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L’Histoire est d’une humeur morose, comme le
laisse transparaître sa troupe de saltimbanques qu’est la race
humaine. Ce qui est vrai pour l’individu l’est aussi pour
l’esprit de groupe. Nous connaissons tous nos moments de gloire, nos
années de bonheur et nos années sombres, des cycles à
l’intérieur d’autres cycles, et parfois même des
expériences à la fois heureuses et malheureuses.
Je réfléchirai cette semaine à
l’ouvrage de Stephen Greenblatt
intitulé The Swerve: How the World Became Modern, qui traite de
l’atmosphère régnant en Europe au début des
années 1400, et tout particulièrement de la carrière de Poggio Bracciolini, un pauvre
garçon que sa très belle écriture a su porter
jusqu’au sommet du pouvoir tout d’abord en tant que scribe du
premier Pape Jean XXIII, puis comme agent clé dans la
révélation des secrets perdus de l’Antiquité
classique. (Je m’excuse d’avance si vous avez déjà
perdu le fil de mes diatribes de la semaine)
La dépravation de la hiérarchie
ecclésiastique de l’époque médiévale et son
emprise totale sur la vie de tous les jours plus de mille ans après la
chute de l’Empire Romain, représentent les
éléments clé de la période. L’idée
née en Judée
de vouer un culte à un Dieu empli de grâce finit par
être transformée en une vile débauche fondée sur
l’accumulation de richesse et la distribution de châtiments. Poggio s’est trouvé relativement
choqué par le destin réservé à un
réformiste radical du nom de Jérôme de Prague, qui fut
persécuté pour hérésie. Lors de ses nombreux
discours tenus dans des universités des quatre coins de
l’Europe, Jérôme prêchait la subversion et
était constamment en de mauvais termes avec l’Eglise.
Vers 1415, Jérôme se rendit au Conseil de
Constance en Allemagne, où des cardinaux, des archevêques et
d’autres grands poobahs se
réunissaient pour résoudre l’un des problèmes
administratifs les plus frustrants de leur époque : le schisme qui
a opposé le pape d’Avignon au Pape de Rome. Dans l’ordre
naturel des choses, Jérôme le réformiste fut
accusé d’hérésie et se vit nommer le parfait
candidat pour une exécution sommaire. Poggio
eut la chance d’observer Jérôme défendre ses
actions et ses croyances en langue Latine devant les membres haut-placés
du Conseil, avec une éloquence encore jamais vue depuis
Cicéron. Jérôme fut finalement brûlé vif,
mais seulement après que le pouvoir héroïque de sa
rhétorique ait fait impression sur Poggio.
A Constance, le mécène de Poggio, l’antipape Jean XXIII, de son vrai nom Baltassarre Cossa, fut révoqué, et Poggio fut relevé de ses fonctions et se trouva
libre de suivre sa véritable ambition qui n’était autre
que de porter secours aux manuscrits abandonnés de la haute culture de
l’Empire Romain qui moisissaient dans les caves et greniers des
monastères du continent Européen. En toute saison, et par tout
temps, à une époque où les voies les plus praticables
n’étaient rien de plus que des sentiers muletiers, il n’a
cessé de voyager. Les moines indifférents l’ont laissé
fouiner dans leurs bibliothèques, et lorsqu’il ne pouvait se
permettre d’acheter un rouleau manuscrit poussiéreux, il le
dérobait ou le copiait laborieusement de sa belle écriture
Carolingienne.
En sauvant des ouvrages tels que la série
complète des sermons de Cicéron, les discours épicuriens
de Lucrèce (De Rerum Natura – Sur la
Nature des Choses), ainsi que la dissertation de Vitruve sur
l’architecture et celle de Frontinus sur les
aqueducs romains, il a ouvert la porte au renouveau de l’esprit humain
que nous appelons Renaissance. En observant de très près les
artéfacts des siècles qui ont précédé la
Renaissance, vous pourrez relever une longue atmosphère de
dépression, une descente de la race humaine vers le désespoir
et la pauvreté, ne disposant de rien de plus que l’Eglise pour
lui promettre des jours heureux derrière le mystère
qu’est la mort. Poggio n’était
pas le seul à s’émerveiller du monde perdu des anciens,
et la redécouverte d’un royaume d’idées
derrière les préoccupations d’une Eglise malhonnête
et corrompue finit par plonger l’Humanité dans un bain de
Lumière qui brille maintenant depuis plus de 500 ans.
Si je prends le temps de mentionner ce sujet ancien et
obscur, c’est parce que l’état d’esprit de
l’Humanité semble aujourd’hui s’assombrir à
nouveau, et pour des raisons que nous comprenons parfaitement. Entre la fonte
des deux pôles, la destruction de toute forme de vie présente
dans les océans du globe, le spectacle vulgaire des paysages
Américains recouverts de bitume et de monuments moquant tout effort
civilisé, et la longue liste d’insultes portées à
la vie, il existe beaucoup de raison de se sentir déprimé. Tout
comme les civilisations humaines apparues après la chute de
l’Empire Romain, nous sommes sur le point de perdre une grande partie
du capital humain accumulé au cours de ces 500 dernières
années et mille ans ne suffiront certainement pas à le
retrouver.
Je trouve particulièrement troublante la mainmise
que prennent actuellement les baragouinages catholiques –
personnifiés par l’orthodoxie évangélique
Républicaine des Etats du Sud – sur les esprits des
Américains. La pauvreté de ses idées ne peut être
surestimée et le manque d’opposition envers elle est une insulte
à notre héritage. Peut-être cela mènera-t-il les
Américains à nommer un Mormon comme président, puisque
cette branche particulière de l’Eglise est si immature et
ridicule qu’elle en fera certainement plus pour vaincre le fanatisme
religieux que tout essai humaniste jamais écrit – ou que des
milliers de clones de Madonna Ciccone se
déhanchant en brassière de titane dans un stade fardé
d’une multitude de projecteurs.
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