|
Il y a un an, en décembre 2011, Contrepoints relayait
la dernière publication de l’Indice de perception de la
corruption établi par Transparency International et constatait que la France
arrivait au 25ème rang, loin derrière de nombreux états
européens. Cette année, la France peut s’enorgueillir
d’avoir gagné quelques places, puisqu’elle atteint tout de
même la 22ème place. Mais au-delà des chiffres,
l’analyse de la situation montre de larges marges de progression, comme
on dit pudiquement.
Oui, enfin une bonne nouvelle pour cette France que
l’actualité bouscule sans arrêt dans les catégories
casseroles, gamelles et autres pantalonnades pathétiques d’un
pays en pleine décrépitude. Ne boudons pas notre plaisir :
apparemment, le niveau de corruption perçue diminue. C’est
d’autant plus agréable à entendre que pourtant, les
affaires louches impliquant directement les plus hauts étages de notre
classe politique continuent de se succéder à un rythme qui
n’a semble-t-il pas fléchi.
Dans son rapport, Transparency International pointe cependant des
problèmes récurrents. En effet, bien que le pays soit
situé dans le groupe de ceux qui disposent d’une bonne
intégrité de leurs systèmes parlementaires,
exécutifs et de justice, la France n’en demeure pas moins un des
rares pays européens à ne pas rendre public le patrimoine des
élus, par exemple. C’est très choupinou,
mais ça en dit long.
De la même façon, le lobbying au Parlement, qui
est une des sources pourtant évidentes de corruption, ne dispose que
d’un encadrement fort sommaire, facultatif de surcroît, qui ne
permet de recenser qu’un faible pourcentage de lobbyiste parmi toutes
les organisations repérées comme telles : Transparency
International et Regards Citoyens ont ainsi dénombré que 4635
organisations travaillaient plus ou moins officiellement à
l’Assemblée Nationale pour 173 seulement inscrites au registre
des lobbyistes, ce qui nous fait un bon 3.7% bien grassouillet. Encore un
petit 96%, et ce sera bon. Vous voyez, quand je vous parlais de petites
marges de progression, on voit qu’elles existent !
Mais ces points restent finalement des détails au
regard du paysage général de la corruption et de
l’absence de transparence française en matière de
financements publics par exemple. Régulièrement, des gabegies
et autres dépenses incontrôlables sont dénoncées
par des associations comme Contribuables Associés
ou l’Observatoire des Subventions dont le
travail remarquable ne doit pas faire oublier la difficulté
monumentale qu’il faut surmonter, en France, pour obtenir des
données claires sur qui finance quoi, pourquoi, et comment.
Il n’est qu’à se rappeler de la
façon dont le rapport Perruchot
sur les syndicats fut, à l’époque, complètement
enterré par une Assemblée Nationale particulièrement
pointilleuse sur la nécessité de ne surtout pas effaroucher ce
pouvoir occulte de la République. J’ai, assez
régulièrement, dénoncé l’aspect
parfaitement mafieux de ce qu’est devenu le syndicalisme en France, de
la totale opacité de leurs comptes, de leurs affaires internes et des
pouvoirs dont ils usent et abusent en coulisse, au détriment de
l’emploi qu’ils sont pourtant censés
protéger.
Transparency International ne se contente pas, du reste, de pointer les
dysfonctionnements des institutions françaises en matière de
transparence ; l’organisation apporte aussi quelques réflexions
de bon sens sur l’absence dramatique de protection de ceux qui,
justement, dénoncent la corruption, par exemple au sein des
administrations dont ils sont employés :
Dans l’affaire de corruption présumée qui
a récemment conduit à plusieurs arrestations au sein de la
police marseillaise, par exemple, les pratiques délictueuses auraient
été révélées par des policiers
auprès de leur hiérarchie dès 2009 ; mais il a fallu
attendre des plaintes d’élus et d’habitants pour que
l’inspection générale de la police nationale se
décide, en octobre 2011, à engager des investigations et
à saisir le parquet. Dans cette affaire, les policiers lanceurs
d’alerte auraient été décrédibilisés
et mutés.
De la même façon, l’organisation
s’étonne (et elle n’est pas la seule) du
volte-face magnifique opéré par un Parti Socialiste
décontracté de l’hypocrisie qui ne veut plus entendre
parler de l’interdiction du cumul des mandats. En effet, à ce
jour, seule une minorité d’élus PS se sont engagés
en faveur du non-cumul des mandats, les autres trouvant sans doute que ce
genre de promesses de campagne n’engagent que
ceux qui votent et pas ceux qui sont élus.
Enfin, lorsqu’on liste toutes les casseroles de nos
chers (très chers, très très
coûteux) élus, comme le fait de façon
régulière un site comme Politic-Watch (likez,
partagez, twittez !) et d’autres
récemment apparus comme Voyous de la République,
on ne peut que constater que si la France s’améliore en
matière de perception de la corruption, la corruption
effective, réelle, difficilement quantifiable par nature, ne semble
pas régresser, et laisse même un goût fort amer à
ceux qui payent pour ces ruineux écarts.
L’affaire récente avec Cahuzac,
pour lequel on sent confusément qu’il y a bien plus que
les diverses magouilles dénoncées par un Médiapart
en mal d’audience, illustre parfaitement l’état
général du pays : il est évident pour qui veut bien
regarder que les politiciens qui sont à présent dans la vie
politique française n’y sont plus pour le bien-être
collectif, une idée de la France ou la grandeur de la
République, mais bien pour leur propre intérêt personnel,
le financement direct de leurs petites lubies. L’engagement politique,
souvent décidé froidement après quelques années
de formatage intellectuel, est maintenant vu comme une forme subtile
d’enrichissement financier au travers des finances publiques, que ce
soit légalement en utilisant les largesses et l’opacité
des systèmes français, ou carrément de façon
illégale par prises d’intérêts bien
calculées et corruption typique.
Et du reste, on voit mal pourquoi nos élus se
gêneraient : d’une part, malgré leur consternant
historique de casseroles en tous genres, ils sont régulièrement
réélus. On comprend que Georges Frêche
expliquait clairement faire campagne pour les cons, et à quel
point il avait raison tant les réélections de barons et autres
petits mafieux locaux se succèdent tranquillement sans que la Justice
n’y vienne mettre bon ordre. D’autre part, la probabilité
de se faire attraper est suffisamment faible, en France, pour que les
bénéfices qu’on peut retirer d’une agréable
corruption bien grasse contrebalancent largement les risques.
J’exagère ? Même pas ! Regardez le nombre
d’affaires de justice qui, impliquant des personnalités
politiques, se sont terminées en jus de boudin républicain sans
condamnation ou avec des peines d’une légèreté qui
réjouirait certains ex-pensionnaires des geôles
françaises : tout indique qu’ils trouveront ainsi dans
l’onction citoyenne un superbe moyen d’éviter de retourner
à la case prison. Et je ne compte même pas les interventions
directes ou indirectes, officielles ou en coulisse, des gouvernements sur la
magistrature ; en décembre 2011, 126 des 163 procureurs
français avaient fait part de leur exaspération concernant les
interférences du gouvernement dans leur travail. Et récemment,
on a eu le cas de Hollande qui se fendait d’une lettre ambiguë
dans une procédure de justice…
En définitive, si le chiffre de Transparency
International indique bien une amélioration de la situation en France,
la réalité vécue du côté des citoyens
laisse voir sans difficulté que la situation est encore très
loin des standards des pays les plus vertueux. Pire, la corruption semble
s’être institutionnalisée tant elle semble banale aussi
bien du côté des électeurs que de celui des élus :
même le président, qui avait promis de ne nommer que des
ministres irréprochables, ne s’est plus embarrassé de
cette contrainte une fois en poste…
|
|