Mes chères contrariées, mes chers contrariens,
C'est Winston Churchill, le 5 mars 1946, qui rendit l'expression
populaire lors du fameux discours de Fulton (Missouri) en prononçant
une phrase restée célèbre : « De Stettin sur
la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est abattu
à travers le continent. »
Comme beaucoup d'entre nous, nous faisons partie de la
génération qui a vécu des années avec cette
réalité. Celle de la guerre froide, de la menace de la guerre
nucléaire, et bien sûr d'une Europe coupée en deux.
En 1989, nous avons assisté éberlués, heureux et
inquiets à la fois à la naissance d'un nouveau monde. Celui,
au-delà de la réunification allemande, de la
réunification de l'Europe.
Pourtant, pourtant, au moment où nous parlons, en 2012, un nouveau
rideau de fer s'est abattu sur notre vieux continent. Ce n'est pas un mur
physiquement infranchissable, il n'est pas parsemé de miradors avec
des gardes en armes tirant sans sommation comme ce fut le cas jadis. Non, ce
rideau de fer est financier.
L'Europe est coupée en deux. Les pays du Sud d'un
côté, ceux du Nord de l'autre. Les riches et les pauvres.
Voilà la nouvelle Europe. Non pas celle que des élites décorrélées de la vraie vie tentent
désespérément de vendre aux peuples, mais celle de la
vraie vie.
Nigel Farage, le leader d'un parti
plutôt à droite en Angleterre (sans être pour autant un
fasciste), profondément nationaliste et patriote, partisan
acharné de l'État-nation, est accessoirement l'un des seuls
députés européens à faire quelques interventions
remarquées et remarquables dans un hémicycle aussi
définitivement vide que les indemnités parlementaires sont
élevées.
Nigel Farage a dernièrement
effectué une excellente comparaison entre la construction
européenne et... l'ancienne Yougoslavie.
Voilà pour lui ce qui arrive lorsque l'on constitue des
ensembles politiques sans l'adhésion des peuples.
Sa remarque, qui semble politiquement incorrecte, est pourtant du bon
sens de base. Les eurocrates pensent ou font l'erreur de penser que l'Europe
peut se construire en dehors des peuples et uniquement grâce à
la « vision » d'une élite bien-pensante.
Or partout,
l'Europe et son idée même sont à l'agonie
Le Premier ministre britannique David Cameron envisage ni plus ni
moins un référendum qui lui permettrait éventuellement
de faire sortir le Royaume-Uni de l'Europe. Certes, il n'y est jamais
vraiment rentré mais c'est un symbole fort.
En Allemagne, Angela Merkel est
particulièrement fâchée à l'égard de notre
Normal 1er national. Pour le moment, l'Allemagne n'a rien vu des efforts de
l'Hexagone nécessaires pour rester dans le peloton de tête.
Disons-le, en réalité, pour l'Allemagne, la France est
déjà tombée du mauvais côté du rideau de
fer financier. Nous sommes un pays du Sud. Nous sommes fainéants, mais
surtout, nous manquons cruellement de courage. Cela dit, si nous sommes
honnêtes avec nous-mêmes, c'est vrai. D'ailleurs, nos
« amis » allemands le pensaient déjà en 1939. C'était
également vrai à l'époque.
Les atermoiements de notre Président ne sont jamais rien que
l'expression des hésitations d'un peuple, pris en tenaille, entre
manque de courage, illusion collective et espérances stupides.
Nous voulons croire que nous aurons des retraites. Mais il n'y a plus
assez d'argent pour les payer.
Nous voulons croire que nous aurons des soins de qualité et
gratuits pour tous, que les déserts médicaux vont
disparaître. Mais il n'y a plus assez d'argent pour les payer.
Nous voulons croire que notre épargne ne risque rien, alors
qu'elle représente l'autre côté financier de la dette de
notre pays. Mais il n'y a plus assez d'argent pour les payer, nos dettes. Ce
qui accessoirement veut dire que l'épargne des gens ne vaut
déjà théoriquement plus grand-chose.
Nous voulons croire que les chômeurs pourront continuer à
percevoir leurs allocations sans problème. Qu'elles pourront rester
sans dégressivité. Mais il n'y a plus assez d'argent pour les
payer.
Nous voulons croire qu'il faut encore plus de profs, que
l'éducation est une priorité, qu'il faut encore plus de moyens.
Pourquoi pas, mais il n'y a plus assez d'argent pour les payer.
Nous voulons croire que nous allons pouvoir continuer à
percevoir nos CAF, nos APL, nos CMU, et j'en passe et des meilleures, mais il
n'y a plus assez d'argent pour les payer.
Nous voulons croire que nous pouvons augmenter les impôts pour
financer un état providence devenu obèse, surtout ceux des
autres, ceux des plus riches... mais nous ne voulons pas voir qu'il n'y a
tout simplement plus assez de riches.
Ce constat n'est pas le mien. C'est celui de nos
« amis » allemands.
Du
désaccord franco-allemand à la
« déconstruction » européenne
L'euro est un échec. Partout en Europe, les difficultés
économiques deviennent insurmontables et menacent la stabilité
même de pays à l'histoire séculaire.
Nous voulions croire que les Grecs l'avaient bien cherché. Nous
ne sommes pas mieux.
Nous voulions croire que les Irlandais avaient un peu
exagéré sur la spéculation financière et que
leurs banques étaient trop grosses. Nous ne sommes pas mieux.
Nous voulions croire que le Portugal était un petit pays qui
n'avait rien à voir avec le nôtre. D'ailleurs, quand on est
portugais, on quitte le Portugal pour être gardien d'immeuble en France
– que mes amis portugais n'y voient rien de condescendant ou de
méprisant, bien au contraire, car je pense que nous ne sommes pas
mieux.
Nous voulions croire que les Italiens, avec leur âme latine, la
mafia et les parties fines de Berlusconi, cela n'était pas la France,
or nous ne sommes pas mieux.
Nous voulions croire que les Espagnols avaient trop abusé de la
construction et de la spéculation immobilière, en oubliant que
partout en France, nous avons globalement fait la même chose.
Ce que nous avons voulu croire est faux. Rassurant psychologiquement,
mais économiquement erroné. En économie, la
réalité vous rattrape toujours.
Mais rassurez-vous. Les Allemands souffrent de ce même
déni. Ils s'estiment bien supérieurs à nous, les autres,
ceux de l'Europe du Sud.
Le gouvernement allemand baisse ses prévisions de croissance,
de même que la Bundesbank pour qui l'Allemagne va même rentrer en
récession en 2013.
La situation sociale est dramatique en Allemagne. Les retraités
n'ont plus de retraite, donc ils retravaillent. Le nombre de pauvres
explosent, les inégalités grandissent.
L'Allemagne est également très endettée et
fondamentalement très dépendante de la croissance
économique des autres. C'est ce qui arrive lorsque tout un pays est
tourné vers l'exportation (ce que l'on appelle également une politique mercantiliste).
La semaine dernière Angela Merkel
annonçait des baisses d'impôts pour relancer la croissance en
Allemagne. En France, au même moment, le gouvernement Ayrault
augmentait les impôts... sans doute pour relancer la récession.
Les commentateurs y ont vu un télescopage de l'actualité
permettant d'illustrer la bonne santé de l'Allemagne par rapport
à notre pays.
En réalité, et à y voir de plus près, les
Allemands n'ont pas vraiment les moyens de cette baisse d'impôts.
L'Allemagne renforce son marché intérieur. Comme la Chine,
l'Allemagne souhaite faire évoluer son modèle économique
vers son marché intérieur.
Pourquoi ?
D'une part, parce qu'il n'y a plus grand-chose à attendre des
autres marchés pour de nombreuses années, la Grèce vous
montrant, avec 4 ans d'avance, l'état de notre pays à la fin du
quinquennat du Président Hollande.
D'autre part, parce que nous rentrons dans une phase de
déconstruction européenne.
Après plus de 50 ans d'avancées, la déconstruction
européenne nous semble une évidence, et pour certains une
fatalité.
Ce qui nous a réunis, aujourd'hui nous sépare.
La monnaie unique nous divise entre riches et pauvres.
Les institutions politiques de l'Europe n'ont pas su s'adapter.
La démocratie européenne n'existe pas.
Le carcan de l'euro – sans être, et loin de là, la
raison principale de la crise – rend celui-ci pour beaucoup de pays
ingérable.
Il faut bien comprendre ce qu'il se passe en Grèce. Ce pays ne
quittant pas la zone euro, il ne peut en aucun cas retrouver un peu de
compétitivité en dévaluant massivement sa monnaie.
La Grèce doit donc retrouver de la compétitivité
par l'austérité en baissant drastiquement son coût du
travail. En divisant les salaires par plus de deux en cinq ans, c'est
exactement ce qui passe, sans pour autant d'ailleurs déchaîner
les investissements étrangers... qui se font encore attendre.
Ce qui a été possible en Grèce et avec les
difficultés que l'on sait, sans oublier que l'austérité
là-bas atteint les limites du supportable, ne le sera pas en Italie,
ni en Espagne et encore moins en France.
L'Europe se rapproche à grand pas du chaos social et ne pourra
pas survivre sous cette forme-là.
Je pense qu'en baissant les impôts, après avoir
d'ailleurs l'année dernière augmenté les salaires, la
chancelière allemande prépare en réalité
l'Allemagne à une déconstruction européenne et à
un fonctionnement plus autarcique de nos économies respectives.
Les communistes n'ont jamais réglé les problèmes
du communisme par plus de communisme, et ce n'est pas faute d'avoir
persévéré dans l'erreur pendant plus de soixante-dix
ans.
De la même façon et avec le même raisonnement, on
peut annoncer sans trop risquer de se tromper à long terme, que nous
ne règlerons pas les problèmes de la dette avec plus de dettes,
ou encore les problèmes de l'Europe avec plus d'Europe.
Lorsque notre Président nous déclare qu'il est favorable
à une Europe à plusieurs vitesses, il faut bien comprendre ce
que cela veut dire : l'Europe telle que nous la connaissons est morte.
Reste à savoir quand et comment elle sera reconfigurée.
Ce qui est sûr, c'est qu'à nouveau un rideau de fer s'est
abattu sur nous.
Charles
SANNAT.
Directeur de la recherche économique, Aucoffre.com
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