À moins bien sûr de ne plus lire que ce blog et de le considérer comme une source d’informations fiables (fou que vous êtes !), vous devez déjà avoir entendu parler de PRISM, de surveillance massive, de réseaux sociaux et de la carrière d’Obama qui pourrait rétrécir. Comme nous allons le voir, ça se joue aux USA, mais ça se joue surtout partout dans le monde, ici et maintenant.
Bon, histoire de vous mettre un peu de contexte sur deux ou trois paragraphes, résumons l’affaire qui agite la blogosphère actuellement.
En substance, tout part d’un certain Edward Snowden qui, il y a quelques jours, a permis de montrer, preuves à l’appui, que la NSA et la CIA espionnent directement toutes les sources de données informatiques comme Facebook, Twitter, Google, tous les appels téléphoniques qui passent, sans jamais calmer l’appétit de ces agences de renseignements. Bien évidemment, cette révélation n’étonne pas, à proprement parler : tout le monde se doutait déjà que les divers services d’intelligence des Etats-Unis récupéraient toutes les données qu’ils pouvaient, de toutes les façons possibles, y compris celles dont la légalité est douteuse (voire inexistante). Mais la preuve apportée, voilà un pavé dans la marre d’Obama (dont on se souvient qu’il avait, en son temps de sénateur, vertement tancé Bush pour ses écoutes). Effet secondaire amusant : les obamolâtres, nombreux dans la presse ici et outre-Atlantique, doivent faire face à un nombre assez conséquent de scandales de plus en plus importants qui remettent largement en question le mythe comique de président intègre qu’ils s’étaient employés à construire, par différentiel avec un Bush à la probité elle-même très discutable. Pour le moment, c’est surtout internet qui s’en donne à cœur joie ; on attend les éditoriaux outrés ou larmoyants de ces journalistes qui n’ont toujours pas compris que le président actuel n’a rien à envier aux précédents en terme de mauvaise foi ou de pratiques douteuses.
Pendant ce temps, le fond de l’affaire (l’espionnage industriel d’une grande puissance à des échelles jamais atteintes auparavant), il faudra sans doute des jours, voire des semaines pour que les conséquences et implications soient pleinement comprises. Les spécialistes de la sécurité informatique savaient déjà que les principaux fournisseurs de services américains pouvaient, sur simple demande de leur gouvernement, livrer tout ou partie d’informations confidentielles. Pas étonnant, dès lors, que bien des firmes européennes, chinoises ou japonaises pour ne citer que ces acteurs économiques, aient choisi de ne surtout pas héberger de données dans les magnifiques « clouds » hébergés chez l’Oncle Sam.
Il n’empêche : compte-tenu de l’importance américaine dans le réseau internet, tôt ou tard, des données en transit d’un point à l’autre du globe ont de bonnes chances de passer par les routeurs américains, et par voie de conséquence, d’être interceptées, analysées voire stockées pour le compte de l’une ou l’autre agence de renseignement des États-Unis. À la limite, si la fibre commerciale américaine reprend le dessus, ils pourraient même envisager de commercialiser une telle fonctionnalité. Ça ne rendra pas l’opération plus éthique, mais certainement plus profitable.
Mais plus sérieusement, toute cette affaire permet de montrer deux choses : la première, évidente, est que l’État (qu’il fut américain, français ou autre ne change rien) ne reculera jamais lorsqu’il s’agira d’utiliser les technologies à son profit. Aucune constitution, aucun garde-fou juridique, aucune éthique gouvernementale ne permettra d’assurer un comportement restreint, idoine ou tout simplement moral de sa part. Dès lors qu’il existera la possibilité pour lui d’obtenir un moyen supplémentaire d’asservir sa population, il l’utilisera. Le fait d’être dans une démocratie plutôt qu’une dictature changera marginalement la vitesse à laquelle les services étatiques mettront en place ces moyens. Quant aux raisons invoquées, elles seront toujours, invariablement, les mêmes : échangez-moi un peu de votre liberté (dont vous ne savez que faire, enfants) en l’échange d’un peu plus de sécurité. Et plus l’État s’occupe de sécurité, plus il fait de l’individu un petit animal craintif ayant peur du lendemain, plus il sera facile au plus froid des monstre froid de s’approprier toute la liberté de chacun.
La seconde, c’est que, dans ce tableau assez noir subsiste heureusement quelques zones de lumière. Aussi puissante soit l’organisation qui décide ainsi d’espionner chacun, aussi phénoménaux soient les moyens techniques, humains, financiers dont elle dispose, il se trouvera toujours un ou plusieurs individus pour dire « Stop », pour pointer du doigt les dérives, pour dénoncer les abus, pour révéler les abominations. Tout libéral, bien sûr, comprendra cette dernière remarque, et tout individu, libéral ou non, comprendra aussi ce que de telles dénonciations, que de telles révélations peuvent comporter comme risque sur celui qui les faits. Rien qu’à ce titre, le jeune Snowden mérite le plus grand respect pour le courage dont il a fait preuve, courage qui l’amènera, au mieux, devant les tribunaux de son pays, ou à une vie d’exil et de fuite, ou, pire encore, à une mort louche, suicidé au fin fond d’une forêt avec trois balles dans le buffet. Le terme héros, largement galvaudé de nos jours, n’est probablement pas trop fort pour désigner un type qui aura choisi ainsi de foutre sa vie en l’air, aussi ouvertement, en l’échange d’une révélation ou pour avoir fichu un doigt dans l’œil de Big Brother.
« Je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement américain détruire la vie privée, la liberté d’Internet et les libertés essentielles pour les gens tout autour du monde au moyen de ce système énorme de surveillance qu’il est en train de bâtir secrètement. »
Au passage, devant ce constat que l’État s’appropriera toujours les technologies les plus avancées pour son agenda propre, on peut mener deux réflexions : celle de Julian Assange, par exemple, qui consiste à ne voir qu’une issue catastrophique à l’usage de ces technologies, essentiellement résumée par un totalitarisme dont la RDA elle-même n’aurait pu rêver, où tout le monde sera constamment sur écoute, surveillé, suivi par les services de l’État et immanquablement manipulé, qui par l’État lui-même, qui par les grandes corporations commodément acoquinées à ce dernier. À côté, Orwell passe pour un optimiste. Et il y a cette autre réflexion qui consiste à demander un État toujours plus faible, plus modeste, plus petit, et dont la taille réduite assure que les débordements seront plus facilement contenus. Ceux qui comprennent la lourde probabilité de la première vision ne peuvent que réclamer la seconde, sans même parler des aspects purement économiques et sociétaux qu’entraînent un État réduit.
Ce XXIème siècle est, même en 2013, encore jeune. Il n’est en rien écrit que l’Humanité devra en passer par un gouvernement mondial, à l’instar des désirs humides d’Attali. Il n’est pas plus écrit que la technologie sera, immanquablement, un fardeau, une nouvelle forme d’oppression plus ou moins douce, un panoptique moderne et technoboosté. Bien sûr, la récente affaire PRISM, les révélations de Snowden et les réflexions tristounettes d’un Julian Assange en mal de notoriété montrent très bien qu’on a déjà commencé à trotter vigoureusement dans la mauvaise direction. Mais l’analyse permet de comprendre que le mal n’est pas intrinsèquement dans la technologie, mais dans la taille qu’on a accordée aux États, qui, de fait et même avant l’arrivée de cette révolutions numérique, contrôlent maintenant les aspects les plus importants de notre vie : ce que nous mangeons, qui nous soigne, qui nous éduque, qui nous fournit notre monnaie.
Chacun de ces domaines pourrait largement bénéficier d’un retrait de l’État. Et s’il y a bien un message qu’il faut entendre et que ces affaires mettent en exergue, c’est le message libéral.