistes et des déficits aurait
pour conséquence un retour du risque déflationniste.
C’est une tendance qui se
matérialise clairement depuis le début de l'année 2012,
notamment en Europe avec la mise en œuvre de plans de rigueur de plus en
plus nombreux et aux Etats-Unis à travers l’épisode
difficile du relèvement du plafond de la dette, ou encore des derniers
chiffres macro économiques qui sont mauvais et montrent une dégradation forte de
la conjoncture économique en l'absence d'injections monétaires
supplémentaires.
Le pari des banques centrales peut donc
être résumé par la formule suivante :
Beaucoup de créations monétaires -
de fortes pressions déflationnistes = une inflation un peu plus forte
mais maîtrisée.
C'est un pari, et cela n'a jamais
été tenté. Dans l'histoire économique du monde,
quelle que soit l'époque, la création monétaire a
toujours amené les monnaies vers une valeur proche de 0.
Création monétaire
européenne sans limite mais pas sans règle.
C'est toute la subtilité de ce qui a
été annoncé aujourd'hui par le Gouverneur de la Banque
Centrale Européenne. Certes aucune limite de montant n'est
fixée, pourtant, ce n'est pas pour autant un blanc sein et une
autorisation pour faire n'importe quoi.
D'abord la création monétaire
viendra en accompagnement d'actions politiques dans les pays qui demanderont
de l'aide. Pas d'austérité, pas d'aide. Le message est clair et
limpide.
Ensuite, contrairement à ce qui a
été fait précédemment, les chiffres seront
communiqués pour certains toutes les semaines et pour d'autres
mensuellement. Ce suivi permettra d'assurer une traçabilité
quasiment en temps réel de la création monétaire en
cours et là encore on reconnaît la main allemande.
Enfin, Mario Draghi,
n'a pas souhaité baisser à nouveau les taux
d'intérêt en insistant sur le niveau relativement
élevé de l'inflation qui reste la priorité du mandat de
son institution.
Je pense que s'il y avait une manière de
sauver l'euro, sans tomber dans le risque de création monétaire
excessive, c'est la bonne méthode qui a été
trouvée. Nous pouvons nous en réjouir car c'est une bonne
nouvelle, enfin.
Néanmoins, les marchés attendaient
beaucoup, beaucoup plus "d'argent gratuit" et lorsque l'on y
regarde de plus près, rien ne dit que la stratégie annoncée
aujourd'hui par Mario Draghi sera suffisante
à terme.
Elle a beau être juste et
équilibrée, économiquement fondée, je crains que
la BCE ne soit vite dépassée, sur sa droite par les
marchés (qui détestent les conditions et les contreparties), et
sur sa gauche par des politiques démagogues qui ne souhaiteront pas
être les premiers ministres, ou les Présidents de
l'austérité.
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura aucun
moyen indolore de sortir de cette crise et que le chemin sera encore long.
Charles
SANNAT
Edito
issu du Contrarien Matin
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