Vous pourriez penser que vous
n'avez pas besoin de vous inquiéter des programmes étatiques
secrets recueillant les données téléphoniques et
numériques des citoyens ordinaires. Il y a plus de 500 millions
d’Européens et 300 millions d’Américains et la
majorité de leurs communications sont peu susceptibles d’attirer
l’attention des services de sécurité.
Nous ne vivons pas dans le monde
d’Ennemi d’État et
pouvons faire confiance à la foule anonyme (plus de 800 000 aux
États-Unis, par exemple) de bureaucrates, militaires et contractants
privés pour gérer toutes ces données de manière
responsable.
Je plaisante.
Un citoyen ordinaire n’a (presque) rien à craindre…
Réflexion faite, vous
devriez être inquiets. Pas parce que la plupart d’entre vous
êtes susceptibles d’avoir votre vie privée violée
et exposée publiquement ; si vous êtes un citoyen ordinaire
qui ne fait jamais rien pour attirer l’attention, vous n'avez probablement
pas à vous préoccuper.
Même si
l’enregistrement de vos connexions Internet et de vos appels
téléphoniques contient des informations que vous souhaiteriez
garder pour vous (le lieu ou la façon dont
vous gérez votre épargne, l’appartenance à un groupe
donné, vos fréquentations passées ou présentes,
un flirt en ligne, une référence à la consommation de
psychotropes ou des habitudes pornographiques particulières), elles
sont perdues dans la masse des communications des autres personnes et ne
seront probablement jamais publicisées.
L’enjeu n’est pas
là.
… mais le dissident potentiel si…
Le véritable risque
réside dans la conséquence de cette situation pour les
dissidents potentiels, les dénonciateurs, les journalistes
d'investigation et quiconque pense que certains aspects des actions
étatiques pourraient être inefficaces, stupides, contraires
à l'éthique ou même illégales.
Si vous êtes une de ces
personnes - même dans un seul domaine - et que vous décidez de
rendre vos préoccupations publiques, il est possible que quelqu'un qui
n'aime pas ce que vous dites décide de voir ce qu'il peut
découvrir vous concernant.
Et ce ne sera pas forcément
un procureur ; cela sera peut-être un bureaucrate anonyme de niveau
intermédiaire ou un employé zélé d’un
service de sécurité. Il le fera par devoir, pour avoir une
promotion, pour plaire à ses supérieurs ou pour avoir son quart
d’heure de gloire. Peu importe : à moins que vous ayez
vécu une vie immaculée, vous pourriez vous réveillez un
matin et découvrir qu’un aspect critiquable de votre vie est
soudainement discuté ouvertement dans les journaux.
Ces préoccupations vous
semblent-elles exagérées ?
Rappelez-vous que lorsque l'ancien
diplomate Joseph Wilson a publié un éditorial
dénonçant les mensonges du précèdent gouvernement
américain qui prétendait que Saddam Hussein cherchait à
acquérir de l’uranium au Niger, certains fonctionnaires ont
décidé de le punir en faisant sauter la couverture de son
épouse, agente de la CIA.
Rappelez-vous que David Petraeus a perdu son emploi en tant que directeur de la
CIA car, dans le cadre d’une autre affaire, un agent du FBI de bas
niveau a commencé à se pencher sur les communications de son
biographe.
Ayez à l’esprit
toutes ces personnes qui se sont maintenues, se maintiennent et se
maintiendront à des postes importants en amassant des dossiers
compromettants sur des personnalités publiques.
Compte tenu de tout cela,
n’y a-t-il vraiment aucune raison de croire que ce flot de
données ne sera jamais orienté à des fins
politiques ?
… et cela fait toute la différence entre un groupe de
moutons apeurés et un pays de citoyens libres.
Cela signifie que toute personne
qui veut contester la politique de l’État devient une proie
facile et doit s’attendre à voir sa vie privée
étalée sur la place publique même si cela n'a rien
à voir avec le problème soulevé. Et l’État
a une longueur d’avance par rapport au citoyen, car il dépense
des milliards (venant de la poche des citoyens, quelle ironie !)
à collecter ces informations.
Un débat franc et
conflictuel sur les questions importantes est la marque d’une
démocratie saine et fonctionnelle. Il est important de pouvoir
examiner et, si besoin s’en fait sentir, contester ce que font les
agents d’État. Les personnes travaillant pour
l’État, quelle que soit leur catégorie et à tous
les niveaux, ne sont pas des suzerains à qui les citoyens doivent
obéissance. Dans une démocratie, les agents publics travaillent
pour les citoyens.
En ce moment même, des
centaines de milliers de personnes collectent des données
privées sur chacun d'entre nous. Les citoyens n'ont pas les
mêmes ressources à consacrer à vérifier ce que ces
agents font. Ils comptent sur les journalistes, les universitaires, les
représentants de la société civile et toutes les voix
indépendantes pour débusquer les actes
répréhensibles, la corruption ou tout simplement les erreurs
des États.
Mais si ces voix
indépendantes sont de plus en plus vulnérables à des
représailles par des moyens légaux ou non, ces voix seront de
plus en plus réduites au silence. Et le résultat
inévitable sera une plus grande marge de manœuvre laissée
aux agents de l’État, plus d’actes
répréhensibles, plus de corruption et une diminution de la
capacité à identifier et corriger les erreurs de ceux qui nous
gouvernent.
En résumé, la vraie
raison pour laquelle vous devriez être inquiet de la surveillance des
États n'est pas que vous êtes susceptible d'être
écouté et votre vie exposée sur la place publique. Vous
devriez percevoir que c’est une autre étape dans le processus de
transformation d’un peuple composé de citoyens libres en une
nation de moutons.
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