Aujourd’hui, je vous invite à une réflexion d’été, réflexion gentiment
impulsée par ces bandes de parasites geignards qui occupent actuellement
l’Assemblée Nationale, au premier rang desquelles on trouve un Henri Guaino
particulièrement en forme et dont l’éloignement avec la terre ferme le
positionne à mi-course entre ici et Alpha du Centaure. Sa vitesse actuelle
étant très supérieure à la vitesse de libération, on peut estimer l’avoir
définitivement perdu pour la France. Heureusement, ce n’est pas le cas pour
mes petits billets.
J’ai récemment évoqué, il y a quelques temps, l’actuel
« blues » des députés et sénateurs dont l’année passée à légiférer
a fini par peser sur leurs petits nerfs mis à rude épreuve. Que voulez-vous,
il semble que les légisticulations actuelles fatiguent même les plus aguerris
des politiciens pourtant rompus à la production législative intempestive. Mon
aimable confrère de Contrepoints, Baptiste Créteur, est d’ailleurs revenu tant sur les déclarations du pauvre
Henri que sur celles de ses autres confrères, toutes aussi amusantes les unes
que les autres, pour noter qu’après tout, si les élus ne sont pas contents de
leur sort, eh bien qu’ils démissionnent.
Et à la suite de cette réflexion somme toute parfaitement logique, je me
suis demandé ce qui se passerait si, justement, les mécontents
démissionnaient. Ou, disons pour faire plus simple, faisaient une grève complète,
et s’ils arrêtaient toute législation. Évidemment, j’entends déjà les
cabinétards et autres attachés parlementaires hurler à la mort et nous
expliquer que cette interruption brutale de l’exercice des fonctions
parlementaires nuirait grandement à la stabilité politique de la France.
J’imagine sans mal toutes les théories d’arguments qu’ils nous aligneront
pour nous démontrer, par A + B, qu’une telle vacance à l’Assemblée signerait
la fin de l’État, l’écroulement de l’administration, le grippage total et
définitif des institutions et, pour tout dire, le début de l’anomie dans ce
qu’elle a de pire. Bref : l’enfer sur terre, des chatons torturés, et plus de
café au troquet du coin, au minimum.
Je n’en crois rien.
D’une part, les éventuels problèmes de petits coups de tampons, de
signatures et de procédures qui nécessitent réellement qu’un député,
un sénateur ou un ministre prennent une vraie décision sont peu nombreux.
Hormis, peut-être, quelques cas de catastrophes naturelles d’ampleur notable,
ou l’ouverture d’un conflit armé avec un voisin, ou un truc vraiment maousse
costaud, toute la gestion des affaires courantes est en pratique du ressort
des administrations, qui se passent déjà très bien de tout contrôle réel et
palpable par l’appendice démocratique du pays.
D’autre part, les éventuels problèmes seraient rapidement contournés : les
budgets seraient simplement reconduits à l’identique, les circulaires non
approuvées tomberaient dans l’oubli, les administrations se débrouilleraient
comme devant et finalement, rien ne changerait. L’inertie bureaucratique
étant ce qu’elle est, je parie qu’aucune conséquence néfaste ne ferait jour
avant plusieurs années de disparition des deux chambres parlementaires.
La réalité, c’est que le pouvoir réel n’est plus, depuis longtemps, dans
l’hémicycle ni même dans les couloirs des assemblées. Il est dans les
administrations. Dès lors, supprimer l’Assemblée, c’est simplement
officialiser ce que tout le monde sait déjà : la démocratie française est une
blague et le travail des sénateurs et des députés, de la fumisterie coûteuse,
encombrante et, pour tout dire, contre-productive voire parfaitement
délétère.
Et c’est là que je veux en venir : à bien y réfléchir, qu’y a-t-il de pire
qu’un groupe de plus de 900 personnes ergotant sur des milliers de lois, de
procédures, de décrets et divers textes, en roue libre ? Quel espoir peut-on
tirer d’une procédure législative devenue si complexe qu’elle ne peut être expliquée au quidam
moyen sans prendre des heures ? (Au passage, notons que la procédure
législative française est un poème de simplicité si on la compare à celle de
l’Union Européenne, ce qui en dit long sur ce dernier édifice légal.) Ces 900
personnes, assemblées depuis des décennies pour produire des lois, ont amené
les codes à un tel état d’obésité qu’ils ont maintenant des problèmes à
suivre le rythme qu’ils se sont, eux-mêmes, imposés.
Autrement dit, la machine s’est totalement emballée, et à entendre les
gémissements de ceux qui sont les plus à même de réduire la cadence, plus
personne n’en a le contrôle.
Pourtant, qu’est-ce qui justifie, objectivement, le grossissement des lois
depuis, mettons, 40 ans ? Cette période est un peu arbitraire, mais cela nous
ramène juste avant le choc pétrolier, alors que la France affiche une dette
très faible (inférieure à 60 milliards d’euros) et un excédent (oui,
excédent) budgétaire. On remarque que le taux de chômage est faible, tout
comme le taux d’analphabétisme. Et si la période ne permet pas d’affirmer que
tout se passait toujours bien, s’il ne faut évidemment pas tomber dans le
panneau facile d’une nostalgie difficile à soutenir avec les chiffres (le
poste « nourriture » dans les dépenses des ménages était en effet
très important à l’époque, par exemple), force est de constater que la France
des années 70 est tout sauf une anomie.
Bien qu’ayant un nombre de lois
considérablement plus faible qu’actuellement, la France des années 70 est beaucoup
moins encadrée, beaucoup plus libre. Il y est bien plus simple d’y ouvrir un
commerce, de créer un atelier, une boulangerie. Il y est aisé d’embaucher ou
de débaucher. Les fiches de paies ne rassemblent pas deux ou trois douzaines
de lignes au sabir cryptique rempli de sigles et d’acronymes étranges. Les
prélèvements sont faibles et pourtant, la police fonctionne, les hôpitaux
aussi : les malades ne meurent pas entassés dans les rues, le baccalauréat
semble encore avoir une valeur et pourtant, les impôts et, de façon générale,
les prélèvements sur la richesse produite, sont bien plus faibles.
Il y a quarante ans de cela, si la France n’est pas un paradis (et loin
s’en faut), si la France est encore très agricole et s’industrialise encore,
si la France va prendre un choc pétrolier de plein fouet, elle n’en est
pourtant pas un pays où règne la loi du plus fort, où le fameux vivrensemble
n’existerait pas du tout. Ce pays d’il y a 40 ans ne présente pas du tout les
stigmates qu’il affiche actuellement, alors que le nombre de lois, de
décrets, de codes, est alors bien plus faible. Dans les années 70, on peut
voir des articles de presse à la liberté de ton et d’opinion qui les
qualifieraient immédiatement de scandaleux aujourd’hui et déclencheraient des
chasses aux sorcières sanglantes actuellement. Dans les années 70, le
locataire n’est pas outrageusement favorisé par rapport au propriétaire, par
exemple. Pourtant, à cette époque, les gens ont non seulement survécus, mais
cette époque est aussi celle qui aura vu se construire plusieurs fortunes
mondiales, qui donnait à toute une génération l’espoir, d’ailleurs réalisé,
de gagner mieux sa vie que la génération précédente.
Non, les années 70 n’étaient pas un paradis. Mais si,
d’un coup de baguette magique, 40 années de lois et de décrets
disparaissaient des codes, croyez-vous sérieusement que la société
s’écroulerait ? Croyez-vous que le travail de nos députés et de nos
sénateurs, sur les 40 dernières années, fut à ce point décisif qu’un retour à
cet état des choses, 40 ans avant, provoquerait le chaos alors que l’histoire
montre que cette époque fut tout à fait vivable ?
Et par voie de conséquence, croyez-vous vraiment que le pays pourra
supporter 40 nouvelles années de folie législative comme il vient d’en connaître
? 40 nouvelles années de socialisme toujours plus débridé ? 40 nouvelles
années de bien-pensance, d’auto-censure de plus en plus forte ? 40 nouvelles
années d’accroissement des taxes, des ponctions, des prélèvements ?