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Commençons
par un exemple aussi simple que possible et prenons, à l'instar de
Bastiat, celui d'une vitre brisée.
Un
jeune vaurien lance une brique contre la devanture d'un boulanger. Celui-ci
furieux sort de sa boutique. Mais le gamin s'est enfui. La foule s'amasse et
d'abord considère avec une béate satisfaction le grand trou
fait dans la fenêtre et les morceaux de vitre qui parsèment
pains et gâteaux. Après un moment, voici que naît le
besoin d'un peu de réflexion philosophique. A peu près
sûrement, quelques personnes dans la foule se disent entre elles, ou
même disent au boulanger : « Après tout ce petit malheur a
son bon côté, cela va donner du travail au vitrier. » Et,
partant de là, elles commencent à réfléchir
à la question. Combien peut coûter une grande glace comme
celle-là aujourd'hui ? 50 dollars ? C'est une somme. Mais après
tout, s'il n'y avait jamais de carreaux cassés, que deviendraient les
vitriers ? Et à partir de ce moment, la chaîne des raisonnements
se déroule sans fin. Le marchand de vitres va avoir cinquante dollars
de plus dans sa poche. Il les dépensera chez d'autres marchands, et
ceux-ci à leur tour auront cinquante dollars à dépenser
chez d'autres, et ainsi de suite à l'infini. La vitre brisée va
donc ainsi devenir une source d'argent et de travail dans des cercles sans
cesse élargis. Et la conclusion logique de tout ceci devrait
être — si la foule voulait bien la tirer — que le petit
vaurien qui a lancé la brique, loin d'être un danger public, fut
un bienfaiteur public.
Mais
voyons un autre aspect des choses. La foule a certainement au moins raison en
ce qui concerne cette première conclusion. Ce petit acte de vandalisme
va certes tout d'abord apporter du travail à quelque vitrier. Et le
vitrier ne sera pas plus triste d'apprendre cet accident que l'entrepreneur
de pompes funèbres ne l'est d'apprendre un décès.
Mais
le boutiquier, lui, va perdre cinquante dollars qu'il avait affectés
à l'achat d'un nouveau vêtement. Et puisqu'il doit faire
remplacer la glace de sa vitrine, il va devoir se passer de son complet (ou
de quelque autre objet dont il a besoin). Au lieu de posséder une
vitrine et cinquante dollars, il n'a plus maintenant qu'une vitrine. Ou bien il
avait décidé d'acheter son vêtement cet après-midi
même, et alors au lieu d'avoir une fenêtre et un vêtement,
il lui faut se contenter de sa fenêtre sans son vêtement. Et si
nous pensons à lui en tant qu'élément de la
société, nous voyons que la dite société a perdu
un nouveau vêtement qui eût pu être produit et qu'elle est
appauvrie d'autant.
En
résumé, le gain en travail du vitrier est tout bonnement la
perte en travail du tailleur. Aucun nouveau travail n'a été
créé. Les bonnes gens de la foule n'ont pensé
qu'à deux éléments du problème : le boulanger et
le vitrier. Ils n'ont pas eu conscience qu'un troisième y était
inclus : le tailleur. Et ils l'ont oublié tout simplement parce que
celui-ci n'est pas entré en scène. Dans un jour ou deux, ils
remarqueront la nouvelle vitre, mais ils ne verront jamais le beau
vêtement neuf, tout simplement parce qu'il ne sera jamais fait. Ils
n'aperçoivent donc seulement que ce qui est immédiatement
perceptible à leurs yeux.
Remerciements : Hervé de Quengo, et traduction par
Mme Gaëtan Pirou
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