La technologie
permet de mettre à la disposition de tous des livres d’auteurs
mythiques en ligne, sans coût pour le lecteur et, surtout, parfois sans
aucun débat possible sur les droits de propriété intellectuelle
si l’écrivain est mort depuis plusieurs siècles.
C’est le
cas pour les ouvrages de Rabelais.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, sa pensée, trop
méconnue, est plus que jamais d’actualité en ces temps de
guerres « humanitaires ».
Il faut, pour cela, lire son roman-phare, Gargantua.
Gargantua met
en scène deux rois : le premier est le père du
héros, Grandgousier. Il tient à conserver des relations
cordiales avec ses voisins et n’est ainsi pas dans une logique
belliqueuse. De l’autre côté, il y avait un roi ne
possédant pas ces qualités, Picrochole.
Ce dernier est fou et ne partage pas les « passions pacifistes »
de Grandgousier.
Dans le roman,
nous voyons que Grandgousier ne partira en guerre que contraint et
forcé pour défendre son royaume. Jusqu’au bout, il fera tout
pour éviter le conflit. Le roman se cantonne ainsi à
défendre la guerre juste, ni plus, ni moins. Il rejette toute guerre
« impérialiste », telle que celles que nous
connaissons aujourd’hui.
Rabelais fut l’un
des premiers écrivains de la Renaissance à théoriser la
« guerre juste », après que Saint Augustin et
Saint Thomas d’Aquin avaient commencé à le faire quelques
siècles auparavant. Quelque temps plus tard, Calvin et Luther en
reprendront l’idée.
Le but de ces
penseurs était, à l’époque, de proposer une
solution alternative aux trop nombreux conflits qui déchiraient
l’Europe à la fin du XVe siècle et durant la
première partie du XVIe siècle, à commencer
par les meurtrières guerres d’Italie. Malheureusement, leur
influence sera négligeable, leur sagesse n’empêchant pas
le déclenchement des guerres de religion.
Un autre
penseur majeur entra alors en scène : le Hollandais Hugo de Groot. Ce dernier rappela aux souverains de
l’époque que les guerres qu’ils menaient étaient
« dignes » de celles des Barbares. De nombreux
philosophes s’engagèrent alors, à leur tour, contre les
conflits armés et leurs conséquences. Voltaire insista sur la
destruction humaine généralisée que les guerres
entraînaient.
Certains rois
en prirent conscience, comme Louis XV, qui ne montra aucune
velléité impérialiste après la guerre de
succession d’Autriche.
Hélas,
alors qu’une certaine forme de pacifisme semblait peu à peu
« envahir » l’Europe, la Révolution
française et ses crimes atroces vinrent créer des perturbations
regrettables et détruire l’ordre social. Le XIXe
siècle mit en scène des guerres nécessitant des moyens
humains et industriels encore jamais égalés dans le
passé. Les États-Unis n’échappèrent pas
à la règle, avec la guerre de Sécession.
À
nouveau, certains philosophes firent l’éloge de la paix pour mettre
fin à ce cycle meurtrier. Le meilleur exemple est Kant qui
écrivit, en pleine Révolution française, Projet de paix perpétuelle.
Néanmoins,
l’Allemagne, le pays de Kant, replongea dans la folie belliqueuse. Les
mouvements antiguerre y furent interdits. Même entre les deux conflits
mondiaux, certains pacifistes allemands, comme Ludwig Quidde,
furent arrêtés pour « haute trahison contre l’État ».
Les deux
guerres mondiales ne furent d’ailleurs pas un combat du
« bien » (États-Unis et alliés) contre le
« mal ». Les « forces du bien »
n’eurent pas un comportement irréprochable en 1945, lorsque les États-Unis
décidèrent d’envoyer deux bombes atomiques sur Hiroshima
et Nagasaki, avec les inévitables conséquences humaines qui en
résultèrent.
De même,
que dire ensuite des méthodes françaises contre la population
algérienne dans les années 1950 ?
Aujourd’hui,
au XXIe siècle, la notion de « guerre
juste » a été complètement
dévoyée. Certaines personnes belliqueuses
n’hésitent pas à se l’approprier pour justifier
les guerres menées par les États-Unis contre le terrorisme.
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