Ceux qui gravitent dans la sphère économique
ont dû transpirer la semaine dernière, lorsqu’était
publié un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie
basée à Paris stipulant que les Etats-Unis prendraient
bientôt la place de l’Arabie Saoudite en tant que premier
producteur mondial de pétrole pour atteindre leur nirvana
d’indépendance énergétique qu’ils nous ont
tant fait miroiter. Aux Etats-Unis, la nouvelle a été
accueillie avec jubilation. Bienvenue dans un monde où le pic de la
crédulité rencontre le pic de l’ânerie.
Nous savons depuis un moment que les autorités de
nombreux domaines – politique, économie, business et
médias – s’efforcent de maintenir l’illusion que les
Etats-Unis sont capables, bien qu’à grand peine, de maintenir en
place leur mode de vie. Par la faute des élites, le divorce entre
vérité et réalité est quasi-total. Le
système financier ne fonctionne aujourd’hui plus que par la
fraude comptable. Le gouvernement n’est maintenu en place que par ce
qu’il lui reste d’outils statistiques frauduleux. Le commerce du
gaz et du pétrole fonctionne sur le dos de la fraude des relations
publiques. Quant aux médias, ils survivent grâce au désir
incompréhensible des masses à croire en tous les mensonges qui
leurs sont débités quant à leur capacité future
à maintenir leur petit confort moderne.
A partir de 2005, il a été
répété de nombreuses fois que les nappes de
pétrole du Nord-Dakota, du Texas, de Louisiane, de Pennsylvanie, de
New York et de l’Ohio permettraient aux Américains de conduire
jusqu’au WalMart le plus proche
jusqu’à la fin des temps. Etonnamment, le pic du pétrole
était atteint cette même année.
Il arrive parfois que les renseignements concernant la
production de pétrole et de gaz soient si abstrus que les
éditeurs du New York Times, de Bloomberg News Services, de CNN et
d’autres géants des médias avalent tout cru les rapports
de l’AIE, et qu’une nation affligée par le doute quant
à son futur parte en vacances l’esprit en fête –
nous deviendrons bientôt numéro 1, notre futur est
garanti ! Qu’ils passent un bon Thanksgiving et un joyeux
Noël… J’espère qu’ils seront prêts
à dessoûler en 2013. Lorsque la vérité viendra
finalement à éclater au beau milieu de ce marasme de
cachoteries, la déception sera terrible.
C’est pourquoi l’histoire des nappes de
pétrole des Etats-Unis n’est en rien un changement de donne,
comme le pensent les plus crédules : la somme requise pour
extraire ce pétrole du sol (80 à 90 dollars par baril) portera
grandement atteinte à l’économie Américaine. Et
puisque les prix sont déjà si élevés,
l’économie en souffre déjà. La conséquence
en sera une économie en contraction plus ou moins permanente. Comme la
demande en pétrole décline parallèlement à
l’économie, le prix du pétrole chute – et il
continuera de chuter jusqu’à tomber en-deçà du
prix qui rendrait son extraction rentable.
A mesure que l’économie se contracte et que
la croissance économique dont aurait besoin notre système
disparaît, les problèmes auxquels fait face le monde des
finances et de la banque ne font que s’aggraver. Tout ceci est
principalement dû au fait que la monnaie, qui a jusqu’alors
été empruntée, ne peut plus être
remboursée. Les emprunts font l’un après l’autre
l’objet de défauts. Les gouvernements jouent des jeux dangereux
avec l’argent public – ainsi qu’avec la
‘monnaie’ qu’ils créent à partir de rien
– et l’utilisent pour soutenir les banques. Et rien de tout cela
ne règle le problème d’une quantité insuffisante
de monnaie réelle dans l’économie. Les
conséquences de ces pitreries désespérées ne
seront autres qu’une détérioration de la formation de
capital, c’est-à-dire d’un échec à
créer du capital nouveau. L’absence de formation de capital, en
parallèle à l’impossibilité pour les gouvernements
à rembourser leurs dettes, entraîne une pénurie du
crédit, tout particulièrement pour les entreprises qui en ont
besoin en quantités énormes pour mener à bien des
opérations coûteuses telles que l’extraction de gaz et de
pétrole de schiste.
Le gaz et le pétrole de schiste ont des
propriétés quelque peu problématiques. Creuser un puits
de pétrole peut coûter entre 6 et 8 millions de dollars, et
chaque puits est rapidement épuisé. Les puits du champ de Bakken, dans le Nord du Dakota, sont
généralement épuisés à hauteur de 40%
après un an. Le pétrole n’est pas distribué de
manière égale dans les nappes, et il existe des endroits plus
riches en pétrole que d’autres. Les gisements les plus
importants ont été épuisés les premiers, et la
qualité des sites d’extraction potentielle qu’il reste
aujourd’hui est sur le déclin. La tendance actuelle
présente un déclin de 25% de la productivité des
nouveaux puits au cours de leur première année
d’activité.
Il existe plus de 4300 puits de pétrole au Nord du
Dakota, qui produisent environs 610.000 barils par jour. Afin de maintenir un
tel niveau de production, le nombre de puits devra augmenter à un
rythme bien plus rapide qu’auparavant. C’est ce que l’on
appelle le ‘syndrome de la Reine Rouge’, qui fait allusion au
personnage d’Alice au Pays des Merveilles qui a déclaré
devoir courir toujours plus vite pour rester où elle se trouve. Le
problème de la formation de capital attend patiemment en
arrière-plan, et fera qu’il n’y aura tôt ou tard
plus assez de capital pour construire de nouveaux puits et maintenir la
production aux niveaux actuels. En d’autres termes, le pétrole
de schiste est une pyramide de Ponzi. La situation
d’Eagle Fort, au Texas, est très
similaire.
Je n’ai pas fait mention des effets du forage sur
les nappes phréatiques, et ne m’y aventurerai pas. Disons juste
qu’ils s’ajoutent encore au problème.
En matière de prix, on neut
mettre dans le même sac le gaz de schiste et le pétrole de
schiste. L’extraction intensive de gaz de schiste a
entraîné une surabondance, ce qui a fait passer son prix de 13
dollars l’unité (1000 mpc) à 2
dollars en début d’année. A un tel prix, il n’est
plus rentable de forer et d’en extraire plus. Cet effondrement de prix
a eu de nombreuses retombées pour les compagnies
spécialisées dans le domaine, bien que leurs clients en aient
fortement bénéficié. Une importante quantité de
matériel de forage a été retirée de la
région du Nord du Dakota. Bientôt, il y aura moins de gaz
disponible, et son prix augmentera de nouveau. Il devra franchir la barre des
8 dollars l’unité pour que les sociétés
recommencent à en extraire. Mais comme c’est souvent le cas pour
ce type de correction, son prix passera certainement bien au-dessus de 8
dollars, ce qui le rendra impayable pour une majorité de clients. Sa
volatilité seule rend la production de gaz de schiste impossible
à stabiliser. Oubliez donc tout ce que vous avez entendu au sujet du
futur des Etats-Unis comme exportateur de gaz.
Vous avez certainement compris le problème, mais
j’aimerais ajouter quelques notes supplémentaires quant à
l’idée que les Etats-Unis puissent devenir énergiquement
auto-indépendants.
- Leur production se fait désormais si lentement
à Prudhoe Bay, en
Alaska, que le fameux pipeline pourrait ne jamais être utilisé.
Si l’extraction de pétrole venait à chuter
jusqu’à atteindre un volume critique, il faudrait plus de temps
pour transporter l’or noir. Le pétrole pourrait finir par
refroidir et prendre une consistance boueuse à mesure que l’eau
qui le compose gèle – ce qui pourrait également
endommager le pipeline. Il n’y a bien entendu pas assez d’argent
disponible pour réparer un pipeline dans une région dans
laquelle il est difficile d’extraire du pétrole.
- Les pays exportateurs de pétrole (ceux qui
envoient du pétrole vers les Etats-Unis) consomment désormais
leur propre pétrole et voient leurs réserves chuter, ce qui
entraîne une diminution de leur taux d’exportation annuel. La
Chine, l’Inde et d’autres nations en cours de modernisation
profitent grandement de ce déclin de taux d’exportation.
- Je ne me suis pas attardé sur les forces
géopolitiques qui se cachent derrière la dynamique de
production de gaz et de pétrole. En voici une
intéressante : un jour viendra où les Etats-Unis auront
à employer la doctrine Monroe pour forcer le Canada à ne plus
exporter son pétrole ailleurs qu’en Amérique du Nord. Je
vous le garantis.
Voici également une prévision dont
j’ai déjà fait mention auparavant : le Japon sera la
première nation à opter consciemment pour une économie
industrielle avancée. Il n’aura aucun autre choix, ne
possédant aucune réserve de pétrole, de gaz ou encore de
charbon, et ayant perdu toute confiance en l’énergie atomique.
Il sera le premier pays à entrer dans un monde où tout sera
fait main. Les Japonais étaient déjà doués pour
cela avant 1850, et ont une brillante culture artistique –
malgré les effets qu’elle peut avoir sur la psychologie humaine.
Je ne pense pas que les Etats-Unis puissent subir une telle
transformation dans le calme. Ils sont bien trop attachés à
leur techno-narcissisme et à leur grandeur. Ce qui
m’inquiète, c’est qu’ils ne se rendront compte de la
situation que lorsqu’ils ne pourront plus rouler jusqu’au WalMart le plus proche. Etant prédisposé
à la superstition et au fanatisme religieux, le public
Américain rejettera d’un bloc science et rationalité, et
se retirera dans un bien sombre monde. Et ils n’en sont pas loin
aujourd’hui. Le rapport de l’AIE ne fera
qu’accélérer les choses.
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