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Avec la récession qui se
poursuit, la construction européenne continue lentement de se désagréger. Ne
sont pas seulement en cause les contractions du PIB qui se généralisent (et
rendent le désendettement illusoire), mais également le resserrement du
crédit qui affecte particulièrement les pays du sud de l’Europe, devant
lequel la politique monétaire de la BCE est impuissante. La Confidustria, l’organisation du patronat italien, s’en
alarme et la BCE cherche une solution, comme vient de le reconnaitre à
Londres Vitor Constâncio,
son vice-président. Benoit Coeuré, de la BCE, avait
déjà évoqué le danger que le mécanisme de la transmission monétaire soit
cassé, mais Jens Weidmann, président de la Bundesbank,
vient de lancer un nouvel appel à l’ordre en refusant par avance des mesures
en faveur des entreprises sud-européennes, qui selon lui relèvent des banques
d’investissement nationales (qui n’en ont pas les moyens). Les banques
européennes continuent de réduire la taille de leurs bilans afin de se mettre
en conformité avec les nouveaux ratios de fonds propres (plutôt que
d’augmenter ces derniers), ce qui aboutit à une raréfaction du crédit plus ou
moins prononcée suivant les pays. En conséquence, les gestionnaires d’actifs
commencent à se positionner sur ce marché, créant une situation toute
nouvelle en Europe. Mais en Italie, la Banque d’Italie poursuit son examen
des 20 plus grandes banques et se prépare à réclamer le renforcement urgent
des fonds propres de celles-ci, particulièrement pour celles de taille
moyenne.
C’est face à ce constat que
les chefs d’État et de gouvernement européens vont les 14 et 15 mars se
réunir sans aucune assurance de trouver une solution. Pendant ce temps, les
missions de technocrates de la Troïka, tout à l’exercice de leur
mandat, continuent à Athènes et à Lisbonne d’exiger l’impossible, dans des
ambiances très tendues, à des gouvernements discrédités, et le FMI réclame à
nouveau des assouplissements qui ne viennent pas. Sombre tableau qui serait
incomplet s’il n’était pas constaté la montée de la crise politique, dernier
échelon après ceux de la crise financière, économique et sociale.
L’impasse politique italienne,
qui ne semble pas en voie d’être réglée, illustre cet inévitable
aboutissement. Une grande coalition étant impraticable et la formule d’un
gouvernement de technocrates déjà utilisée, il ne reste plus grand chose en
magasin. Au refus du Mouvement 5 étoiles de soutenir le parti démocrate
s’ajoute la fin du mandat du président de la République, qui lui interdit
constitutionnellement de dissoudre l’assemblée pour convoquer de nouvelles
élections. Seul le nouveau président pourra le faire une fois élu, mais le
résultat serait très aléatoire. Enfin, la fin du règne de Silvio Berlusconi,
qui cherche à échapper par tous les moyens à la justice, alimente toujours la
chronique. Dernier plan en date : qu’un sénateur du parti démocrate soit
appelé par Giorgio Napolitano, le président de la
République, afin de mettre sur pied un gouvernement de techniciens…
Mais si les yeux sont à juste
titre braqués sur Rome, ils devraient également l’être sur Madrid. Les deux
grands partis de « la transition démocratique » issus de la chute
de la dictature semblent arrivés au terme de leur récente histoire. Le Parti
populaire est miné par des scandales de corruption qui ont éclaté au grand
jour et le PSOE, qui n’est pas non plus épargné par les affaires, porte au
front une marque indélébile pour avoir engagé la politique que le premier a poursuivi
en l’intensifiant. Les options politiques sont limitées entre le maintien
d’un gouvernement discrédité, un remaniement ministériel profond et la
convocation de nouvelles élections. Mais les deux partis sont assimilés aux
yeux de l’opinion aux privilèges et prébendes dont ils ont allègrement
croqué. À l’instar de ses consœurs, la classe politique espagnole a mis en
place un système de captation de la richesse et a créé un grand vide. On
retrouve ce même phénomène en Grèce et au Portugal, atteignant une ampleur
que l’on ne soupçonne pas vu de l’extérieur.
Si le résultat des élections
italiennes a suscité des déclarations s’apparentant à un véritable déni de
démocratie, au sens où il était clairement proposé de ne pas tenir compte de
ses résultats, qu’en sera-t-il pour la suite qui s’annonce ? Les commissaires
de Bruxelles peuvent continuer à prononcer des ukases sans autres effets que
de faire empirer la situation et la BCE, qui se fait plus discrète, à
marteler le même discours. Les uns et les autres pèsent de peu de poids dans
cette nouvelle dimension de la crise.
Déjà enregistrées au
Royaume-Uni, les tendances centrifuges se renforcent au sein de la zone euro.
« Alternative pour l’Allemagne », un parti eurosceptique de
notables en costumes gris, est en cours de constitution en Allemagne,
secondant le discours du FDP qui joue la défense de l’intérêt national pour
se sauver de la déroute électorale après avoir défendu une ligne
pro-européenne au cours de son histoire. La victoire éclatante prédite à Angela
Merkel aux élections de septembre prochain pourrait
en être ternie.
En France, où le pouvoir est
en place, la chute d’audience du président et du gouvernement s’inscrit dans
une débâcle plus générale au sein de l’opinion, si l’on en croit les sondages.
La perte de confiance dans les uns n’est pas compensée par des gains pour les
autres, extrême-droite comprise. Socrates,
Zapatero, Papandréou… une voie a été tracée et François Hollande qui annonce
à son tour des réformes « courageuses » risque de l’emprunter. Mais
que ce soit au Portugal, en Espagne et en Grèce, la même question reste
pendante : qui assurera la succession des partis et coalitions au pouvoir
quand l’échéance viendra ? Nous nous installons dans le vide.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son
livre, Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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