|
Il est tout simplement
stupéfiant de voir combien la pensée keynésienne exerce
toujours une fascination auprès de nos experts et de nos dirigeants
qui confine à l’aveuglement voire à l’hypnose.
Pourtant, Keynes a
écrit, dans les années, 30 à une époque où
l’économie mondiale était fractionnée en espaces
nationaux qui se repliaient sur eux-mêmes, alimentant une guerre
économique qui dégénéra inévitablement en
conflit armé généralisé. Hitler lui-même
s’est servi de la Théorie Générale de Keynes pour
mener à bien son entreprise de reconstruction et de relance de
l’économie allemande qu’il avait pris soin de mettre alors
en autarcie. D’ailleurs, Keynes écrit en 1936, dans la
préface de l’édition allemande de sa Théorie
Générale : « Il va
sans dire que la théorie de la production dans son ensemble, que ce
livre cherche à présenter, s’adapte beaucoup mieux aux
conditions d’un Etat totalitaire, que ne le fait la théorie de
la production et de la répartition d’une production
donnée, avec en plus une large dose de laissez-faire » [1]. Il va sans dire… mais cela va mieux
en le disant franchement ! D’ailleurs, dans un élan
aristocratique, Keynes méprisait la démocratie. Dans sa
correspondance avec Hayek, il écrira à propos de la
liberté : « Je pense que
la bonne solution viendra d’éléments intellectuels et
scientifiques qui doivent être au-dessus des têtes de la grande
masse d’électeurs plus ou moins illettrés ».
Comme si cela ne
suffisait pas à discréditer la théorie
keynésienne, il faut ajouter que celle-ci n’est valide que sous
certaines hypothèses aussi précises que restrictives. Keynes ne se préoccupait que du
court-terme, se focalisant sur la relance de la consommation parce
qu’il considérait que l’offre était donnée
(ce qui est normal à court-terme) et sous-employée. Keynes raisonnait aussi en
économie fermée, ce qui était la réalité
de son époque. Enfin, Keynes n’a pas pris en compte le
changement technologique puisque les technologies sont
considérées comme figées à court-terme.
Evidemment,
aujourd’hui - mais c’est vrai depuis 1945 avec la mise en place
du GATT et du FMI et il faut être aveugle pour ne pas le voir -
l’économie est ouverte, et le changement technologique est
incessant. De plus, l’addition
des court-termes ne fait pas du long-terme. Alors pour bien comprendre le
moteur de la croissance durable à long-terme, il faut avoir une
optique différente du schéma keynésien et qui est celle
qui a été privilégiée par la macro-dynamique,
dont les bases essentielles ont été posées et
exposées par Robert Solow dans les années 60 [2]. Pourtant,
Solow lui-même n’échappait pas au conditionnement
keynésien qui était dominant dans le monde académique de
l’époque. Et il faudra attendre Milton Friedman, et l’école
de Chicago, pour mieux comprendre toutes les implications de la
théorie dynamique de la croissance, notamment en termes de politiques
structurelles de croissance.
Mais nous sommes
carrément passés à côté de cette
révolution intellectuelle majeure qui a porté au pouvoir Reagan
aux Etats-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne dans les années 80. Il
faut se souvenir de la situation des USA dans les années 70 (on
glosait en Europe sur le déclin américain) et aussi de la
Grande-Bretagne convoquée devant le FMI pour constater la cessation de
paiement de l’Etat britannique.
Chez nous, les
socialistes s’installaient aux commandes avec le projet de «
rompre avec le capitalisme » avec les conseils avisés d’un
certain Attali, chantre des nationalisations, récemment remis en place
par Nicolas Sarkozy.
Il faut dire que, dans les années 60,
tous nos économistes – et l’université en
général qui forme les chercheurs – étaient
marxistes pendant que les universités américaines posaient les
fondements des théories de la croissance. Et Milton Friedman - et ses « Chicago Boys » comme
ils furent vulgairement moqués par nos intellectuels forcément
supérieurs - c’était le diable ultralibéral en
personne vu de l’hexagone rose et rouge. Alors, pas question de
l’enseigner dans nos universités.
Lionel Jospin, qui fut
notre premier ministre, a signé en 1974 un opuscule à
l’usage des jeunes militants du PS dans lequel il est recommandé
de lire expressément Marx, Engels, Gramsci, Rosa Luxembourg,
Lénine et Mao… Que de grands économistes qui ont
apporté prospérité et rayonnement à leur peuple !
Bien-sûr, avec
l’effondrement de l’U.R.S.S., quand il s’est
avéré que l’expérience communiste était un
désastre non seulement économique, mais aussi social et humain,
nos penseurs officiels et nos experts en économie, à peine
gênés, sont donc devenus keynésiens. Mais Keynes
était déjà depuis longtemps dépassé et ils
étaient en retard d’une révolution majeure. Sans doute
attendent-ils aujourd’hui la faillite (proche) de l’Etat-providence
pour se convertir au libéralisme. Il ne faut pas rêver car ils
iront plutôt attribuer la catastrophe annoncée aux ravages de la
mondialisation libérale.
Dans l’histoire
des idées, les grands penseurs, souvent bien seuls, ouvrent toujours
la voie tandis que les autres, beaucoup plus nombreux, courent
désespérément après des évènements
qu’ils sont incapables de comprendre. Bien-sûr, pour ces
derniers, ce n’est pas leur théorie qui est fausse, c’est
le monde qui est fou et donc incompréhensible.
[1] Gérard
Marie Henry [1997], Keynes, Edition
Armand Colin, Paris, page 7.
[2] Robert Solow est
professeur d’économie au M.I.T. et a reçu en 1987 le prix
Nobel d’économie pour ses travaux académiques sur la
croissance. C’est le cours principal que j’enseigne à mes étudiants
depuis près de 20 ans.
|
|