Le billet
précédent avait fait un état des lieux des
débats sur le gaz de schiste et a relevé la tendance du
gouvernement actuel à aller vers une interdiction totale de son
exploration et exploitation indépendamment de la méthode de
forage utilisée. Cette démarche s’appuie implicitement
sur le principe de précaution et considère que le gaz de
schiste est potentiellement risqué. Ce billet tâchera de
souligner le caractère arbitraire de cette politique.
D’abord, il est important
d’observer d’entrée de jeux que lorsque ce principe est
mobilisé pour étayer une décision politique, il jette
implicitement le voile sur les préférences des personnes
potentiellement concernées en leur attribuant d’office une forte
aversion pour le risque et en ignorant leurs calculs individuels en termes de
bien-être et avantages économiques.
En outre les solutions apportées dans le cas du gaz de
schiste illustrent une fois de plus la tragédie
des biens communs dans la mesure où les
tiraillements politiques gauche/droite et les négociations entre
socialistes et écologistes aboutissement à des solutions
aléatoires, jamais satisfaisantes et surtout qui ne prennent pas en
compte l’opinion des propriétaires de terres en question, les
seuls à être directement concernés par les risques
potentiels.
La raison pour laquelle l’opinion des propriétaires
n’est pas prise en compte c’est simplement parce que les
propriétaires des terres en France ne sont pas propriétaires
à part entière du sous-sol : lorsqu’il s’agit
des ressources naturelles, c’est l’État qui décide.
Comme les représentants de l’État ne sont cependant pas
eux-mêmes en mesure d’exploiter ces ressources naturelles, ils le
louent temporairement à des entreprises tierces.
Ainsi, ce qui aurait pu, et dû, être un débat
local entre propriétaires des terres et entreprises souhaitant tirer
profits des sous-sols – éventuellement résolu en justice,
si des dommages avérés pouvaient être prouvés
– devient implicitement un débat national et la décision
est nécessairement politique, et donc le résultat des pressions
exercées par les différents groupes
d’intérêt.
Pourtant, il suffirait d’appliquer la première
partie de l’article 552 du Code civil qui stipule que « La propriété
du sol emporte la propriété du dessus et du
dessous ». Comme
dans le cas de la pollution aérienne, le modèle de droits de
propriété pourrait s’appliquer aussi bien aux sous-sols.
Malheureusement, l’article dans sa forme actuelle est
inapplicable car le droit de propriété du sous-sol est
fortement encadré dans la mesure où le propriétaire
« peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles
qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les
produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications
résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des
lois et règlements de police ». Autrement dit, les propriétaires ne peuvent rien faire
dès lors que le gouvernement décide, comme en France,
d’interdire le forage ou si au contraire il décide, comme aux
États-Unis, d’empêcher les
propriétaires des terres à refuser l’exploitation du gaz
de schiste se trouvant en-dessous de leurs propriétés.
À la lumière de cette discussion, on comprend
maintenant que le succès américain du gaz de schiste reste
mitigé car il repose aussi sur une décision politique au niveau
national au détriment des préférences individuelles des
personnes concernées.
Faute d’un renforcement global des droits de
propriété, la solution disponible la moins dommageable est de
permettre des décisions collectives au niveau local à
l’instar du référendum
sur la fracturation hydraulique, effectué récemment au Longmont
(Colorado) pendant les élections américaines. Enfin, pour stimuler davantage la réflexion sur
le rôle de la propriété privée comme solution
alternative au débat politique sur le gaz de schiste, un film
américain Promised Land
sortira dans les salles ce mois-ci aux États-Unis et en France au mois
de mars.
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