Ce qu’il nous reste aujourd’hui n’est plus qu’un jeu de
chaises musicales, de schémas de Ponzi, de fraudes,
de ruses, de complots, d’arnaques, de bluffs, de subterfuges, de quantitative
easing, de prétendus et d’une infinité d’autres
moyens de déguiser la réalité. Le fait est qu’il n’existe plus suffisamment
de richesses, et certainement pas suffisamment pour couvrir la toile
d’obligations que nous appelons ‘monnaie’. A chaque fois que quelqu’un,
qu’une société ou qu’un gouvernement se voit demander de s’adapter ou de se
taire, nous risquons de voir se désintégrer cette toile, puisque comme nous
le savons tous, tous ses participants sont dans le rouge. Vous voulez ‘votre’
argent ? Attendez trois jours. En fait, attendez plutôt quatre jours. Oh
non pardon, disons la semaine prochaine. Et que penseriez-vous dans deux
mois? Vous savez quoi? Oubliez ça… Il n’est pas surprenant que tout le monde
s’inquiète.
La situation est clairement en train d’échapper à tout
contrôle. C’est pourquoi ce qui arrive aux citoyens de la pauvre petite
crypto-nation qu’est Chypre a remonté tout le monde. Chypre a cessé de
prétendre. Ses banques sont cuites. Son gouvernement ne peut plus prendre
soin de lui-même. Chypre est trop pauvre pour être une économie moderne. Elle
a échoué dans son rôle de lavomatique monétaire
pour les brigands de Russie et les trafiquants de drogues de Méditerranée.
Les touristes et les retraités feraient bien de faire leurs valises et de
partir dès que possible parce qu’ils n’auront bientôt plus accès à l’argent
dont ils auront besoin pour survivre chaque jour.
Les termes du plan de sauvetage annoncé dimanche dernier
sont pour le moins curieux. Selon le New York Times, ‘le contrat laisserait
de côté l’idée très controversée d’imposer une taxe sur les dépôts bancaires
mais impliquerait toutefois des pertes pour les déposants et les possesseurs
d’obligations’. Dit qui ? A dire vrai, il n’y a aucune différence entre
la fameuse ‘taxe’ et l’imposition de ‘pertes’. Ce n’est qu’une question de
sémantique. Le mot ‘taxe’ a été oublié il y a deux semaines après que l’Union
Européenne ait proposé au gouvernement Chypriote de plumer ses déposants.
Cette proposition n’a bien entendu pas été bien accueillie, c’est pourquoi on
n’entend plus parler aujourd’hui que de levées sur les comptes épargne de
plus de 100.000 euros et de pertes pour les détenteurs d’obligations
bancaires. Quant aux dépôts bancaires de moins de 100.000 euros… vous pouvez
les récupérer, le piège étant bien entendu que les banques sont actuellement
fermées… Et l’argent de l’Union Européenne n’atteindra certainement pas les
côtes de Chypre avant mai. Peut-être l’Union l’envoie-t-il par voilier dans
l’espoir que le vent soit bon.
Chypre est encore sur le point de devenir la pupille de
quelqu’un. Elle a été celle de la Turquie et de la Grande-Bretagne au cours
de ces 400 dernières années. Sa population est composée de 60% de Grecs et de
40% de Turcs, ce qui rend sa gouvernance chroniquement inconfortable. L’île
demeure divisée en deux régions hostiles, et si vous l’observez sur une
carte, vous vous rendrez vite compte qu’elle est bien loin de la Grèce et
plutôt cachée sous le ventre de la Turquie. Elle est un centre naval
stratégique en raison de sa proximité avec le Proche-Orient et est occupée à
la fois par des troupes de l’OTAN et des militaires Britanniques – ce qui est
assez pratique, compte tenu de la situation au Proche-Orient qui se dégrade à
mesure que les nations s’effondrent et menacent les réserves mondiales de
pétrole. Je suppose que la Turquie reprendra un jour en main l’administration
de Chypre en raison de sa proximité géographique avec l’île. Il est dît que
Chypre possède des réserves de gaz offshore considérables, mais que la
politique y soit si problématique qu’une grande partie de ces réserves puisse
ne jamais être récupérable sur le plan logistique, particulièrement tant que
le reste du Proche-Orient sera en flammes.
Le plan de sauvetage actuel, avec ses confiscations et ses
décotes, est le premier de son genre. Jamais, depuis le début du mélodrame
Européen, n’avions-nous entendu parler de l’idée du vol de propriété privée
des citoyens d’un pays membre par les autorités. C’est pourquoi cette notion
s’est réverbérée instantanément à travers l’Europe. Pourquoi la même chose ne
pourrait-elle pas se produire en Italie, en Espagne, au Portugal, en Irlande
ou en Grèce ? Et certains se sont même demandés
tout haut si le gouvernement des Etats-Unis ne pourrait pas se lancer dans un
projet similaire, en forçant par exemple les retraités à placer leur argent
sur des instruments du Trésor.
N’oublions pas non plus que l’argent puisse ne plus être
là. Qu’il n’en existe plus nulle part. Les banques sont insolvables. Elles se
sont débarrassées de leurs réserves pour obtenir du papier – comme toute
autre entreprise autour du monde – et il se trouverait maintenant que leur
collatéral ne soit qu’une mauvaise blague. Les déposants des banques de
Chypre pourraient bel et bien perdre leur argent, mais l’Union Européenne ne
collecterait rien. Et voilà un autre plan de sauvetage qui ne s’avèrerait
être rien de plus qu’une fanfaronnade. Le fait est qu’il soit peut-être
impossible de saisir de l’argent dans quelque banque Européenne que ce soit,
parce que plus aucune d’entre elle n’en possède encore. Peut-être le fiasco
de Chypre a-t-il poussé certains à reconnaître la banqueroute totale du
système.
Toute cette charade est bien loin d’être terminée. Nous
assisterons a bien d’autres paniques bancaires, qui pourraient ou non se
traduire par des files de déposants faisant la queue devant les jolis
bâtiments de villes Européennes à mesure que les arbres des grandes avenues
commenceront à bourgeonner. Alors que commenceront les activités post-Chypre,
du capital pourrait tout simplement fuir l’Europe vers les griffes de Jamie Dimon et autres faiseurs de miracles.
Toutes les discussions autour de la crise ont manqué de
prendre en considération les forces des ténèbres qui se déplacent dans
l’univers parallèle du racket que sont les produits dérivés – qui devraient
suffire à faire exploser ce qu’il reste de légitimité financière malgré les
excuses et stratégies que trouveront encore les gouvernements et les banques
centrales. Ceux qui dirigent le monde devront accepter l’idée que personne ne
peut couvrir ses pertes, et que ces pertes continueront de grimper à chaque
fois qu’une banque centrale appuiera sur un bouton.
Bienvenue dans l’ère de la monnaie fantôme.