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Avez-vous
déjà essayé de vendre un produit alors que personne
n’a les moyens de l’acheter au prix où vous voudriez le
vendre ? C’est très dur. En fait c’est impossible. On
peut le présenter, le vanter, dire qu’il est formidable,
qu’il apportera une vraie-valeur ajoutée, mais si
l’acheteur potentiel n’a pas l’argent ou pense que le prix
est trop élevé – compte tenu de l’ensemble de ses
besoins - il n’achètera. Même s’il est par ailleurs convaincu
que le produit est bon. Bien sûr, face à telle situation
l’entreprise peut décider de réduire son prix et ses
marges mais cette variable d’ajustement a ses
limites. Si le prix ne permet pas de recouvrir l’investissement humain,
financier et technologique à un niveau suffisant, cela sonnera le glas
du projet. Pire, si celui-ci n’était qu’à
l’état d’ébauche, il pourrait ne jamais voir le
jour. Il faut que le jeu en vaille la chandelle.
Ce simple
constat, tiré de l’expérience concrète en
entreprise, en particulier en cette période de crise, devrait
éclairer Nicolas Dufourcq, le
désemparé directeur de la banque publique
d’investissement, la Bpifrance. Il est
inquiet car les entreprises « n’ont pas encore envie
d’investir en 2013. Le discours qui consiste à rappeler que les
vainqueurs de 2016 sont ceux qui auront investi en 2013 est en train de
progresser, de prendre corps. Mais il n’a pas encore convaincu
l’essentiel de l’économie française. »
Et pour cause notamment : les Français achètent de moins
en moins et la tendance n’est pas prête de s’inverser.
Alors pas question d’investir dans des conditions qui n’augurent
pas d’un retour sur investissement correct.
Or, pendant ce
temps, les guichetiers de Bpifrance s’ennuient
ferme. Certes 5 600 dossiers ont été traités depuis
la création de la banque il y a moins d’un an. Ce sont 600
millions d’euros qui ont été ainsi distribués au
titre du crédit d’impôt compétitivité emploi
(Cice). Pourtant l’incitation devrait
attirer : il s’agit d’une baisse de cotisation sociale
effectuée sous forme d’une réduction d’impôt
à acquitter en 2014 au titre de l’exercice de 2013. Mais Nicolas
Dufourcq est inquiet car l’objectif que lui a
assigné François Hollande est d’atteindre les 2 milliards
d’euros d’ici fin 2013. « L’argent est là »,
dit Nicolas Dufourcq, gêné aux
entournures, « mais le problème ce sont les
dossiers. » Il n’y en a pas assez !
Mais
l’économie ne se traite pas à coup de dossiers, ni
à coup de préfinancement ou autres formes d’aides aux
entreprises. Il semble que toute une logique marchande échappe
à nos énarques Hollande et Dufourcq,
trois réalités notamment. Tout d’abord une réalité
incroyable : quand on fait un produit, c’est pour le vendre.
Ensuite une réalité impensable : pour vendre un produit,
il faut des clients. Enfin une réalité inconcevable :
quand on vend, c’est pour faire du bénéfice. Pour
relancer l’activité des entreprises, il ne suffit pas de
dire : j’ai 2 milliards d’euros pour vous ! Encore
faut-il qu’il y ait un marché, c’est-à-dire des
acheteurs, et que les bénéfices soient suffisants pour
réinvestir. Ce n’est plus le cas en France : la
consommation recule au premier trismestre 2012 pour
la deuxième fois depuis 1945 et les bénéfices des
entreprises sont de plus en plus ténus à cause du matraquage
fiscal du gouvernement, mais aussi du fait d’un contexte fiscal et
réglementaire très incertain. L’illustration nous en a
été donné il y a quelques jours : le 28 mars
François Hollande promet de ne plus augmenter les impôts et les
prélèvements pour, cent jours plus tard, le 7 juillet faire
dire par son ministre des finances Pierre Moscovici, que les
prélèvements augmenteront en 2014. On ne sait plus sur quel
pied danser !
Cependant ces réalités
sont ignorées : nos dirigeants n’y croient pas, ni pensent
pas, ne les conçoivent pas. Ils ont leurs analyses à eux, leur
réalité. On imagine très bien Nicolas Dufourcq accompagné de Pascal Faure, directeur de
la compétitivité, de l’industrie et des services à
Bercy, assis devant le bureau élyséen de François
Hollande qui, stupéfait à la lecture des chiffres de la Bpifrance, pose candidement cette question : mais
pourquoi, alors que nous avons 2 milliards d’euros à la
disposition des entreprises, celles-ci ne se précipitent pas ?
Que se passe-t-il ? La réponse méditée,
concertée, analysée, - et bien réelle puisque
rapportée dans le Figaro du 25 juin - fuse aussitôt de la bouche
de Pascal Faure : « si les entreprises ne demandent pas
à bénéficier du préfinancement du Cice, c’est que la situation de leur
trésorerie ne va pas si mal que ça. » Les
entreprises vont bien. Il fallait être un fonctionnaire de Bercy
pour sortir ça.
Dans cette même
logique, si les emplois d’avenir ne marchent pas, c’est
qu’on n’en a pas besoin car on est presque au plein emploi. Si le
RSA activité n’est pas suffisamment attribué, c’est
qu’il n’y a pas tant de personnes que ça dans le besoin.
Si les Français ne consomment pas, c’est qu’ils ont
déjà tout ce qu’il leur faut. Encore un peu d’effort
et l’économie française sera au beau fixe : on sent
la croissance qui remonte, le chômage qui baisse, on va mettre les
Chinois à genoux.
C’est
bien pour cela que Nicolas Dufourcq, le 24 juin
2013 au sortir d’une réunion avec des chefs d’entreprises
toulousains, annonce avec un je-ne-sais-quoi de mystère :
« quelque chose est en train
de se passer ». Oui, Nicolas Dufourcq
a raison, quelque chose est en train de se passer. Mais ce n’est pas
forcément ce à quoi il pense.
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