Mes chères
contrariées, mes chers contrariens !
Ce qui est bien le dimanche lorsque
j’écris ces lignes que vous lirez demain le lundi, c’est
que le dimanche il y a le journal du dimanche, le JDD pour les intimes.
Et ces derniers temps, le JDD fait assez fort. Entre ses lettres ouvertes
à la Depardieu ou les interviews un peu dérangeantes, cela me
donne de quoi causer.
Aujourd’hui n’est pas
coutume, le JDD est allé chercher un ancien Premier ministre en la
personne de Michel Rocard, le père du RMI soit dit en passant, qui
vient de sortir à 82 ans un livre avec l’économiste de
gauche Pierre Larrouturou intitulé La
gauche n’a plus le droit à l’erreur et que je vous
promets de lire rapidement afin de vous dire ce que j’en pense.
Le constat dressé par Michel
Rocard est effrayant
« Or la France est dans une
situation terrifiante. La récession va s’aggraver, donc le
chômage va augmenter. Il y a le feu. Regardez où en sont les
moteurs de la croissance. La consommation est en panne à cause du
chômage, l’investissement aussi puisque les perspectives sont
nulles, les exportations sont en berne car l’Europe est en
récession et la dépense publique est contrainte par
l’objectif de réduire les déficits. »
J’aime bien le mot «
terrifiant ». Il fait peur, il fait trembler la ménagère
de moins de cinquante ans qui veut absolument croire qu’elle pourra
changer d’iPhone tous les ans en bénéficiant d’une
retraite à taux plein à 62 ans et en partant en voyage à
l’autre bout de la planète dans des avions hypersûrs
pour un prix modique.
Ce qui est bien aussi, c’est
que ce mot est utilisé par un ancien Premier ministre, et ça,
forcément, ça compte plus pour ma femme que tout ce je peux
raconter tout seul dans mon coin en marmonnant devant mon ordinateur.
Bon sur le constat dressé
par Rocard, je pense que nous serons tous peu ou prou d’accord.
Il n’y a pas de solution
miracle, on peut rêver mais le miracle n’aura pas lieu
Hélas Michel Rocard, en tout
cas c’est ce qui semble apparaître en filigrane dans ses
propositions, pense qu’il existe des solutions. C’est à la
fois vrai et faux. Il existe des solutions économiques pour s’en
sortir, mais toutes, je dis bien toutes seront particulièrement
douloureuses. Donc il n’y a pas de solution facile ou miracle.
Il invoque donc rapidement deux
prix Nobel d’économie, « Joseph Stiglitz et Paul Krugman, en sont venus aux hurlements. Ils nous demandent
de ne plus appuyer sur ce dernier frein. Il faut expliquer aux marchés
financiers qu’en poussant à la récession, ils risquent de
ne pas récupérer l’argent qu’ils nous prêtent
».
Là encore, cette remarque
est pertinente. Donc résumons les choix – enfin si tant est que
l’on puisse appeler cela un choix – qui s’offrent
à nous.
Nous pouvons décider de ne
pas payer les dettes, de faire un moratoire, un défaut partiel, un
allongement de la durée, une renégociation, bref, peu importe
le mot utilisé (qui devra être le moins terrifiant possible pour
notre ménagère de moins de 50 ans). Si on ne rembourse pas les
dettes, on annule l’épargne qui se trouve en face. Adieu veaux,
vaches, cochons mais surtout Livrets A et contrats d’assurance vie
fonds en euro… Vous êtes ruinés mais la France va mieux.
Merci d’avoir participé au Dette-othon.
Nous pouvons décider de
faire encore plus de déficits et de dettes, de faire tourner la
planche à billets pour stimuler faussement la demande et
l’économie. Au bout du chemin, les dettes seront tellement
importantes que ce sera l’insolvabilité ou alors
l’hyperinflation, ce qui semble être le chemin retenu aussi bien
au Royaume-Uni, qu’aux États-Unis ou encore au Japon.
Nous pouvons décider, comme
en Europe, de nous serrer la ceinture. De partir dans des plans
d’austérité de plus en plus rigoureux. On connaît
le résultat puisque nous avons quelques laboratoires d’essais
splendides comme en Grèce, en Espagne ou au Portugal.
Ces trois pays, sans l’aide financière d’autres pays
complètement surendettés, auraient déjà fait
faillite.
Donc 1re hypothèse : la
faillite. 2e hypothèse : l’insolvabilité par
l’hyperinflation (politique de relance). 3e hypothèse :
l’insolvabilité par la récession, c’est-à-dire
par la déflation (politique de rigueur).
Lorsque Michel Rocard nous propose
d’en finir avec l’austérité, il nous propose en
réalité de refaire une politique de relance et de
dépenses. Son idée : soigner le mal par le mal et la dette avec
encore plus de dettes. Mais cela n’a pas fonctionné et les plans
de relance adoptés en 2008, 2009 et 2010 – qui soit dit en
passant nous ont coûté une fortune – n’ont rien
relancé du tout. Le moteur de la croissance a tout simplement
calé.
Baisser le temps de travail !
Ne criez pas. Ne
m’étripez pas (enfin pas encore). Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Rocard… Bon, il est vrai que si
vous proposez à ma femme d’avoir encore plus de RTT en
étant payée pareil, vous risquez fort de vous attirer
immédiatement sa sympathie. Ma femme adore ses RTT, ce que je trouve
parfaitement normal lorsqu’il faut s’occuper de toute une
maisonnée, d’enfants malades, les traîner en permanence
à des rendez-vous médicaux d’ailleurs remboursés
à 100 % par la Sécu – ce qui me fait dire que les enfants
sont une vraie plaie financière pour la collectivité…
d’un autre côté, une fois grands, il sont censés
créer de la richesse (je sais, pas tous), et une fois vieux… ils
recôutent très cher. Mais c’est
un autre débat.
Pour Rocard donc, il faut
impérativement baisser le temps de travail.
« La première des
urgences, c’est de faire baisser le chômage. Comme nous
n’avons pas de croissance économique, la seule façon
d’y parvenir est de réduire le temps de travail, c’est ce
que Pierre Larrouturou et moi expliquons dans notre
livre. Ce sujet est un tabou. Je souhaite que la réflexion
s’ouvre à nouveau. En France, les salariés travaillent en
moyenne 36,5 heures par semaine, contre moins de 33 heures en Allemagne et
moins de 31 aux États-Unis. Il faut y parvenir par la
négociation, en réduisant les cotisations sociales des
entreprises. Un chômeur embauché, ce sont des allocations
économisées et des cotisations qui rentrent dans les caisses
publiques. »
Bon, vous aurez bien sûr
reconnu l’idée du « comme le gâteau n’est pas
assez gros, coupons des tranches plus fines ». Au bout du chemin et
à force de réduire les parts, tout le monde finira par avoir
faim. Mais il n’en demeure pas moins qu’il faut poser la question
de la quantité de travail disponible.
La quantité de travail
disponible
Alors je sais, on me dira que non,
que les progrès techniques n’ont jamais supprimé
d’emploi, que c’est juste la typologie des emplois qui change, on
me dira que non, que la mondialisation c’est génial, fantastique
et extraordinaire et que ce n’est pas parce que nous fermons nos usines
pour les rouvrir en Chine que nous perdons une quantité importante de
travail.
Je ne répondrai qu’une
seule chose. Quel que soit le pays occidental que vous étudierez, vous
constaterez :
1/ Une augmentation du chômage de masse à partir de 1975, qui
n’est pas liée aux chocs pétroliers mais aux
progrès technologiques qui permettent de faire la même chose
sans les ouvriers. Depuis cette date, le chômage monte inexorablement.
Ce n’est pas lié à la mondialisation qui ne commence
qu’au milieu des années 90.
2/ L’augmentation du
chômage structurel partout dans le monde occidental
s’accélère à partir du début des
années 2000 puisque les délocalisations arrivent en masse.
Alors oui, oui et trois fois OUI,
nous avons un problème fondamental de quantité de travail
disponible et qui n’est pas prêt de s’arranger à
moins de stopper l’idée même de progrès
technologique qui a pour but ultime la suppression du travail.
Le problème c’est que
nos sociétés comme la science économique sont
bâties sur un postulat incontournable qui est la répartition de
la richesse via le concept de travail. Alors comment répartir les
richesses dans une société qui offrira de moins en moins de
quantité de travail ?
Baisser la durée
légale ne permet pas de répondre à cette question
fondamentale que l’on doit désormais se poser.
Autre remarque. Michel Rocard parle
de la durée moyenne de travail en Allemagne (je suis d’accord
pour l’Allemagne) et aux États-Unis avec moins de 31 heures par
semaine. C’est vrai. C’est vrai mais pour votre premier job,
puisqu’en général vous en avez plusieurs. Il s’agit
en réalité de temps partiels qui, de plus en plus nombreux, ne
permettent plus aux gens de joindre les deux bouts.
La durée moyenne de travail n’a rien à voir avec la
durée légale du travail. Si on calculait la même chose
pour notre pays, nous aurions des surprises désagréables.
Pour Rocard, « la bataille du
temps de travail est une constante absolue de l’histoire
ouvrière. Martine Aubry avait imposé les 35 heures contre la
CGT, qui, par sa propre histoire, se consacre davantage aux salariés
en poste qu’aux chômeurs. La méthode a donné lieu
à des complications infernales dans les entreprises. Nous sommes
restés sur cette crispation. Puis Sarkozy a sorti son slogan :
travailler plus…, sans dire si cela concernerait chaque actif
individuellement ou tout le monde ensemble. Je dis qu’il faut
travailler plus tous collectivement pour gagner plus collectivement. Ce qui
permettra de réduire un peu la durée de chacun ».
Son idée ? Baisser la
durée du temps de travail hebdomadaire et l’allonger sur la
« vie » de travail avec une retraite à 65 ans. On
travaille moins chaque semaine mais plus longtemps. Je ne suis pas sûr
que cela soit de nature à améliorer la
compétitivité française…
Finalement, comme l’essentiel
de notre classe politique, nos dirigeants sont à court
d’idées. Ils n’ont plus grand-chose à proposer.
C’est parfaitement
compréhensible dans la mesure où ils sont tous prisonniers
d’un cadre qu’ils ne veulent pas remettre en cause, ce
qu’Albert Einstein avait compris depuis bien longtemps et
résumé de la façon suivante :
« Un problème créé ne peut être
résolu en réfléchissant de la même manière
qu’il a été créé. »
Notre situation est donc à
la fois aussi simple et complexe que ça. Rien de plus et rien de
moins.
Charles SANNAT
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