|
L’annonce, en Belgique, de la
libération prochaine de Michèle Martin a fait l’effet
d’une bombe. Depuis, manifestations, vociférations et
déclarations à l’emporte-pièce se succèdent
un peu partout. Pourtant, cet événement pourrait aussi nous
inciter à une démarche plus positive : une
réflexion approfondie sur le fonctionnement de notre système
judiciaire, et sur le rôle des peines d’emprisonnement.
Les cas de Michèle Martin ou
Marc Dutroux illustrent à merveille l’ambivalence d’un
système basé sur la condamnation des criminels à une
peine de prison. Cette méthode de rétribution des crimes et
délits repose en effet sur deux justifications : d’une part la
valeur éducative de la punition, et de l’autre la protection de
la société contre le criminel enfermé. Bien
qu’employées simultanément, ces deux raisons souffrent
malheureusement de plusieurs défauts rédhibitoires, tant conceptuels
que pratiques.
Mutuellement
contradictoires
D’un point de vue conceptuel, il
y a deux problèmes majeurs. Le plus préoccupant est que les
deux justifications sont mutuellement contradictoires. Comment croire
simultanément qu’il faut protéger la
société contre le criminel et que ce dernier a la
possibilité de se réformer ? Soit on
« croit » en la possibilité qu’ont les
gens de changer, et il faut accepter l’idée qu’un Dutroux
ou qu’une Martin retrouve un jour la liberté, soit on n’accepte
pas l’éventualité d’une rédemption, et il
faut dans ce cas les condamner à perpétuité sans aucun
espoir d’être libérés un jour. Voire même
pousser le raisonnement à sa conclusion logique : exécuter
immédiatement les condamnés dès que leur culpabilité
ne fait aucun doute. Après tout, si le but est de protéger la
société, le coût d’une balle de 7,65mm sera
nettement inférieur à celui d’une pension complète
à vie.
L’écueil
du temps
Le deuxième problème
conceptuel est celui que nous appellerons, faute de mieux, le
« bornage temporel ». Il est lié à
l’idée de décider à l’avance d’un temps
d’enfermement. Evacuons un instant la question de la libération
conditionnelle, souvent mise en avant dans l’affaire Martin. Si un
tribunal condamne un prévenu à dix ans de prison, cela
signifie-t-il qu’il sera dangereux pour la société durant
dix ans, période au terme de laquelle il se sera enfin
réformé ? À l’évidence, le tribunal
serait bien en peine d’arriver à une telle conclusion. Mais
alors, la peine manque son but : même si le condamné
s’est amendé au bout de trois ans, il devra attendre sagement sa
libération sept ans plus tard. Mais si, au bout de dix ans, il
n’a toujours pas eu le « déclic », il ne
sera pas non plus question de le garder plus longtemps. Le système de
libération conditionnelle, pour humain qu’il puisse
apparaître, n’est à cet égard qu’un
raffinement du problème sans impact sur sa conclusion logique. La
libération conditionnelle ne règle pas le problème du
« bornage temporel » de la détention. Dès
lors que cette dernière s’inscrit dans un temps
déterminé à l’avance, elle ignore les
capacités d’évolution (ou de non-évolution) de
chaque individu. En maintenant les criminels trop longtemps ou pas assez
derrière les barreaux, elle manque donc au moins partiellement son
objectif de protéger la société. À ce stade, puisque
l’argument de la protection est faible, reste à savoir si
l’enfermement constitue réellement une punition. Or, là
aussi, tout coince.
Les
vertus supposées de la punition
Supposons donc, puisque nous en sommes
là, que la prison est une punition. Dans ce cas, nous n’avons
que deux possibilités :
-
soit
la punition est purement une sanction : tel délit, autant
d’années d’enfermement, point barre. Le criminel purge sa
peine, et retourne dans le monde, guéri ou non. Sans démarche
éducative ou réformatrice, cela équivaut à mettre
un « prix » sur chaque délit ou crime. Et
autrement dit, à encourager un état d’esprit qui consiste
à se dire que chacun peut faire ce qui lui plaît à
condition soit de ne pas se faire prendre, soit d’accepter la sanction.
Cette vision très inhumaine de la société n’est
manifestement pas acceptable.
-
Soit
la punition a un rôle éducatif : la peine, plus ou moins
sévère, est censée aider le criminel à prendre
conscience de l’ampleur de ses fautes et à changer sa
façon de voir le monde. Mais dans ce cas, ce dernier doit être
capable de comprendre qu’il a fait du tort à autrui, de faire
preuve d’empathie pour sa victime, et à l’avenir, de se
retenir de causer le même tort à d’autres en se rappelant
de la souffrance qu’il infligerait. Pour un psychopathe comme Marc
Dutroux, c’est peine perdue, puisque par définition le
psychopathe est incapable d’empathie. Pour le criminel moyen,
c’est également difficile, puisque par définition,
s’il a commis son crime, c’est qu’il se moquait des
conséquences pour sa victime. L’apprentissage pourra donc
être long. Et nous nous retrouvons face au problème du
« bornage de la peine » : comment
déterminer à l’avance le temps qu’il faudra au
criminel pour réfléchir sur ses actes ? Que faire
s’il a très vite compris la leçon ? Et surtout, que
faire s’il ne l’a toujours pas comprise à l’issue de
sa peine ?
L’argument de la punition souffre
donc lui aussi de sérieux défauts. Mais si la prison
n’est ni protection, ni punition, et ne peut être une
espèce d’hybride entre les deux, qu’est-elle ? Avant
même de nous aventurer à critiquer les aspects pratiques de
l’emprisonnement, nous voilà à réaliser que le
concept lui-même ne tient pas debout. Rien d’étonnant à
cela, d’ailleurs : il s’agit d’un héritage
ancien, très ancien. Depuis les milliers d’années que
nous l’utilisons, il n’a manifestement réussi ni à
protéger la société contre les criminels, ni à
favoriser l’extinction progressive de tels comportements. Ce qui nous
laisse avec une lourde question : qu’imaginer à la
place ?
|
|