Mes chères contrariées, mes chers contrariens !
Comme vous ne pouvez pas l’ignorer, l’économie
américaine va bien. Elle va même de mieux en mieux. En tout cas,
c’est ce que l’on veut absolument vous faire croire.
Autodéfense
intellectuelle
Autre chose. J’aime bien le terme d’autodéfense
intellectuelle, ou comment se protéger des aléas de la
communication que nous subissons (pour rester politiquement correct et ne pas
aborder le sujet de la manipulation des masses, appelée pudiquement et
fort joliment par un grand monsieur Noam
Chomsky : la fabrication du consentement).
Il faut partir du principe qu’à part les lecteurs du Contrarien Matin qui ont le courage de nous lire
quotidiennement et en entier, l’écrasante majorité des
gens ne lit au mieux que les gros titres… et encore quand ils lisent.
Lire est fatiguant, lire demande un effort, lire fait
réfléchir, et lorsque l’on rentre d’une
journée de travail harassante, rien ne vaut pour croire
délasser son esprit une bonne série télé avec des
Experts machins en train de découper des cadavres retrouvés
dans les endroits les plus improbables. Avez-vous remarqué que
dorénavant, chaque série dispose de son médecin
légiste ? Mais bon, ce n’est pas le sujet.
Non, le sujet c’est la différence bien souvent entre un
titre qui véhicule en lui-même l’essentiel du message que
l’article est chargé de développer. Et là, on
découvre régulièrement que le titre et l’article
véhiculent des informations radicalement différentes.
En gros, il y aurait désormais deux catégories de gens.
Ceux les plus nombreux qui ne lisent que les gros titres (quand ils lisent)
et ceux qui font l’effort de tout lire et qui ont droit à une
information plus juste ou moins mensongère.
Un exemple que je trouve assez symptomatique nous est encore
livré aujourd’hui par l’Agence France-Presse qui titre sur
l’économie américaine :
« États-Unis
la croissance économique s'est nettement
accélérée pendant l'été »
Donc là je me dis, oh là, là, la tuile. Moi qui
ne crois pas à tout ça et qui ai investi tous les sous du
ménage dans des pièces d’or, je vais me prendre de ces
coups de rouleau à pâtisserie monumentaux par ma femme (je vous
rappelle que le chef, c’est elle) si ses économies perdent de la
valeur. Alors je me dis, je vais revendre tout de suite cet or, l’or ne
rapporte rien, il ne sert à rien, et si en plus la croissance
s’accélère aux États-Unis, c’est sûr,
c’est la fin de la crise, en plus Hollande l’a dit aussi.
Ça fait beaucoup trop de bonnes nouvelles d’un coup, en plus ils
ont définitivement resauvé pour
toujours la Grèce… alors…
Alors je lis quand même le reste, on ne sait jamais.
Après tout, peut-être qu’il me reste un espoir que tout
s’effondre, que tout le monde souffre le martyr (c’est du second
degré ironique bien sûr), que tout le monde meurt de faim, sauf
nous, les possesseurs prévoyant d’or agrippés à
nos cassettes, tentant désespérément de protéger
notre « trésor » d’un monde en plein
chaos.
Donc là, dès la première phrase, mon moral remonte
en flèche, et celui de ma femme aussi.
« La croissance économique des États-Unis
s'est nettement accélérée au troisième trimestre
mais ses bases se sont effritées, selon la nouvelle estimation
officielle du PIB américain de l'été publiée
jeudi à Washington. »
Alors là… c’est génial. La croissance est
bien plus forte, bien meilleure… mais ses bases sont moisies. Ouf, me
voilà rassuré sur le principe général.
L’AFP poursuit dans son style très personnel :
« De juillet à septembre, la progression du produit
intérieur brut du pays par rapport au trimestre
précédent a atteint 2,7 % en rythme annualisé, son
niveau le plus fort depuis le début de l'année, a
indiqué le département du Commerce. »
La montagne russe. Mon moral s’effrite à nouveau, comme
les bases de la croissance du paragraphe précédent. Mince
alors. 2,7 % !! C’est énorme. Bon, je me rassure comme je
peux en me disant qu’ils ont encore fait 10 % de déficit sur
leur PIB pour faire une croissance énorme de 2,7 % et que cela nous
laisse un bon - 7,3 % de création de richesses en fait. Mais imaginez
que ça continue à accélérer tout ça. On
pourrait ne plus être à l’abri d’une bonne nouvelle.
Et mes pièces d’or dans tout ça ? Enfin…
celles de ma femme et de son rouleau à pâtisserie.
Alors l’AFP veut m’achever en disant :
« Le ministère a revu en hausse de 0,7 point le taux
de croissance estival qu'il avait publié fin octobre. Les analystes
attendaient une révision un peu plus forte : leur estimation
médiane donnait la hausse du PIB américain du troisième
trimestre à 2,8 %. »
« Au deuxième trimestre, la première
économie mondiale avait crû officiellement de 1,3 %. »
Mais heureusement là je vais définitivement
éviter les coups de rouleau à pâtisserie de ma
chère et tendre épouse car on apprend que :
« Si l'amélioration de la croissance est très
nette par rapport au trimestre précédent, les nouveaux chiffres
du ministère montrent que les bases économiques du pays sont
moins robustes qu'on pouvait le penser il y a un mois. »
« La révision du taux de croissance s'explique en
effet entièrement par les variations des stocks, ce qui ressort plus
à la comptabilité qu'à la performance économique. »
Oh les vilains américains. Ils utilisent des artifices
comptables et statistiques. Non… sans blague. Et en plus, c’est
du stockage. En clair, soit on stocke en prévision d’une forte
croissance, soit on stocke parce que l’on ne réussit pas
à vendre. À votre avis, c’est quoi la
réalité actuelle ?
« La progression de la consommation des ménages,
moteur principal de la croissance, a été revue en forte baisse,
tout comme celle des dépenses d'investissement privées, et le
ministère n'estime plus qu'à 1,7 % la hausse de la demande
intérieure finale pendant l'été, soit 0,6 point de moins
que ce qu'il avait annoncé fin octobre.
Selon les nouvelles données du gouvernement, la hausse de la
consommation des ménages a ralenti à 1,4 % pendant
l'été, son niveau le plus faible depuis le deuxième
trimestre 2011, ce qui a assuré 1,0 point de croissance au pays. »
Oh ! La consommation des ménages baisse et les chiffres
donnés auparavant sont corrigés à la baisse eux aussi.
Je ne comprends pas. Ils ne sont que 50 millions à manger grâce
aux « food stamps »…
Et si on inventait une subvention pour faire du shopping. Un
« Shopping Stamps »,
financé directement par Ben à la FED et sa planche à
billets tout frais ?
D’ailleurs, nous on l’a déjà fait en France.
Cela s’appelle la prime de rentrée scolaire. Quelques centaines
d’euros, directement dépensées dans les
supermarchés plus au rayon écran plat et
téléphonie que livres et accès à la culture, mais
c’est un autre débat.
L’AFP, dans son souci de bien nous informer, va encore plus loin
en sous-expliquant :
« La hausse des dépenses d'investissement
privées est passée officiellement de 4,5 % au printemps
à 0,7 % pendant l'été, son niveau le plus faible depuis
le premier trimestre 2011. Elles ont apporté 0,1 point de croissance
au PIB, quand la hausse des stocks en fournissait 0,8. »
Il n’y a plus d’investissements aux États-Unis. Ce
qui n’empêche pas plein de crétins de nous dire le plus
doctement possible que grâce au miracle des gaz de schistes (alors que
nous faisons l’énorme et colossale erreur de se priver de cette
manne), les USA se RÉ-IN-DUS-TRI-A-LI-SENT !!
Oui, d’après les chiffres de l’investissement, le
mouvement de réindustrialisation ne semble
pas flagrant… Mais bon, l’idée c’est de vous faire
gober le coup de l’exploitation des gaz de schistes pour qu’une
minorité puisse se faire plein de fric à titre privé, en
laissant à la collectivité le soin de financer les
dégâts environnementaux…
Et enfin l’AFP de définitivement remonter mon moral et
celui de ma femme en concluant fort habillement que :
« Le gouvernement indique enfin que la dépense
publique a progressé pour la première fois après deux
ans et demi de baisse ininterrompue, et que sa hausse de 3,5 % a
assuré 0,7 point de croissance au pays. Mais l'essentiel de cette
amélioration résulte d'un bond des dépenses en
matière de dépenses, sans équivalent depuis 1953, et qui
ne risque pas de se reproduire de sitôt vu les restrictions
budgétaires qui attendent le Pentagone. »
Ha ha, figurez-vous qu’en plus ils
dépensent encore plus d’argent qu’ils n’ont pas eux
non plus pour réussir à faire une croissance toute petite eu
égard justement aux sommes dépensées et injectées
dans l’économie.
Finalement, tout cela me laisse un goût amer. Comment peut-on
titrer : « États-Unis
la croissance économique s'est nettement
accélérée pendant l'été » alors
que le détail de ce même article explique exactement le
contraire ? Comment est-ce possible ? Comment a-t-on pu en arriver
là sans que plus personne ne réagisse à ce genre de
mensonge qui devient tout simplement la norme… de fabrication du
consentement.
Mais cela est en réalité de la manipulation. Ni plus ni
moins.
Charles SANNAT
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
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