Parmi
toute la folie et le mauvais raisonnement de notre monde – qui
s’unissent pour faire obstacle à la création de richesse
– il existe une espèce qui puisse encore nous apporter de
l’espoir : celle des entrepreneurs.
Dans
l’attente d’un héros
Dans
notre monde d’aujourd’hui, nous sommes constamment
confrontés au problème de savoir ou non déterminer qui
prospère de la manière la plus honnête et qui ne fait que
paraître.
Le
premier pourrait bien entendu être un homme sur lequel miser – si
tant est que son prix soit correct et que lui et ses actionnaires aient
besoin d’argent.
Le
second, en revanche, est à éviter à tout prix, soit parce
que son bateau a été porté plus loin que les autres par
le courant de monnaie, soit parce qu’il bénéficie de
l’intervention du gouvernement sur le marché libre.
Dans
ce dernier cas, il y a peu de chance qu’il vous apporte quelque
rendement que ce soit : il n’est dans la plupart des cas
qu’une sorte de pirate licite. Il n’est pas impossible
qu’il ait également trempé dans des affaires de
corruption.
Mais
revenons à nos moutons. Nous ne pouvons jamais être sûrs
à 100% qu’une société soit de bonne foi. Nous
risquons donc, au cas où elle perdait les faveurs de ses titulaires ou
des électeurs, de perdre notre monnaie dans sa chute.
Par
une curieuse coïncidence, il se trouve qu’il ait existé une
personnification de ces deux types d’entrepreneurs il y a près
de 300 ans, alors que naissait l’ère financière moderne.
Dans
le Paris des années 1720, un duel faisait rage – un conflit
à la fois de volonté et d’intellect – entre un
homme qui promouvait les influences destructrices de l’inflation
associée aux interventions gouvernementales et son antagoniste qui
privilégiait l’énergie constructive des individus et
l’autonomie des marchés.
Le
premier était John Law, un homme qui pourrait de plein droit proclamer
être le père de notre système bancaire central moderne,
bien que sa Banque Royale n’ait en rien été la
première institution de la sorte et n’ait pas survécu
à sa disgrâce.
Mais
passons-nous des préambules. Law – Ecossais émigré
ayant fui la justice Anglaise et parieur légendaire –
était persuadé qu’en mettant en place un système
d’émission de billets de banque, il pourrait
régénérer l’économie Française et la
sauver de la dette et des défauts hérités du
défunt Roi Soleil.
Les
premiers billets de banque émis par Law étaient convertibles en
or et en argent sur simple demande et étaient, comme on pourrait dire,
des bénédictions. Au début du XVIIe siècle, la
France était un endroit où crime et malhonnêteté
signifiaient que le transport de monnaie était constamment porteur de
grand danger et, plus important encore, le contenu métal des
pièces en circulation à l’époque était si
faible que plus personne ne leur accordait quelque confiance.
Grâce
à cette monnaie peu populaire, l’or de la nation avait pu
être accumulé plutôt que de circuler librement. Le
commerce n’attendait qu’un moyen d’échange fiable
capable de lui permettre de subsister.
Les
billets de banque de Law réglèrent ce problème et
s’échangeaient même avec un premium par rapport à
l’ancienne devise qu’ils étaient venus remplacer.
Law,
en revanche, avait des idées grandioses et ne s’est pas
contenté de restreindre sa banque à sa fonction la plus
désagréable. Il prévoyait d’échanger les
billets de banque soutenus par l’or par des titres fonciers,
l’abondance de terres lui permettrait ainsi d’émettre bien
‘plus de liquidité sur les marchés’, comme nous le
formulons aujourd’hui.
Les
tenants de l’école Autrichienne seront d’accord sur le
fait que la tentative de promouvoir le commerce en augmentant la masse
monétaire était une erreur. Mais Law était bien plus
qu’un proto-Alan Greenspan : il était également
moitié théoricien de gestion de capital de long terme et
moitié oligarque Russe.
Sans
entrer dans les détails de ce conte trop raconté [1], Law était tant captivé par son
succès qu’il ne tarda pas à mélanger ses
activités bancaires saines avec un projet plus ambitieux de
restructuration des finances Françaises.
Pour
employer un terme moderne, il eut recours à un swap dette-capital
basé sur les recettes de la privatisation et l’introduction en
bourse d’un champion national, une industrie monopolistique aux
senteurs exotiques de marchés émergeants.
Il s’agissait bien entendu de la fameuse
Compagnie des Indes.
Il
est inutile de préciser que tout cela déboucha sur une terrible
spéculation financière, puis, inévitablement, sur une
désastreuse hyperinflation – une pathologie
répliquée par un groupe d’insiders
aux intentions bien plus frauduleuses dirigé par John Blunt, la
Compagnie des Mers du Sud, en Angleterre.
Il
est assez révélateur que très peu de personnes
considèrent aujourd’hui Law comme étant un charlatan, et
que l’on s’en souvienne généralement comme
d’un théoricien que sa réputation a poussé
à succomber à la pression politique.
Beaucoup
pensent que l’application de ses méthodes serait
aujourd’hui une noble politique, tout particulièrement si elle
était prise à la manière très prudente habituelle
des manipulateurs monétaires de notre nation.
Ce
que les avocats de Law manquent à reconnaître est bien entendu
la leçon à tirer de sa relation avec le pouvoir plutôt
qu’avec l’économie.
C’est
là le problème crucial du système mis en place par Law.
Il pouvait si aisément être corrompu par l’Etat que
même un géant comme lui ne pouvait faire autrement que de se
trouver pris dans le tourbillon de la ruine.
Il
est assez révélateur que le terme ‘millionnaire’
soit né à la même période, tout comme le mot
‘bulle’ – appliqué en majeure partie aux nouvelles
sociétés qui affluaient à l’époque sur le
marché de Londres alors que l’inflation faisait rage dans toute
l’Angleterre.
Mais
ce que nous n’entendons que trop peu est que le terme
‘entrepreneur’ est également né à cette
époque, apparu pour la première fois dans l’œuvre
posthume d’un homme qui d’abord avait collaboré avec Law
avant de se fâcher avec lui.
L’homme
dont je parle est le financier d’origine Irlandaise, Richard Cantillon.
Dans
son ouvrage au titre peu créatif ‘Essai sur la Nature du
Commerce en Général’ [2], Cantillon fait preuve d’un
traitement anachronique de l’économie, des marchés et de
la politique.
Il
a apporté à la pensée monétaire bien plus que
beaucoup d’autres – tout particulièrement en ce qui
concerne le contexte politique – durant plus d’un siècle
après son assassinat par ses servants, qui nous ont privés de
son génie alors qu’il n’était pas âgé
de 50 ans.
Parmi
ses opinions les plus intéressantes, Cantillon attire
l’attention sur les caractéristiques humaines essentielles que
les Autrichiens considèrent comme la force motrice du progrès
matériel. Voici ce qu’il écrit :
‘La
circulation et l’échange de biens et de marchandises ainsi que
leur production sont pris en charge en Europe par des entrepreneurs –
et cela n’est pas sans risque’.
‘Tous
les habitants d’un Etats peuvent être divisés en deux
classes : les entrepreneurs et les salariés. Les entrepreneurs
disposent d’un salaire qui n’est pas fixé à
l’avance, au contraire des salariés qui vivent d’un
salaire fixe (si tant est qu’ils le reçoivent), bien que leur
rang et fonction puissent être très inégaux. Les
généraux ont un salaire, les courtisans une pension, et les
servants un pécule’.
‘Tous
les autres sont des entrepreneurs, qu’ils disposent d’un capital pour
mener à bien leurs activités, ou qu’ils travaillent pour
eux-mêmes sans aucun capital. Ils sont ceux qui vivent dans
l’incertitude de ce que leur réserve le lendemain’.
‘Tous
ces entrepreneurs deviennent des consommateurs et des clients, le drapier fournissant
des tissus au marchand de vin et vice-versa’.
‘S’il
existe trop de chapeliers dans une même ville ou dans une même
rue par rapport au nombre de personnes qui ont besoin d’un nouveau
chapeau, certains sombrent dans la banqueroute. S’il n’en existe
pas assez, alors de nouveaux chapeliers saisissent l’opportunité
et viennent y installer leur boutique – les entrepreneurs
s’ajustent au risque au sein de leur Etat’.
Ce
que Cantillon nous explique dans ces divers passages est que c’est
l’entrepreneur – l’homme qui suit son intuition, qui estime
la demande des consommateurs, qui détermine combien coûte la
production de biens divers et quel profit il peut espérer en tirer
– qui est réellement au cœur de la vie économique.
C’est
le talent de l’entrepreneur pour ce qu’il appelle
spéculation productive – et non pour la forme de pari
glorifié que nous associons aujourd’hui à ce terme
– qui permet au marché de fonctionner. C’est par lui que
se font la circulation et l’échange de marchandises et leur
production.
Plus
encore, les entrepreneurs sont les agents de l’avancée
matérielle d’une société.
Ils
créent le progrès au travers de la découverte, et
s’ils sont mauvais, le marché s’en débarrasse pour
ne garder que les meilleurs. Le succès des plus profitables est
renforcé aux dépens des moins profitables qui ne peuvent pas
continuer indéfiniment de mal allouer des ressources rares. Ils
s’ajustent aux risques et aux besoins des consommateurs.
C’est
là très certainement un rôle que l’Etat ne pourrait
jamais jouer.
Dans
notre monde d’aujourd’hui, la bureaucratie
s’auto-perpétue et – comme nous l’ont
illustré la NASA et la CIA au cours de ces dernières
années – leur erreurs ne sont plus punies mais récompensées
par une part plus grande de la tarte de nos pauvres contribuables.
Cinquante
ans après Cantillon, Adam Smith a fait la remarque optimiste [3] que les forces du Bien sont
généralement celles qui prévalent :
‘Les
efforts uniformes et constants d’un homme à améliorer sa
condition sont souvent suffisants au maintien du progrès naturel des
choses et ce, malgré l’extravagance du gouvernement et les plus
grandes erreurs de l’administration’.
Mais
il est question ici de bien plus que du combat de chaque homme contre les
prédateurs et les promoteurs et que du dénouement de la
spoliation des escrocs et des membres du Congrès.
Ce
qu’explique Cantillon, cce que nous devrions réellement faire
pour remédier aux dommages causés par notre drôle de
monnaie et la mainmise de notre gouvernement est de faire appel à
l’entrepreneur, à l’homme qui ne craint pas le risque,
l’homme qui vit au service de ses consommateurs et le fait bien mieux
que tous ses compétiteurs.
Les
hommes aujourd’hui à la retraite qui étaient
autrefois des entrepreneurs de renom devraient voir leur portrait
affiché dans le trois fois centenaire Temple de la Renommée.
Ce
qu’ils ne devraient jamais oublier est que leur propre richesse ne peut
être préservée qu’en étant employée de
la même manière qu’elle a été gagnée
– en la plaçant entre les mains d’autres entrepreneurs,
plus jeunes, qui vivent eux-aussi une vie de risque et de constants
ajustements.
De
cette manière, aucun John Law de notre monde moderne ne sera jamais
capable de détruire le travail d’une vie que représente
leur capital.
Pour
en revenir à Law, il mourut seul et dans le déshonneur avant
d’être enterré dans un cimetière d’indigents.
Juste
avant sa chute, il a demandé expressément à Cantillon
– qui menaçait son système en convertissant ses profits
en cash et les retirant à la fois du marché et des banques
– de lui rendre visite.
C’est
là que, comme nous le relate Baron von Grimm
[4], Law a impérieusement
annoncé à l’Irlandais :
‘Si
nous étions en Angleterre, nous aurions eu à négocier
l’un avec l’autre et à trouver un arrangement. Mais en
France, comme vous le savez, je peux vous assurez que vous passerez la nuit
à la Bastille si vous ne promettez pas que vous aurez quitté le
royaume sous 24 heures’.
Cantillon
a considéré son offre un instant avant de lui
répondre :
‘Très
bien. Je ne partirai pas. Mais j’aiderai votre système à
connaître le succès’.
La
demande de Law a conforté Cantillon dans l’idée que
l’homme était désespéré et que la mania
touchait à sa fin. Selon Grimm, Cantillon s’est ensuite
empressé de prêter toutes ses actions à des courtiers de
change.
Après
avoir retiré les billets obtenus en échange de ses actions, il
les a échangés contre de l’or avant de quitter le pays et
d’observer son effondrement économique et la chute de Law en
toute sûreté.
Cantillon
est décédé prématurément, mais au
contraire de Law l’inflationniste, le politicien et finalement le
miséreux, il a laissé un héritage substantiel à
sa famille ainsi qu’un intellectuel lumineux et une
postérité ayant survécu bien longtemps après sa
mort.
Cantillon,
voyez-vous, n’était rien sinon un entrepreneur !
|