2ème
lettre de Valérie Picassiète,
présidente de la Ligue Française des Ecornifleurs (LFE),
à Paul Emphitrijon, président du Front
de Libération des Entrepreneurs (FLE)
Je vous
écris aujourd’hui pour vous proposer une collaboration qui, je
l’espère, sera mutuellement bénéfique.
Revenons plus
longuement sur votre stratégie politique. En bon entrepreneur, vous
vous prétendez pragmatique. Vous procédez par
essai-erreur. Vous êtes en
prise avec la réalité, la réalité du
marché et non pas celle de la langue de bois politicienne. Vous ne dictez
pas au marché ce qu’il doit être, vous le testez.
Très bien. Faites-donc le
bilan de votre action militante, en France et dans le monde. Quand avez-vous
réussi ne serait-ce qu’à ralentir l’expansion
de l’État ? Car votre succès ne se mesure pas au
nombre de kermesses de l’école libérale que vous
financez, mais à l’aune du désengagement réel de
l’État de la sphère des interactions privées. Quel
est votre retour sur investissement ? Des bulles de champagne ! Il
est temps de remettre en cause une stratégie qui, visiblement, ne
répond pas aux besoins du marché.
Cela fait des
siècles que votre littérature parle de
désobéissance civile, et répète :
« soyez résolus à ne plus servir, et vous
voilà libre ». Des livres et des films mettent en
scène la grève des entrepreneurs. Des publications font de
l’évasion fiscale un devoir moral, mais combien d’entre
vous refusent vraiment de payer des impôts ? Tout au plus vous
exilez-vous dans des pays dont la fiscalité est plus clémente,
mais vos velléités de résistance s’arrêtent
là. Savez-vous pourquoi ?
C’est en
raison de l’éthos même d’entrepreneur : un
entrepreneur prévoit l’état futur du marché et
produit en fonction de la demande prévue. Mais c’est le consommateur qui
est le juge ultime et la seule mesure du succès de
l’entrepreneur.
L’empathie est pour vous une nécessité
professionnelle. Votre métier
est d’entrer dans la tête de vos clients et de les
connaître mieux qu’ils se connaissent eux-mêmes. Or, une
vie passée à prévoir et satisfaire les besoins des
consommateurs laisse des traces. Sans compter le reflexe acquis de toujours
chercher comment vous rendre utile.
Vous ne pouvez pas vous comporter simultanément en serviteur
attentif et en propriétaire outragé. Les appels folkloriques
à la désobéissance civile sont
généralement motivés par la conscience du droit naturel
et par le refus de se laisser exploiter. Mais l’éthos
entrepreneurial est un obstacle à l’indignation. Ces pourquoi
ces appels n’ont jamais dépassé le stade de vœux
pieux. Pour vous permettre de sortir de cet écueil, je vous propose un appel à la
désobéissance civile motivé non pas par votre amour de
la liberté et par votre sacro-saint droit de la
propriété, mais par la demande du client, en
l’occurrence, la ligue que j’ai l’honneur de
présider, et qui vous passe la commande suivante :
Un
« manifeste des salauds », dont les signataires
reconnaitront avoir pratiqué l’évasion et la fraude
fiscales et/ou s’engageront explicitement à ne plus payer
d’impôts sur le revenu (pour commencer).
Bien
sûr, nous ne sommes pas des communistes, et vous serez
rémunéré pour vos services. Aidez-nous à nous sevrer de
l’État, et votre récompense sera la non-confiscation de
vos revenus et la fin du système basé sur l’atteinte au
droit de propriété.
Et puisque
vous aimez les arguments moraux, en voici un : payer vos impôts
est aussi répréhensible que de donner de l'alcool à un
alcoolique, ou de mettre un obstacle sur le chemin d'un aveugle, pour ensuite
lui reprocher de trébucher !
Car nous vous
passons commande comme un toxicomane propose de rémunérer son
dealer pour que celui-ci cesse de lui vendre du crack. Nous sommes trop
faibles pour retirer de nous-mêmes la perfusion qui nous fait vivre. En
plus de nous entretenir, il vous faut nous sauver de nous-mêmes.
Certes, nous protesterons de toutes nos forces à la parution de votre
manifeste, comme un joueur fiché pleurniche quand un casino lui refuse
l’accès, et nous exhiberons alors tous les symptômes
d’un sevrage brutal, mais au fond de nous-mêmes, nous vous en
saurons infiniment gré.
Dans
l’espoir d’inaugurer une nouvelle page de l’histoire de nos
relations, je vous prie d’agréer, cher Monsieur, mes salutations
distinguées.
Valérie
Picassiète
Première
correspondance de Valérie Picassiète
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