S'expliquant
sur la cession de parts de l'État dans Safran et EADS, le ministre de
l'Économie Pierre Moscovici a assuré les Français qu'il
ne s'agissait pas là d'un « retour des
privatisations » : pas question pour
« l'État stratège » d'abandonner son
poste, bien au contraire – l'heure est à l'investissement. Et
c'est loin d'être rassurant quand on sait ce qu'investir signifie pour
le gouvernement.
Une
définition large de l'investissement
Le Premier
ministre Jean-Marc Ayrault l'a clairement expliqué : l'argent
récolté ne servira pas à « boucher les trous
du budget », il sera investi pour stimuler la croissance.
Autrement dit, pas de nouvelles dépenses en vue. L'ennui, c'est que
cette distinction entre dépenses et investissements ne correspond pas
à la réalité.
Cela tient aux
fondements théoriques des politiques de relance par la demande. Du
point de vue keynésien qui est celui de nos ministres, toute
dépense publique engagée pour augmenter la demande peut
être considérée comme un investissement, dans la mesure
où la demande est supposée agir sur l’offre et la
croissance. En outre, dès lors qu'est reconnue l'importance du
« capital humain », n'importe quelle dépense est
a priori justifiée, de la formation professionnelle aux chèques
culture en passant par les festivals musicaux, sans parler des remboursements
de frais médicaux tenus implicitement pour des « frais
d'entretien » de la force de travail...
Priorité
à l'échec
Au flou
théorique entourant les notions de dépenses et d'investissement
s'ajoute l'habituelle prétention du gouvernement à faire plier
les règles de l'économie sous la volonté du politique.
C'est ce qu'ont montré récemment les réactions au refus
de la Banque publique d'investissement (BPI) de « sauver »
les salariés d’Arcelor-Mittal à
Florange ou ceux de Petroplus en Seine-Maritime. Au
directeur général de la BPI Nicolas Dufourcq,
qui expliquait que « ce n'aurait pas été un bon
business », le ministre du redressement productif Arnaud
Montebourg a répondu que le rôle de la BPI était
« justement de financer là où le secteur financier
ne veut pas financer. »
Car la BPI,
explique sa porte-parole et vice-présidente Ségolène
Royal, n'est pas une banque comme les autres : elle doit prendre des
risques en finançant des projets dont la rentabilité n'est pas
immédiate. Jean-Pierre Jouyet,
président du Conseil d'administration de la BPI et directeur de la
Caisse des dépôts et consignations, s'était engagé
à investir dans les « bons projets ». Il n'en
sera rien : la BPI aura pour rôle de financer en priorité
les projets les moins susceptibles de convaincre les « banques
ordinaires » – les projets les moins solides, en somme.
Dans ces
conditions, faut-il se sentir rassuré quand MM. Ayrault et Moscovici
martèlent que la France a besoin d'investir ? Comment les
Français sont-ils censés réagir quand on leur explique
que l’argent public sera investi dans les projets les plus
risqués ? Il faut le faire « sans creuser les
déficits », explique le ministre de l'Économie. Mais
comment prendre de telles déclarations au sérieux tandis que
Ségolène Royal récuse la distinction « entre
ce qui est juteux et ce qui ne l'est pas » ?
Mauvaise
nouvelle, donc, pour les tenants de la rigueur – mais avenir radieux
pour le gouvernement, qui, à travers ces nouvelles subventions
maquillées en investissements, se donne les moyens de sa
démagogie. Avec l'argent des autres, bien entendu.
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