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Ce n’est pas pour son intérêt
touristique que l’île d’Aphrodite (la déesse de la
beauté serait née à Chypre selon la Théogonie
d’Hésiode) fait la Une des journaux depuis plusieurs jours. Il
s’agit en revanche de l’actualité économique et
plus précisément de la décision du gouvernement chypriote
de taxer à hauteur de 6,75 % les dépôts bancaires de
moins de 100 000 euros, et de 9,9 % tous ceux qui dépassent ce seuil. À
l’heure où ce billet est rédigé, cette taxe vient
d’être refusée par le parlement chypriote. En l’absence
de secret bancaire, il n’existait pas de véritable obstacle
technique à son application, si ce n’est son rejet violent de la
population. Compte tenu de son originalité, il est toutefois
intéressant de revenir sur le principe de cette taxe et d’en évaluer
les conséquences économiques.
Afin de mieux évaluer la portée
économique de cette taxe inédite, il convient d’abord d’en
comprendre le contexte. Il s’agit d’une taxe mise en œuvre dans
le cadre d’un accord que le gouvernement chypriote aurait
négocié avec la troïka (le Fond monétaire international,
la Commission européenne et la Banque centrale européenne) pour
recevoir une aide 10 milliards d’euros, ce qui devait permettre au
gouvernement chypriote d’équilibrer les comptes des trois
principales banques du pays (les Banques de Chypre, Laiki
et Hellénique) sévèrement exposées à la
crise de la dette publique grecque. Puisque ces trois banques
détenaient des quantités importantes d’obligations
souveraines grecques, elles ont été lourdement
pénalisées après l’effacement de 107 milliards d’euros
de dette grecque.
Indépendamment du défaut du secteur bancaire,
depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004, Chypre
se distingue des autres pays-membres par sa fiscalité
particulièrement faible et donc très attrayante pour nombre
d’entreprises, beaucoup plus taxées dans leurs pays
d’origine.
Certes, en termes de transactions financières, Chypre reste
un paradis fiscal relativement petit par rapport au Luxembourg ou à l’île
de Man. Ce pays reste néanmoins très attractif puisque l’impôt
sur les sociétés y est de 10% en dessous de 1,7 millions
d’euros (dans le paquet négocié la semaine
dernière avec les bailleurs de fonds, il passera à 12,5%), et
de 15% au-delà. Quant à l’impôt sur le revenu, il
est de 30 % pour la tranche supérieure. Ceci a permis d’attirer au
cours des dix dernières années d’importants capitaux
étrangers puisque le taux moyen d’imposition sur les entreprises
dans l’Union européenne était, selon Eurostat, de 26% en
2012. De fait, la petite île d’environ 800 000 habitants compte plus
de 50 000 sociétés et des actifs bancaires huit fois plus
importants que son produit intérieur brut.
Ce
sont sans doute ces chiffres qui expliquent l’accord entre la
troïka des bailleurs de fonds et le gouvernement chypriote. D’une
part, l’intérêt de la troïka était
d’enlever à Chypre son statut de paradis fiscal, qui dérange
les autres membres de l’Union depuis son entrée. D’autre
part, le gouvernement chypriote voyait dans cette taxe qui visait tous les
comptes bancaires une alternative à une taxe sur le revenu, qui aurait
exclusivement touché les chypriotes.
Sur
le plan moral, cette taxe s’apparente tout simplement à un hold-up
car, en dépit des rumeurs, elle est arrivée de manière
inattendue. Le jour de son annonce avait été soigneusement
programmé le 18 mars (le lundi gras orthodoxe), jour
férié à Chypre qui ne laissait ainsi aucun autre moyen aux
détenteurs de compte sur l’île de se précipiter sur
les distributeurs automatiques de billets afin d’y retirer le maximum
d’argent de leurs comptes bancaires personnels.
Quant aux conséquences à moyen terme d’une
éventuelle application de ce type de taxe, elles sont dommageables
pour l’économie. Puisqu’une telle taxe touche non
seulement les résidents mais aussi les investisseurs attirés
par des conditions fiscales favorables, elle affecte non seulement
l’épargne des citoyens mais aussi les capitaux étrangers,
qui peuvent trouver d’autres horizons plus attrayants fiscalement. Leur
départ pénalise donc lourdement et brusquement une
économie qui dépend de ces investissements. Ces effets sont
durables car il est ensuite très difficile de regagner la confiance du
monde des affaires, et cela ne peut que se répercuter sur
d’autres aires géographiques car ils démontreront la
facilité avec laquelle le climat des affaires peut changer d’un
jour à l’autre. Finalement, le parlement chypriote y a
renoncé.
Reste que pour se protéger de ce genre de taxe,
l’achat de l’or physique reste la seule solution de préserver
son épargne car il permet d’échapper à la taxation
tout en conservant des actifs à la fois liquide et d’une valeur
stable. Cette taxe doit par ailleurs être interprétée comme
un signal pour tous les détenteurs d’actifs visibles. À
la recherche de nouveaux revenus, les États visent en premier les
ressources qui sont déjà cartographiées : les salaires,
les échanges commerciaux, les biens immobiliers ou encore les comptes bancaires
(là où il n’existe pas de secret bancaire). Parmi tous
les moyens existants pour protéger son épargne, l’or
reste donc la meilleure solution.
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