Mes chères contrariées, mes chers contrariens
!
Si je suis opposé au mariage pour tous, je suis forcément un horrible
homophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme d’islam, je suis forcément un
horrible islamophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme de multiculturalisme, je suis
forcément un horrible xénophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme de politique menée par Israël,
je suis forcément un horrible judéophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme d’Europe, je suis forcément
Europhobe, ce qui est nettement pire qu’être Eurosceptique ce qui n’était
déjà pas terrible.
Évidemment, si je suis opposé à la politique économique allemande, je
suis forcément germanophobe.
On peut multiplier les exemples de « phobies » à l’infini ou presque.
Un processus
intellectuel d’une grande dangerosité
À ce niveau du texte, et vous allez voir le processus intellectuel à
l’œuvre, ma femme intervient et m’explique que je ne peux en AU-CUN cas
personnaliser les choses de cette façon-là car, comme de bien entendu, tous
mes lecteurs vont penser que je suis un horrible et affreux homo-xeno-judéo-islamo-euro-germano-PHOBE… Baaaaa
caca boudin beurk !
Il faut donc impérativement reprendre ce début de texte qui aura choqué
(mais c’est aussi l’époque des « chocs » multiples) pour le remplacer par
quelque chose de plus audible, de plus lisible, quelque chose que l’on peut
tenter éventuellement d’exprimer avec moult précautions oratoires afin de
coller à une époque où l’expression d’une pensée libre devient de plus en
plus difficile et dangereuse.
Si quelqu’un est opposé au mariage pour tous, il est forcément un
horrible homophobe.
Si quelqu’un est opposé à une certaine forme d’islam, il est forcément
un horrible islamophobe.
Si quelqu’un est opposé à une certaine forme de multiculturalisme, il
est forcément un horrible xénophobe.
Si quelqu’un est opposé à une certaine forme de politique menée par
Israël, il est forcément un horrible judéophobe.
Si quelqu’un est opposé à une certaine forme d’Europe, il est
forcément Europhobe, ce qui est nettement pire qu’être Eurosceptique ce qui
n’était déjà pas terrible.
Évidemment, quelqu’un qui est opposé à la politique économique
allemande est forcément germanophobe.
On peut multiplier les exemples de « phobies » à l’infini ou presque.
Donc lorsque l’on souhaite exposer quelque chose de choquant, il faut
toujours le faire en « dépersonnalisant » les propos pour éviter tout
amalgame (autre mot très à la mode).
Qu’est-ce
qu’une « phobie »
En gros, c’est une maladie psychiatrique liée au rejet très fort,
pathologique, genre des araignées… On a le droit de parler des araignées.
C’est sans danger vis-à-vis de la police de la pensée.
Wikipédia rajoute que, par extension, le terme "phobie" désigne
aussi dans le langage courant un sentiment individuel ou collectif allant de
la détestation à la haine accompagné d'une attitude hostile, de rejet et de
crainte vis-à-vis d'une catégorie de personnes, ou parfois d’une activité ou
d’un phénomène.
Empêcher de
poser des problèmes et limiter la réflexion
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Interdire l’expression d’une
pensée non-conventionnelle ou allant à l’encontre de
la pensée dominante. C’est l’objectif du qualificatif « phobe
» apposé à tous les opposants à quelque chose.
Or s’opposer est normal et sain. Dans tout processus de décision
pertinent, il faut d’ailleurs qu’il y ait un processus « d’avocat du diable
», à savoir que l’on doit pouvoir défendre l’idée inverse, l’exact opposé,
seule façon de savoir si la décision qui sera prise peut être la bonne.
Une bonne décision doit pouvoir résister à la critique. Or on prend
des décisions, peu importe lesquelles qu’il s’agisse du mariage pour tous à
l’arrimage de la politique économique française à la méthode allemande, en
empêchant tout débat et très rapidement la fin de partie est sifflée en
taxant les propos des opposants de participer d’une phobie quelconque.
Or être un «
phobe », c’est être un extrémiste et être passible
de poursuite
L’expression libre, c’est-à-dire la liberté de penser et d’exprimer,
s’efface progressivement face à l’expression contrôlée et autocontrôlée. Ce
glissement est particulièrement flagrant lorsque l’on lit les constitutions
ou les déclarations des droits de l’homme.
Ainsi, celle
de 1948 ratifiée à l’ONU indique dans son article 19 :
Article 19
Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui
implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de
chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
Il n’y a dans cette définition aucune limitation, y compris pour des
idées qui pourraient révulser la plus grande majorité d’entre nous, pourtant,
dans cette définition, la liberté d’opinion et d’expression ne se discute
pas. Elle ne peut pas, par définition, être limitée par quelque principe que
ce soit, car limiter la liberté d’opinion c’est en réalité supprimer cette
liberté.
Dans la
Constitution française, l’approche est très différente.
Article XI
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits
les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas
déterminés par la Loi.
La liberté d’expression est donc encadrée par la loi, et dans le cadre
sans doute du « choc de simplification » souhaité par le président actuel,
les limitations sont de plus en plus nombreuses. En disant cela, je ne
critique pas et ne me prononce pas sur le bien-fondé de telle ou telle
limitation. Je constate simplement que l’expression de la pensée est de plus
en plus limitée.
Or le
président de l’Assemblée nationale est lui aussi sommé de se la fermer !
Bartolone est le 3e homme le plus important de nos institutions. Il
est le troisième dans l’ordre de succession. Président de l’Assemblée
nationale est un poste important. À ce titre, les paroles prononcées doivent
effectivement être pesées.
Quel est le
crime germanophobe qui a été commis par Monsieur Bartolone ?
Il a osé parler de « confrontation avec l’Allemagne ». Alors certes,
on peut dire que les mots sont malheureux, jouer les puristes des bons
sentiments à l’égard de nos grands « zamis »
allemands, mais dans ces colonnes je suis le premier à dire et à répéter
depuis des mois que l’austérité allemande est une impasse pour l’Europe et la
chronique d’une catastrophe annoncée pour notre pays.
Mais une fois que l’on a dit cela, quelle est la prochaine étape ? La
prochaine étape est forcément celle de la confrontation avec l’Allemagne sur
la stratégie économique de l’Europe. Et l’étape suivante ? Soit les Allemands
adoucissent l’austérité et acceptent une partie de monétisation, soit ils
restent inflexibles. Et s'ils restent inflexibles ? Eh bien l’un des deux
pays devra sortir de l’euro.
Les rapports entre pays sont surtout des rapports de force. S’imaginer
obtenir quoi que ce soit en étant béni-oui-oui gentil, tendance bisounours est d’une naïveté confondante.
Bartolone
aurait sans doute pu s’exprimer autrement
Oui le président de l’Assemblée nationale aurait certainement pu
s’exprimer avec plus d’élégance et en conservant tout autant de force.
« On ne peut pas demander à nos zamis
allemands de payer pour le reste de l’Europe. Pour deux raisons. La première
parce qu’il n’est jamais juste de faire la poche des autres. La deuxième
parce que l’Allemagne n’a pas et n’aura pas les moyens de payer pour toute
l’Europe.
En revanche, nos zamis allemands doivent comprendre
que la société française ne sera jamais la société allemande. L’austérité et
la rigueur depuis 5 ans ruinent les pays du sud. Nos fragilités sociales ne
sont pas les mêmes. Nous ne pouvons passer après 40 ans d’assistanat total à
un système totalement libéral sans faire s’effondrer la stabilité sociale de
notre pays.
Logiquement, nous devrons à un moment ou un autre tirer les
conclusions et assumer les conséquences qui s’imposent d’une telle divergence
entre nos deux pays en gérant au mieux, ensemble, une monnaie unique et des
institutions communes qui doivent s’adapter à cette nouvelle donne. »
Voilà ce que j’aurais dit à nos zamis
allemands, car cette position me semble juste et voilà ce que Bartolone
aurait mieux fait de dire. Mais cela ne change pas grand-chose au fond.
Se servir de
l’Allemagne pour faire de l’austérité
Toute l’ambiguïté française, en tout cas de nos dirigeants se situe à
ce niveau. D’un côté, tout le monde a bien conscience qu’il faut chez nous
réduire le poids de l'État devenu trop lourd depuis trop longtemps. La
tentation est donc très forte de se servir de l’Allemagne pour mener ces
réformes qui sont politiquement impopulaires.
Mais ce faisant, nous ne pouvons que faire se développer un sentiment
de « germanophobie » dans notre pays puisque nos misères sont… la faute à
l’Allemagne.
L’Allemagne n’est pour rien dans notre situation. Nous sommes un
mauvais élève qui n’a pas assez travaillé. Nous
avons de mauvaises notes. Nous venons d’être collés au BAC et nous accusons
le prof. C’est bête, stupide, et cela ne règlera aucun problème.
Ce n’est pas
en faisant taire les opposants à l’euro que nous sauverons l’Europe
C’est une grande erreur qui est commise par les Europathes.
Après tout, si on peut être qualifié d’Europhobe, je revendique le droit et
la liberté linguistique de qualifier les pro-Europe…
d’Europathes, car ils sont devenus des psychopathes
de l’Europe, des extrémistes, ne voyant pas que pour sauver le rêve de
l’Europe, il faut que l’Europe protège les peuples.
La monnaie unique n’est qu’un petit bout d’Europe, car l’Europe est
une idée bien plus grande et bien plus vaste que l’euro. L’Europe ne doit pas
avoir peur de faire évoluer l’euro, elle doit craindre par contre le rejet
fondé des peuples.
Alors oui mes chers contrariens, je suis et
je le revendique (tout en sachant que l’on est toujours le con de quelqu’un),
je l’avoue, je le confesse, je suis conophobe. Ce
qui est bien avec la connerie, c’est que c’est une qualité œcuménique. Elle
concerne toutes les couleurs de peau, d’origine, tous les courants
politiques, tous les pays et toutes les époques.
Le grand problème intellectuel de notre pays, c’est que le
politiquement correct, les peurs de toutes les phobies, l’idéologie de
l’égalitarisme absolu et éternel, nous empêchent de poser les vrais
problèmes. Nous n’avons plus le droit de penser et de réfléchir librement.
Et comme disait quelqu’un de célèbre en d’autres temps et dont vous
reconnaîtrez les paroles… « et pourtant elle tourne ! »
On peut dire de Bartolone qu'il est "germanophobe", et
pourtant il y aura bien une confrontation entre la France et l'Allemagne...
et elle a déjà commencé car, en Allemagne, depuis quelques mois, le climat
est clairement "francophobe", mais cela on ne vous le dira pas,
puisqu'il faut croire au mythe de la grande "amitié"
franco-allemande.
D'ailleurs, je vous conseille la lecture du remarquable article
d'Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph en date du 26 avril et que personne ne
prend le temps de lire et/ou de reprendre. Le titre de son dernier article ?
La Bundesbank déclare la guerre à Mario Draghi et à
la BCE... Ceci expliquant sans doute cela!
Charles
SANNAT
Editorialiste et rédacteur du Contrarien
Matin
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
http://www.lecontrarien.com/
Ceci est un article 'presslib', c'est à dire libre de reproduction en tout ou
en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession
de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com. Article écrit
par Charles SANNAT, Directeur des études économiques. Merci de visiter
notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com
http://www.liberation.fr/politiques/2013/04/2...et-signe_899728
http://www.un.org/fr/documents/udhr/#a19
http://www.telegraph.co.uk/finance/financi...-top-court.html