Mes chères contrariées, mes chers contrariens !
Il y a un gros mot qui ne doit pas être prononcé ces
dernières années, car si vous en parlez, vous serez presque
immédiatement taxé d’extrémiste en
général de la droite. Il s’agit d’une valeur
totalement dénigrée un peu comme le protectionnisme sauf
qu’il s’agit de la souveraineté.
Le Larousse définit la souveraineté de la façon
suivante : c’est le « pouvoir suprême reconnu
à l'État, qui implique l'exclusivité de sa compétence
sur le territoire national (souveraineté interne) et son
indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est
limité que par ses propres engagements (souveraineté externe).
(L'article 3 de la Constitution française de 1958 dispose que "la
souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses
représentants et par la voie du référendum".) »
Lorsque l’on y pense, la démocratie ne peut
s’épanouir que dans le cadre d’une souveraineté.
Peu importe d’ailleurs en terme théorique qu’elle soit
nationale ou européenne, mais il doit y avoir expression du peuple
souverain à travers ses représentants ainsi que des
possibilités de contrôle et toutes les séparations des
pouvoirs qui font d’un état une démocratie qui, je vous
le rappelle, est le plus mauvais des systèmes… à
l’exception de tous les autres.
Bref. Une fois posé ce petit postulat sur l’idée
de souveraineté, je souhaitais revenir à l’idée de
« redressement productif ». Je m’en moque souvent
de cette idée. Je vous rassure, je ne fais pas du tout une fixation
sur notre commissaire Montebourg. Non. Au contraire, j’adore cette
histoire de redressement productif. Je pense même que c’est un
sujet d’une extrême importance pour l’avenir de notre pays.
Il ne faut
pas être naïf, nous avons organisé notre incapacité
Depuis que je suis en âge de comprendre ou en tout cas
« de mémoriser » ce qu’il se passe, je
constate que nous avons organisé, consciemment, consciencieusement,
notre incapacité politique d’une part et en ce qui nous
concerne, surtout au Contrarien Matin, notre
incapacité économique.
Il y a quelques jours, l’Europe annonçait la fin du
régime spécial de protection pour l’industrie
européenne du briquet jetable. Du briquet Bic en clair, qui va
désormais subir de plein fouet la concurrence de produits chinois
à très bas prix.
Or que constate-t-on ? D’une part, rien ne nous oblige
à nous laisser envahir par le briquet chinois ce qui a comme
conséquence directe de stopper les investissements dans les usines
Bic, donc de pénaliser notre emploi et notre production industrielle
que nous voulons, je vous le rappelle, « redresser ».
D’autre part, on se rend compte que les millions de briquets
jetables importés de Chine ne respectent tout simplement pas les
normes de sécurité françaises et européennes.
Faites tomber un briquet Bic d’une hauteur d’homme, il ne se
passera rien. Faites la même chose avec les briquets chinois et un sur
deux « explosera » au sol. Dramatique et pourtant nous
ne faisons rien.
Tous les ans, les scandales sanitaires se développent avec une
fréquence accrue autour de tous ces produits importés qui ne
respectent même pas le simple bon sens sans plus même oser parler
de normes.
Lait pour bébé tout simplement empoisonné, jouets
pour enfants tout simplement toxiques, médicaments avariés ou
sans principes actifs… C’est une liste à la
Prévert, jusqu’à la contrefaçon de pièces
détachées de voitures ou d’avions mettant en jeux la
sécurité des gens. Ni plus ni moins que la vie des gens pour un
peu plus d’argent.
Dramatique et pourtant nous ne faisons rien.
Le premier
protectionnisme est le respect des normes
Nous avons organisé notre incapacité en supprimant
volontairement nos frontières, nos douaniers, nos contrôleurs et
nos vérificateurs.
Nous pouvons supprimer les frontières au sens légal.
Nous pouvons autoriser la libre circulation des biens, des marchandises et
des hommes, sans pour autant supprimer systématiquement tout
contrôle ou toute vérification.
La première étape de notre redressement productif, en
plus d’une vision de ce qu’il doit être, c’est la
mise en place d’un maillage de contrôle serré. Plus aucune
marchandise « hors normes » ne doit rentrer sur le
territoire français. Peu importe son origine, ce n’est bien
sûr pas pour viser la Chine. Nous devons avoir une tolérance
« zéro » sur les produits présentant une
dangerosité quelconque ou un non-respect flagrant des normes
établies notamment par l’Europe et nos fameux
« NF » que tout le monde appose sans en respecter ni la
« lettre, ni l’idée ».
Nous avons des millions de chômeurs que nous indemnisons.
Recrutons 500 000 douaniers en CDD de 4 ans. Vérifions pendant 4
ans chaque container, chaque colis, chaque paquet. Nous pourrions vite,
très vite nous rendre compte que plus rien ne passe les
contrôles de normes. Dans ce cas, je vous laisse imaginer le
redressement productif de l’industrie française et
européenne…
Simple n’est-ce pas… Et pourtant nous ne faisons rien car
nous avons organisé notre incapacité.
Mettre au
pas le « monde de la finance »
Un autre exemple que je ne résiste pas à
développer est bien sûr celui des banques « too big to fail »,
les désormais célèbres « trop grosses pour
faire faillite ».
Nous les avons laissées se développer. Les
autorités politiques et les autorités de tutelles ou de contrôle
prudentielles ont tout accepté. Tout. Progressivement, elles ont tout
laissé faire.
Nous avons organisé notre incapacité. Aujourd’hui,
nous sommes dans une impasse totale avec d’un côté des
banques effectivement trop grosses pour faire faillite, mais également
trop grosses pour être sauvées.
Or nous continuons à ne rien faire. Nous en sommes incapables.
Nous devrions nationaliser l’ensemble des banques. Couper les
activités en deux. Séparer les activités de banques de
détails, qui sont indispensables à l’économie
réelle, et les activités dites de marché qui restent
essentiellement de la spéculation sans intérêt
économique autre que de la création d’argent à partir
d’argent, et interdire le trading haute
fréquence qui n’a, quant à lui, strictement aucune
justification économique.
L’Europe,
le sommet de l’incapacité
Tout au bout de la chaîne, nous avons créé
l’Europe. Encore une fois, l’Europe est une belle et noble
idée désormais totalement perdue et dévoyée.
L’Europe, c’est le « machin » absolu
de l’incapacité la plus parfaite.
Impossible de réaliser une politique cohérente à
27 pays différents.
Impossible de bâtir des protections efficaces à 27 pays
différents.
Impossible de réaliser une convergence rapide
d’économies hétérogènes à 27 pays
différents.
Impossible de mettre en place des mesures fortes et énergiques
à 27 pays différents.
Avec l’Europe, ou plus précisément avec cette
Europe-là, nous avons organisé notre incapacité totale.
Comment
sortir de la crise ? Que faire ?
Voici deux questions récurrentes que les gens me posent
souvent. Comment sortir de cette crise, que pouvons-nous faire ?
À part acheter de l’or et une maison de campagne avec
potager et poulailler, nous ne pourrons rien faire. Nous ne pourrons rien
faire car, vous l’aurez compris, nous avons décidé ces 20
dernières années d’organiser notre incapacité
totale à agir et à maîtriser notre destin collectif.
Nos hommes politiques ont depuis bien longtemps abdiqué le
pouvoir au profit d’intérêts privés et
corporatistes. La marche arrière est devenue très difficile
pour ne pas dire impossible, nous condamnant de facto tôt ou tard
à l’effondrement socio-politico-économique avec tout son
cortège de conséquences humaines dramatiques.
Reprendre
notre souveraineté économique
La sortie de l’euro préconisée par un certain
nombre de gens n’est pas une panacée. Loin de là. Elle ne
serait (la sortie de l’euro) ni une solution miracle, ni un cataclysme.
Nos problèmes ne disparaîtront pas avec un retour au franc.
Néanmoins, une sortie de l’euro serait très certainement
le premier pas vers une souveraineté retrouvée dans un cadre
national.
À votre avis, que se passe-t-il en Angleterre avec leur
débat sur la poursuite ou non de l’adhésion à
l’Europe ?
C’est en réalité ce débat sur cet indispensable
retour à la souveraineté qui est un élément
indispensable pour commencer à pouvoir envisager une sortie
éventuelle de cette crise.
Or, nous nous arc-boutons sur la monnaie unique et sur l’Europe
comme s’il en allait de notre existence même. Vous savez,
c’est l’idée que dans notre siècle des grands
ensembles économiques un petit pays ne peut plus peser.
Si vous regardez attentivement la carte du monde, les petits pays
indépendants s’en sortent objectivement beaucoup mieux et depuis
beaucoup plus longtemps que les pays qui ont décidé de
rejoindre des superstructures comme l’Europe.
Pas si loin de chez nous, l’Islande est en train de revivre. Il
faut dire que les pêcheurs islandais ont su exprimer leur
souveraineté et dire aux banques… qu’ils ne paieraient pas
pour leurs errements et leurs erreurs.
Or pourtant nous ne ferons rien de tout ça car nous avons
organisé notre incapacité. C’est cela qui nous condamne.
C’est bien triste car nous pourrions sans doute encore sauver beaucoup
de choses. Mais rassurez-vous, nous n’en ferons rien.
Charles
SANNAT
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
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