Les préjugés
proviennent du fait que les membres d’une société ont
besoin, pour donner sens à leur vie, de grands récits qui sont
comme des rêves éveillés.
Peu à peu, une telle
fiction collective est en train de s’emparer du monde,
l’ « évidence » s’imposant
qu’une minuscule minorité, le « un pour cent, »
profite seule de tous les biens d’une Terre dont elle est responsable
de tous les maux.
Ce dogme étant en voie
de s’imposer, de nombreuses choses doivent
être vraies—quels que soient les faits. Et l’on voit
effectivement se multiplier les préjugés, aussi répandus
que contraire à la réalité, à ce sujet.
Aux États-Unis, on
déplore ainsi de plus en plus le « fait » bien
connu que la progéniture du « one percent économique » constitue un « one percent académique »
destiné à lui succéder.
La chose est si simple :
les enfants des plus riches vont dans les meilleures universités, qui
sont les plus chères, et ont ainsi accès aux emplois les mieux
rémunérés… Et pourtant, les faits racontent une
tout autre histoire.
Pour commencer, seuls 10% des
étudiants en Ivy League ont des parents qui ont fréquenté ce
type d’institutions.
Au sens strict, la
« Ivy League » est une ligue sportive
regroupant huit universités du Nord-Est des États-Unis.
L’expression est cependant généralement employée
pour désigner ce qui serait l’équivalent – privé
– de nos « grandes écoles » :
Harvard, Yale, etc.
Il est vrai que, de ce faible
pourcentage, certains ont certainement été admis en partie au moins
grâce au coup de pouce procuré par les généreuses
dotations de leurs parents « alumni » (anciens
élèves.)
Mais de telles pratiques, commes ces universités l’expliquent
elles-mêmes, contribuent à leur large financement – qui
leur permet d’être aussi généreuses que
sélectives.
Un tiers des
étudiants de
première année de Harvard proviennent de ménages dont le
revenu est inférieur à 100 000 $ par an. Pour donner un ordre
d’idée, le salaire moyen d’un enseignant d’une
école publique est, dans ces États du Nord-Est (Connecticut,
Massachusetts…), de 70 000 $. Clairement, il n’est nullement
question du « 1 % » ici.
(Ceci étant, les revenus
du one percent ne sont pas aussi
extravagants que l’on croit. On y appartient, aux States, dès
lors que l’on gagne plus de 350 000 $ par an.)
Depuis peu, une réforme
a été mise en place à Harvard par laquelle les familles
au revenu inférieur à 65 000 $ peuvent y envoyer gratuitement
leurs enfants – à condition que ceux-ci passent le processus de
sélection, évidemment.
Un autre préjugé
pourrait ici entraver la suite de mon argumentation. « Les plus
pauvres n’ont accès qu’aux pires écoles publiques
et n’ont donc aucune chance de concurrencer les candidats en provenance
de lycées privés », dira-t-on.
En réalité, les
universités en question ont toutes des programmes de
« diversification » (sur tous les plans) de leur
recrutement. En outre, cette objection présuppose que celles des
écoles publiques où vont les plus pauvres doivent être
les pires. Or, non seulement la chose n’est-elle pas aussi simple,
mais, même si tel était le cas, cela demanderait explication.
Contrairement à ce que
l’on croit, ce n’est pas le « manque de moyens »
qui est en cause : les écoles publiques qui marchent mal sont, du
point de vue de leurs ressources (nombre d’élèves par
professeur, formation et salaire des professeurs, manuels,
bibliothèques, équipements sportifs…), tout à fait
comparables à celles qui marchent bien.
Ce serait là, cependant,
le sujet d’un autre article.
D’un côté,
donc, le one percent universitaire n’est
pas du tout la progéniture du one
percent économique. Mais il n’en est pas non plus la
génération future !
Aux États-Unis, le
niveau d’un étudiant est mesuré en termes d’une
moyenne générale, notée entre 1,0 et 4,0, appelée
« GPA ».
Or, le GPA médian des millionaires
est de 2,9, une note tout à fait moyenne, pour ne pas dire
médiocre, correspondant à un B.
Soixante pour cent des millionaires américains ont poursuivi leurs
études dans une université publique (moins chère et plus
accessible, généralement, que les plus prestigieuses
institutions privées). Mais seulement la moitié d’entre
eux détiennent un diplôme universitaire avancé !
Le préjugé, ici,
provient d’une faute de raisonnement. Parce que la poursuite
d’études augmente généralement les perspectives de
revenu, on en conclut que les individus ayant les plus hauts revenus doivent
être ceux qui ont pu s’offrir les diplômes les plus
prestigieux. Or, il n’en est rien, ni sur le plan de la logique, ni sur
le plan des faits.
Statistiquement, il est
indéniablement préférable d’être titulaire
d’un master en business que de ne pas avoir fini le lycée. Mais
les statistiques indiquent des tendances sur des grands nombres. On ne peut
rien en inférer quant à un échantillon dont
l’effectif est inférieur au seuil d’erreur.
De fait, les plus riches des
plus riches sont bien souvent des « college drop outs », ce qui
s’explique d’ailleurs par le fait qu’il s’agit
généralement d’entrepreneurs que leur talent propre
profilait mal pour un patient cursus universitaire.
Évidemment, les
titulaires d’un diplône d’une Ivy League s’en sortent
pour l’essentiel très bien. Mais la raison en est que ce sont
d’excellents élèves, qui s’en seraient tout aussi
bien sortis s’ils étaient allés dans une autre
université. On observe ainsi que la réussite
des élèves admis en Ivy League est la même
qu’ils choisissent d’y entrer, ou bien qu’ils préfèrent
aller dans une institution moins prestigieuse et moins coûteuse.
Une étude célèbre datant de la fin des années 1990 montrait
que 80% des millionaires américains
étaient des « nouveaux riches » – dans le
sens objectif du terme, signifiant que leurs parents n’étaient
pas eux-mêmes fortunés.
La proportion étant si
importante, on peut faire l’hypothèse, en l’absence de données
plus récentes, qu’il resterait globalement vrai, même si
les choses avaient un peu évolué, que « les
riches » ne sont en fait rien d’autre qu’un groupe
nominal dont la composition évolue constamment.
En bref, contrairement à
un préjugé simpliste, il n’est pas vrai que les plus
riches sortent des universités les plus chères, que des parents
fortunés ont pu leur offrir.
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