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Catastrophe dans le milieu très feutré du
cinéma : un producteur, Vincent
Maraval, a vendu la mèche ! Il a dit tout haut ce que le public
français se dit tout bas depuis un moment : le cinéma
français produit une quantité invraisemblable de merdes
soporifiques et distribue pourtant des cachets stratosphériques
à des acteurs en récompense d’une prestation rarement
à la hauteur. Et en plus, ce Vincent a trouvé le moyen de
l’écrire dans Le Monde, l’inconscient !
C’est un article d’une telle lucidité,
d’une si simple franchise, qu’il ne pouvait que déclencher
une furieuse polémique dans un milieu où l’hypocrisie et
les coups en douce sont plutôt la règle que l’exception.
En substance, Maraval nous y explique que les budgets des productions
françaises sont sans équivalent dans le monde, puisque, par
exemple, un film comme Astérix, à 60 millions d’euros, a
le même budget qu’un film de Tim Burton … et cible pourtant
un public bien plus restreint. D’un autre côté, il
remarque que ces cachets, dont la source est largement issue de la poche du
contribuable, sont d’autant plus hauts que ceux qui les reçoivent
sont à même de faire de l’audience en
télévision, elle même
abreuvée de subventions :
Non, le seul scandale, le voilà : les
acteurs français sont riches de l’argent public et du
système qui protège l’exception culturelle.
Argh,
il l’a dit : le cinéma français est encore bien
grassouillet des subventions directes (chaînes publiques, avances sur
recettes, aides régionales) et des subventions indirectes
(l’obligation d’investissement des chaînes privées),
ce qui fausse complètement le marché, notamment celui des
cachets, et par voie de conséquence, les budgets des productions
françaises. Pire, l’obligation légale pour les
chaînes de télé de passer des films français
aboutit à gonfler artificiellement la valeur d’un acteur : sans
cette obligation, les séries à bas coût et autres
productions kilométriques consternantes auraient réduit
à néant les cases « Cinéma » des
chaînes de télévision.
Et après avoir lâché un tel loup,
l’auteur continue l’impensable en proposant une solution
opérationnelle (insuffisante mais c’est un début) pour
revenir à un système selon lui plus viable et plus sain :
limiter les cachets, et intéresser les acteurs au succès du
film, choses qui semblent actuellement hors d’atteinte pour la plupart
des professionnels du secteurs, si l’on lit
leurs réactions ulcérées. Eh oui,
l’écarquillement d’yeux des lecteurs du Monde,
bousculés par le contraste de cet article avec le ronron
lénifiant auquel ils sont habitués, a fait place à celui
des principaux concernés : intermittents, acteurs et surtout
producteurs.
Et comme on pouvait s’y attendre, ce sont les patrons
des principaux distributeurs automatiques de bons points dans le milieu du
cinéma français qui sont intervenus en premier. C’est
ainsi le cas de Jérôme Clément, ancien président
du CNC, le centre national de la cinématographie, et d’Arte.
Arte, cette chaîne franco-germano-française, massivement
subventionnée par l’état (et donc les sous du
contribuable) et le CNC, cet
établissement public à caractère administratif français,
en prise directe avec le cathéter d’argent public qu’il
tête goulûment depuis 1946. On comprendra avec un tel passif que
le brave Jérôme a perdu toute prétention à la
neutralité dans le débat, ce qui se vérifie assez bien
dans son petit prout épistolaire
dans lequel il tente de nous faire rire :
Est-ce de l’argent public ? Non.
Est-ce rentable ? Oui : les multiples diffusions de ces mêmes films
permettent aux régies publicitaires d’engranger de
sérieuses rentrées financières.
Joli travestissement d’une réalité moins
tranchée. Si, effectivement, une partie du financement des films
français provient de chaînes de télévisions privées,
une autre partie, absolument pas négligeable, provient elle des taxes
sur les billets de cinéma, de la redevance, et de façon plus
subtile, de l’obligation légale de diffuser sur les ondes de la
bonne daube française coûte que coûte. Et si tout ceci
était rentable, si cela entraînait des profits, personne
n’y trouverait à redire, ce que la polémique
enclenchée semble contredire avec pas mal de vigueur.
Du reste, on est ici dans le même cas que d’autres
domaines perclus d’obligations, de distorsions de marché et
d’effets pervers à foison (marché du travail, de
l’immobilier, bancaire, etc…) et la comparaison avec les
marchés étrangers n’est vraiment pas flatteuse pour la
France. Comparaison que tente pourtant de renverser notre brave
Jérôme, avec un magnifique salto arrière carpé et
gamelle finale assez retentissante :
Non, on ne peut pas comparer la
rémunération d’un acteur français et celle
d’un acteur américain, (ce serait) aussi bizarre que de mettre
en parallèle le salaire de deux chirurgiens, l’un français
et l’autre chinois, sous prétexte que tous deux exercent le
même métier.
Tu la vois, ma grosse comparaison foireuse pour faire passer
mon discours ? Ou bien les Américains sont les Chinois du
cinéma, ou bien ce sont les Français, ce qui est, dans un cas
comme dans l’autre, particulièrement ridicule puisque dans le
premier cas, les résultats des blockbusters américains montrent
que leur méthode semble bien plus efficace que la nôtre. Et dans
le second, cela tend à prouver que malgré des investissement plus importantes que les Américains,
les Français ne parviennent à produire qu’un film valable
sur 200 par an, ce qui est catastrophique…
La France, et c’est un atout majeur,
reste une terre privilégiée pour les cinéastes
français et étrangers.
Eh bien à vrai dire, avec les océans de pognon
frais qu’on déverse tous les ans dans le système (celui
de la production cinématographique, celui des intermittents du
spectacle, des promotions culturelles à tire-larigot, etc…) ce
serait un comble si en plus la France n’arrivait pas tout juste
à produire une fois de temps en temps un acteur oscarisable.
Notons du reste que c’est suffisamment rare pour que toute la presse
s’empare du phénomène quand il advient : en gros, avec Cotillard et Dujardin, on a déjà balayé
50% des oscarisés français ! Pour le
contribuable (parfois spectateur qui doit en plus payer sa place 10€
à chaque séance), cela fait cher la statuette dorée.
Bref, le gars Clément ne veut surtout pas entendre
parler de la triste réalité : pour plus de 200 films produits
par an en France, très peu sont rentables (3 seulement en 2010
par exemple), ils s’exportent très mal, les stars y sont trop payés
et le système, s’il continue ainsi, court à sa perte :
lorsqu’il faut 30 à 50% d’argent public pour faire un
film, quand ce n’est pas plus, et que cet argent
là disparaît, soit les prétentions sont fortement
revues à la baisse, soit la production n’a tout simplement pas
lieu.
Dans les autres réactions, on pourra noter celle de Serge Toubiana, le DG de la
Cinémathèque française. Pour rappel, cette Cinémathèque
française est un organisme privé français
(association « loi 1901″) qui est — ô divine surprise
— en grande partie financé par l’État. De
l’argent public en somme. Vos sous, quoi. Pas ceux des spectateurs et
des clients. Tout comme pour le brave Jérôme, je suis à
nouveau tout surpris : un type qui dépend crucialement de
l’argent des autres vient à la rescousse d’un
système qui fait les fonds de poches du contribuable.
Et lorsqu’on lit son billet, on comprend qu’en
réalité, bien avant de réfléchir sur la
durabilité douteuse du système français, l’ami
Serge veut surtout sauver ses miches :
« Comment, par exemple, faire enfin
approuver par Bruxelles le fait de taxer les fournisseurs
d’accès, dont la contribution au financement du cinéma
est un élément stratégique aujourd’hui ? »
Lisez-vous la terreur à peine voilée qui se
cache derrière ces mots écrits la sueur au front ? Si jamais
(par le plus grand, le plus abominable des malheurs) la Commission venait
à lire l’atroce article de Maraval, c’en serait fini de
ses rêves humides d’aller choper les portefeuilles joufflus des
internautes pour le moment presqu’inaccessibles ! Comprenez-vous que
tous ces édifices publics (ministère de la Culture, CNC,
Cinémathèque) ne se sont en réalité jamais
confrontés aux vrais choix du public, ceux dans lesquels il est
prêt à mettre son argent ? Voyez-vous qu’il est bien plus
aisé d’aller téter de la subvention en léchant les
bottes de quelques puissants peu nombreux mais bien placés
plutôt que plaire à des millions ?
Lorsque la rédaction du Monde a repris ses esprits,
plusieurs jours après la parution de l’article initial, le mal
était fait et la polémique déjà virulente. Un petit article de leur
cru permet de faire un rapide état des lieux.
On y découvre que les producteurs
égratignés par Maraval n’ont pas franchement
apprécié (non, sans blague ?), à l’instar de
Manuel Munz, qui nous a infligé La
Vérité si je mens 3. Mais bon, rassurez-vous, la petite
mine froissée de Munz ne durera pas
puisqu’il reconnaît que ses acteurs et lui-même n’ont
jamais gagné autant d’argent qu’avec ce film alors
même que, dixit le Monde, « ses résultats en salles ont
déçu »… Si Maraval explique que ses
résultats (financiers, donc) sont mauvais, cela donne une assez bonne
idée de la gabegie qui a pu avoir lieu dans cette production qui aura
attiré plus de 4.5 millions de spectateurs, nombre qui aurait
assuré de juteux bénéfices à n’importe
quelle production il y a quelques décennies.
Notons que d’autres réalisateurs,
confrontés eux aussi aux mêmes réalités que
Maraval, le rejoignent sans mal, comme Bertrand Bonello
qui se demande ainsi :
« Vincent Maraval a
raison de dire que le cinéma français est trop cher. Pourquoi
les Américains font-ils des films de dingue à 2 millions
d’euros, alors que nous, on fait l’équivalent pour 4
millions d’euros, et en plus ça ne se voit pas ? »
Eh oui, Bertrand, excellente question. Peut-être est-ce
parce que, sur les 4 millions, une bonne partie a été
récupérée sans efforts et sans risque sur le dos des
contribuables et qu’elle peut donc être dépensée
sans aucune difficulté en champagne et cachets surgonflés
? Et sans doute est-ce aussi parce que sur ces 4 millions, au moins deux
seront repartis bien vite en taxes, cotisation et impôts qui, il faut
bien le dire, impressionnent bien plus les ronds-de-cuir de Bercy que la
pellicule photo : le fric largué au fisc ne transparaît jamais
dans la qualité des décors, de la musique ou des effets
spéciaux d’un film français.
L’aveuglante réalité qui ne plaît
pas dans ce qu’a écrit Maraval, et qui n’est
d’ailleurs pas mis en doute (ou contestée avec mollesse ou
mauvaise foi), c’est que le cinéma français vit dans une
parfaite bulle, détachée de la réalité. Cette
bulle, affublée du nom d’« exception culturelle
française », c’est justement qu’on arrive encore
à produire 200 films de merde par an (pardon, 198) en pillant le
contribuable, d’une façon ou d’une autre. Si ce dernier
n’était pas mis lourdement à contribution, le nombre de
film produits serait divisé par deux ou trois. Si le marché
n’était pas ainsi déformé, nous reviendrions comme
dans les années 1950 et 60, à cette époque où les
productions françaises attiraient par leur qualité
intrinsèque et qui font qu’on les regarde encore
aujourd’hui avec plaisir. Les dernières productions franchouilles dont se gargarisent les petits
thuriféraires de la subvention (Holy Motors,
Après Mai, Camille redouble par exemple) et dont personne n’a
entendu parler dès qu’on s’écarte un tout petit peu
du milieu franco-français du cinéma, qui ne laisseront aucune
trace dans la mémoire de personne, ces productions sont
l’exemple type de cette « exception culturelle française
» pourrie : on a soit des grosses productions consternantes de
médiocrité (avec 1 ou 2 exceptions par an, ratio ridicule
lié au hasard), soit des micro-productions chiantes comme la pluie
à Dunkerque un mardi midi de février. Il n’y a plus rien
au milieu.
La suite, pour ce milieu du cinéma français qui
refuse de voir la réalité en face, est déjà en
train de s’écrire. D’ailleurs, le sujet a
été pris au bond par l’excuse fadasse qui sert de
Ministre de la culture pour proposer une bonne correction fiscale
dans la tête des acteurs. Voilà qui va les inciter encore plus
à rester au pays ! Décidément, la stupidité des
socialistes ne connaît aucune limite. Et le résultat sera facile
à deviner puisqu’il suffit de suivre le chemin tracé par l’industrie musicale
: replié sur lui-même, se battant pour un statut-quo
poussiéreux, le cinéma français périclitera,
définitivement mis à terre à coup de subventions et de
fiscalité débridée, comme tant d’autres secteurs.
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