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Jean-Baptiste
Say est né à Lyon, France en 1767. Il est issu d'une vieille
famille protestante du sud de la France, qui s'est installé à
Genève puis à Paris. À l'âge de quinze ans, au
plus fort de la Révolution française, il est fortement
influencé par l’autobiographie de Benjamin Franklin, ses
principes d'économie, d'éducation et de vie morale. Il passe
également deux ans à Londres, où il apprend l'anglais et
lit La Richesse des nations
d’Adam Smith.
Comme
rédacteur en chef de la revue des
« Idéologues », La Décade philosophique, littéraire et politique,
il écrit des articles sur la philosophie sociale puis l'économie
politique de 1794 à 1799. En 1799 il est nommé au Tribunat,
où il siège au Comité des finances. Cependant
Napoléon, souhaitant mener une politique protectionniste axée
sur la guerre, l’évince du Tribunat en 1806, après la
publication du Traité
d'économie politique qui critique sa politique. Say va saisir
cette opportunité pour se lancer dans les affaires. Il monte une
entreprise de filature et se retrouve bientôt à la tête de
400 salariés.
Malgré
l'interdiction de Napoléon, le Traité
va connaître quatre éditions du vivant de Say. Thomas Jefferson le
lit dans une traduction en anglais en 1821. Il écrit alors que le
livre de Say est « plus court, plus clair et plus sain » que
La Richesse des nations. Jefferson propose
même à Say de venir enseigner à l'Université de
Virginie, mais celui-ci refuse, préférant vivre à Paris.
L’édition anglaise du Traité
restera le manuel d’économie le plus populaire aux
États-Unis jusqu'à ce qu'il soit remplacé par celui de
John Stuart Mill suite à la Guerre de Sécession.
En
1819, cherchant à diffuser sa pensée, Say inaugure le premier
enseignement d’économie politique en France au Conservatoire des
arts et métiers où il est nommé professeur. Il participe
la même année à la fondation de l’École
spéciale de commerce et d’industrie, aujourd’hui
l’ESCP-Europe. Il est nommé en 1830, professeur
d’Économie politique au Collège de France, chaire qui est
créée pour lui.
Il
correspond régulièrement avec Thomas Malthus et David Ricardo,
qu'il considère comme des amis proches, mais reste en désaccord
avec eux sur des questions fondamentales. Il meurt à Paris le 14
novembre 1832 à l'âge de soixante-cinq ans et est enterré
au Père Lachaise. Son petit-fils Léon Say, auteur du Nouveau dictionnaire
d’économie politique, sera élu à
l’Académie des sciences morales et politiques et mènera
une carrière politique comme ministre des finances de la IIIe
république (Voir Paul-Jacques Lehmann, Léon
Say ou le libéralisme assumé, Les Belles Lettres, 2010).
Say
était un grand partisan du système économique de la
concurrence, de la liberté naturelle et du gouvernement limité
d’Adam Smith. Mais il est surtout redevable à des auteurs
proches des physiocrates comme Gournay, Turgot. En outre, il fréquente
assidument le cercle des Idéologues, et lit l'abbé de
Condillac, qu’il qualifie lui-même
d’ « ingénieux ». La
valeur-utilité, la productivité de l'industrie et du commerce,
la distinction de l'entrepreneur et du capitaliste, du profit et de
l'intérêt, tout cela se trouvait déjà chez
Condillac dans
Le
commerce et le gouvernement considérés relativement l'un à
l'autre (1776). Toutefois, le génie de Say, appuyé sur
son expérience concrète des affaires, est d’avoir
appliqué ces notions à la compréhension des crises.
La loi de Say et les crises économiques
La
fameuse « la loi de Say » ou « loi des
débouchés », énoncée dan le Traité
d’économie politique, est parfois exprimée à
tort par la formule : « l'offre crée sa propre demande
». En fait, c'est John Maynard Keynes qui a énoncé cette
formule dans sa Théorie Générale.
Aujourd'hui, la plupart des économistes conviennent que Keynes a
gravement déformé la véritable signification et les
implications profondes de la loi de Say. En effet Say ne dit jamais qu'il
suffit de produire pour créer la demande. « L'homme, dit-il,
dont l'industrie s'applique à donner de la valeur aux choses en leur
créant un usage quelconque, ne peut espérer que cette valeur
sera appréciée et payée, que là où
d'autres hommes auront les moyens d'en faire l'acquisition. Ces moyens, en
quoi consistent-ils ? En d'autres valeurs, d'autres produits, fruits de leur
industrie, de leurs capitaux, de leurs terres : d'où il résulte,
quoiqu'au premier aperçu cela semble un paradoxe, que c'est la
production qui ouvre des débouchés aux produits. » Son
idée c’est donc que les nations et les personnes profitent
mutuellement de la hausse du niveau de production car elle offre des possibilités
accrues de commerce mutuellement bénéfique. L’obstacle à la richesse, selon l’auteur du Traité, n'est pas la
sous-consommation ou le manque de demande mais un déficit de
production.
Comme le souligne Ludwig von Mises, la loi de Say est venue mettre fin au XIXème siècle
aux idées fausses en économie. La première idée fausse,
c’est que l’échange serait un jeu à somme nulle et
que les uns ne pourraient s’enrichir qu’au détriment des
autres. Cette idée est très présente dans la
littérature et la philosophie classique, de Montaigne à
Voltaire, en passant par La Fontaine. Say montre au contraire que chacun a
intérêt à ce que les autres soient prospères (et
cela vaut aussi à l’échelle des nations).
De plus, l’idée
qu’il y aurait des crises de surproduction globale est également
fausse. La loi de Say, nous dit Mises, a permis de distinguer les
économistes des charlatans. La croyance de l’époque
était que les périodes récurrentes de crises
étaient dues à une pénurie de monnaie et à une
surproduction générale. Mises écrit :
« Adam Smith, dans un passage célèbre de La Richesse des nations avait
démoli le premier de ces mythes. Say s’était surtout
consacré à une réfutation du second. » (In Lord
Keynes and Law’s Say, The Freeman, 1950).
En effet, selon Say, une crise
de surproduction globale est impossible, car si une branche de
l’industrie produit plus qu’elle ne l’aurait dû, cela
profitera au reste de l’économie. Sans doute des crises sectorielles
sont possibles. Mais pour prévenir et pour réduire de tels déséquilibres
il faut intensifier et diversifier au maximum la production au lieu de la
diminuer.
Quelles leçons peut-on en
tirer pour aujourd’hui ? D’abord qu’il faut s'abstenir
de toute intervention politique. « L'équilibre, écrit
Jean-Baptiste Say, ne cesserait d'exister si les moyens de production
étaient toujours laissés à leur entière
liberté. » La réduction des impôts et des
réglementations est donc la seule politique économique
favorable à la croissance. Ensuite, il faut laisser aux entrepreneurs le
fait de rétablir la
situation en changeant leur production pour l’adapter au marché.
Cela signifie que l’innovation est une des lois fondamentales de
l’économie.
Le voile de la monnaie
Selon
notre auteur, le pouvoir d'achat est la rémunération de la fabrication
d'un produit : les salaires des ouvriers et des employés, les
rémunérations des cadres et des dirigeants, les profits du
capitaliste... C’est avec ce pouvoir d’achat que l'on peut
acheter d'autres produits. Au fond, le boulanger n'achète pas sa
viande avec de l'argent, mais avec du pain. Ainsi, écrit Say, « dans
les lieux qui produisent beaucoup, se crée la substance avec laquelle
seule on achète : je veux dire la valeur. L'argent ne remplit qu'un
office passager dans ce double échange ; et, les échanges
terminés, il se trouve toujours qu'on a payé des produits avec
des produits. Il est bon de remarquer qu'un produit terminé offre,
dès cet instant, un débouché à d'autres produits
pour tout le montant de sa valeur. »
Mises explique : « Ce
n’est pas contre de la monnaie mais en fin de compte contre
d’autres biens que s’échangent les biens, nous fait savoir
Jean-Baptiste Say : la monnaie n’est que le moyen
d’échange communément utilisé, elle ne joue
qu’un rôle d’intermédiaire ; ce que le vendeur veut
finalement obtenir en échange de biens vendus, ce sont d’autres
biens ; tout bien produit est donc en lui-même un prix, pour ainsi
dire, en terme des autres biens produits. C’est pourquoi la situation
du producteur d’un bien quelconque se trouve effectivement
améliorée par tout accroissement de la production des autres
biens. Ce qui porte tort aux intérêts du producteur d’un
article déterminé, c’est de ne pas avoir correctement
prévu la situation à venir du marché. »
Dès lors, les auteurs et politiciens
keynésiens qui accusent de tous les maux la prétendue
pénurie de monnaie et proposent l’inflation (au sens de
l’augmentation de la masse monétaire) comme panacée,
n’ont pas compris la leçon de Say. En réalité, ni
la consommation (la dépense monétaire), ni la politique
monétaire (l’inflation) ne constituent un moteur pour la
croissance. Say se range clairement du côté d’Adam Smith
sur ce point, le moteur de la croissance c’est la division du travail,
la production et l’épargne.
L’analyse libérale de la lutte des classes
D’après Say les
différentes tâches réalisées par l'entrepreneur
industriel ne permettent plus de le considérer comme un parasite. Au
contraire l’entrepreneur est aussi un producteur. En effet dit
Say, les services fournis sur le marché sont des « biens
immatériels » productifs, c’est-à-dire utiles. On ne produit jamais que de
l'utilité, et donc tous les produits sont immatériels en tant
que produits. Say a souligné le rôle essentiel joué par
l'entrepreneur dans l'activité économique et la création
de biens « immatériels », tels que les services, le
capital humain et les institutions, nécessaires à la
création de la richesse. C’est
pourquoi, le profit perçu par l'entrepreneur
rémunère ce dernier pour les tâches ainsi accomplies et
les risques encourus. Selon ce point de vue, il y a de nombreux
contributeurs à l’industrie : les propriétaires
d’usines, les entrepreneurs, les ingénieurs et les techniciens,
mais aussi les enseignants, les scientifiques et les intellectuels.
Mais
les germes d’une théorie
libérale des classes se trouvent dans la deuxième
édition du Traité
d’Économie Politique (publié d’abord en 1803). L’auteur
écrit : « Les énormes récompenses et les
avantages qui sont généralement liés à
l’emploi public avivent grandement l’ambition et la
cupidité. Ils créent une lutte violente entre ceux qui
possèdent des postes et ceux qui en souhaitent. » Et il
écrit encore « Entre les mains d’un gouvernement, une
grosse somme fait naître de fâcheuses tentations. Le public
profite rarement, je n’ose pas dire jamais, d’un trésor
dont il a fait les frais : car toute valeur, et par conséquent toute
richesse vient originairement de lui. »
La
doctrine de Jean-Baptiste Say a directement inspiré le mouvement dit
des « industrialistes ». Charles Comte (gendre de Say), Charles Dunoyer et Augustin
Thierry, vont développer une analyse de type historique et
sociale : entre ceux qui entreprennent, quelque
soit le secteur d’activité auquel ils appartiennent et de
l’autre ceux qui détiennent le pouvoir et les privilèges
- c’est à dire l’État et les classes privilégiées
qui lui sont liées, il y a une opposition irréductible. Ils posent l’existence d’un collectif
élargi « d’industriels » (au sens de Say) qui
luttent face à ceux qui veulent faire obstacle à leur activité
ou qui en vivent de façon improductive par des rentes.
Un autre disciple de Jean-Baptiste Say, Adolphe Blanqui,
qui lui succéda à la chaire d’économie politique
au Conservatoire des arts et métiers, écrit dans ce qui est
probablement la première histoire de la pensée
économique publiée en 1837 : « Dans toutes les
révolutions, il n’y a jamais eu que deux partis en
présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui
des gens qui veulent vivre du travail d’autrui… Patriciens et
plébéiens, esclaves et affranchis, guelfes et gibelins, roses
rouges et roses blanches, cavaliers et têtes rondes, libéraux et
serviles, ne sont que des variétés de la même
espèce. » (Adolphe Blanqui, Histoire de l’Économie politique en Europe depuis les
anciens jusqu’à nos jours, 1837, vol. 1, p. x.). En bref, l’histoire de toutes les
civilisations est celle du combat entre ceux qui produisent les richesses et
ceux qui les spolient et non entre les riches et les pauvres comme le pensera
Marx un peu plus tard. Dans l’histoire, ceux qui consomment les
richesses produites par les autres, sont les véritables
prédateurs de l’ordre social : ils forment des entraves
à l’industrie, dévaluent la monnaie et confisquent ainsi
l’épargne des citoyens. Puis, pour augmenter ses effectifs et
donc ses revenus, la classe politique et bureaucratique étend ses
activités tous azimuts : au nom du bien commun, elle commence à
s’occuper de l’éducation, de la santé, puis de la
vie intellectuelle et des mœurs.
En
conclusion, Jean-Baptiste Say apparait comme un précurseur sur de
nombreux points. Il a été l’un des premiers à
mettre l’accent sur l’action humaine comme clé de la
science économique, anticipant ainsi les travaux de l’école
autrichienne. Face aux crises, c’est la créativité,
c’est-à-dire la capacité des entrepreneurs à
réallouer les ressources vers des secteurs plus porteurs qui permet
d’envisager une sortie. Et s’il fallait retenir une ultime
leçon de l’œuvre du génial français,
c’est aussi celle-ci : l’entrepreneur est le meilleur ami du
pauvre.
A
lire :
Jean-Baptiste
Say, Traité
d’économie politique (1803)
G.Minart, G., Jean-Baptiste Say, Maître
et pédagogue de l'École française d'économie
politique libérale, 2005, Éditions Charles Coquelin
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