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Pour comprendre la finance, faut il utiliser le renseignement ?

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Published : November 26th, 2012
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Category : Editorials

 

 

 

 

Longtemps, la guerre a été froide entre les grandes puissances du monde d’hier, puis elle a changé de terrain et s’est généralisée pour devenir économique ! Les domaines et techniques de l’espionnage ont suivi, l’heure est désormais au renseignement économique (pour ne pas employer de mots blessants et envoyer personne au peloton). C’est un discret secteur florissant qui soutient activement la recherche & développement et apporte sa contribution à la concurrence commerciale dans tous les domaines de l’activité économique. Mais il néglige pourtant le plus important d’entre eux : l’industrie financière si bien nommée pour la banaliser.


Jérôme Cazes, un ancien dirigeant de la COFACE – l’assureur public français du commerce international privé – s’est demandé pourquoi, à l’occasion de la dernière « Journée nationale de l’intelligence économique » qui s’est tenue à l’École Polytechnique. Son explication tient en peu de mots : « c’est un monde en vase clos ». Cela permet de facilement repérer l’intrus, mais rend surtout inutile la circulation de l’information un peu particulière dont le renseignement économique est à l’origine. Travaillant en permanence entre elles, faisant appel à des cadres qui passent de l’un à l’autre et se connaissent bien, les banques ont au bout du compte peu à apprendre les unes sur les autres, si ce n’est très factuellement.


Aussi, quand elles refusent à se faire crédit entre elles, bloquant un marché interbancaire qui est aussi vital pour elles que la circulation du sang l’est dans l’organisme, ce n’est pas parce qu’elles s’interrogent sur la situation de leurs consoeurs, mais au contraire parce qu’elles la connaissent : les meilleurs analystes du secteur bancaire sont ceux des banques elles-mêmes.


Sans doute pourraient-ils exercer leurs talents dans un domaine où les banques ont beaucoup investi : celui de l’évaluation du risque, qui est finalement le cœur de leur métier. Mais l’histoire récente a montré qu’il règne à ce propos bien des illusions quand ce n’est pas une grande inconscience. À moins, tout simplement, que la tâche ne soit impossible, comme si l’opacité était devenue consubstantielle à la finance contemporaine, quitte à s’y prendre les pieds.


De temps en temps, une voix des plus autorisées s’élève pour explique que la mesure du risque est impossible, la dernière en date étant celle d’Andrew Haldane de la Banque d’Angleterre. D’ailleurs, l’évaluation du risque client et celui du risque banque sont deux secteurs bien séparés dans les établissements, le second s’étant un peu perdu dans les méandres des mathématiques appliquées et du calcul statistique. Mais, très vite, la vie reprend heureusement ses droits…


Que penser alors du shadow banking, ce secteur opaque qui échappe complètement à des régulateurs déjà bien dépassés, dont le Conseil de stabilité financière (FSB) estime la taille à 67 mille milliards de dollars en 2011 ? Et qui, chiffre plus impressionnant, a grossi de 5 à 6 mille milliards de dollars depuis 2010 (en 2002, il n’était que de 26 mille milliards de dollars). Voilà un terrain d’élection pour le renseignement économique !


Qui sont donc ces « intermédiaires de crédit impliquant des entités et des activités en dehors du système bancaire régulier », selon la définition qu’en donne le FSB, sur lesquels on voudrait tout connaître ? Hélas, au-delà d’estimations financières globales, aucune description de ce monde est accessible. Seul, le programme de travail officiel que s’est donné le FSB fournit quelques pistes, en attendant de disposer de ses conclusions. Pour patienter, nous saurons dès maintenant qu’« un système résistant d’intermédiation non bancaire de crédit serait le bienvenu ». Nous attendons des précisions !


Sont donc actuellement longuement scrutés de ce côté : des mécanismes comme l’interaction du secteur avec les banques, le refinancement ou bien le prêt de titres ; des structures comme les fonds monétaires et autres « entités » (les trop fameux hedge funds) ; et enfin des produits comme la titrisation. On retiendra le premier, car il souligne bien comment les mondes régulés et non régulés ne font qu’un, avec à la clé cette navrante conclusion : l’ensemble n’est donc pas proprement régulé !


Mais où est l’actualité la plus récente dans tout cela ? Dans la sortie que vient de faire Matthieu Pigasse, un dirigeant de la banque Lazard, considéré comme proche du parti socialiste et anciennement de Dominique Strauss-Kahn, qui a préconisé de ne pas appliquer la réglementation Bâle III devant un forum de grandes entreprises africaines. Allant nettement plus loin que Martin Blessing, dirigeant de Commerzbank (la deuxième banque allemande), qui s’est en toute innocence inquiété de voir les banques américaines ne pas s’y engager, et a demandé de limiter leurs activités en Europe, au nom de la fameuse distorsion de concurrence. Quelle conclusion devra-t-on en tirer, si cela ne s’avère pas possible ?


Jonathan Faull, le directeur général au marché intérieur de la Commission a réagi lors des Entretiens de l’Autorité des marchés française aux propos tenus par Baudoin Prot (BNP Parisbas) et Frédéric Oudéa (Société Générale) : « je ne pense pas qu’un report aux États-Unis doive entraîner un retard ici en Europe » avait-il déclaré, en reconnaissant que « nous n’avons pas d’organisation internationale qui fasse des règles rapides et contraignantes ». Tout est là et rien n’est nouveau.


Toutes affaires cessantes, enfin, le gouvernement français a annoncé des mesures de séparation des activités de dépôt et de marché des banques. Las ! c’est avec l’objectif de prendre les devants et de créer un fait accompli afin d’en éviter des plus contraignantes, prétendant « s’inspirer » du rapport Liikanen et non pas l’appliquer. Cela a donné l’occasion au ministre des finances français de prononcer une phrase qu’il serait dommage de ne pas citer : « J’en prends l’engagement : il y aura bien un avant et un après la réforme », qui n’est pas sans nous rappeler Les mariés de la tour Eiffel de Cocteau : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur ».


Billet rédigé par François Leclerc


Son livre, Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître


Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.



 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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Conseil de lecture pour les non-initiés : "Du renseignement à l'intelligence économique" de Bernard Besson et Jean-Claude Possin, Dunod 2001.

Retenons surtout une phrase des auteurs de ce livre (reformulée par mes soins, trop la flemme de la chercher, mais je garantis le respect du sens) : "Il faut distinguer intelligence économique et espionnage. Dans le monde de l'entreprise (et de la finance), le recours à l'espionnage est un aveu de faiblesse."
En effet, si le travail de veille économique est mené correctement, 90% des informations sont trouvables dans le domaine public et permettent de reconstituer les informations tenues secrètes. S'il faut recourir à l'espionnage, alors c'est qu'il y a trop de secrets, ou un mauvais renseignement... ce qui est très nocif à l'ensemble du secteur.
La finance n'est pas une guerre nucléaire..... ou du moins je croyais vivre dans un tel monde.

L'article ci-dessus ne dit pas à quel stade nous nous trouvons, mais il semble dire implicitement que les banques s'espionnent entre elles..... donc, nous en sommes à l'aveu de faiblesse. La fin est proche.
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Conseil de lecture pour les non-initiés : "Du renseignement à l'intelligence économique" de Bernard Besson et Jean-Claude Possin, Dunod 2001. Retenons surtout une phrase des auteurs de ce livre (reformulée par mes soins, trop la flemme de la chercher, m  Read more
RalphZ - 11/26/2012 at 7:44 PM GMT
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