Le présent billet est écrit alors que flotte dans le bureau d’épaisses volutes bleutées issues de la combustion assez prolifique d’un pétard puissamment ouvragé au diamètre quasiment obscène. Je voulais essayer. Pour voir.
Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire. Le stress, sans doute provoqué par le typhon de bêtises gouvernementales actuel. Et aussi, bien sûr, ce besoin de me sentir jeune, hype, à la mode, en phase avec mon époque et surtout, synchrone autant avec les recommandations officielles de Gouvernemaman qu’avec les insinuations toujours nombreuses de ses membres qui louangent parfois à mots couverts la marie-jeanne et les amusantes cigarettes qu’on peut faire avec.
Notez que — pour des raisons évidente de lois rétrogrades et forcément réactionnaires — je me dois de ne pas vous inciter à en faire autant. C’est mal, tout ça. Notez aussi que le trafic de drogues est sévèrement puni et que la police, la gendarmerie, les douanes, pleins de membres du gouvernement et une partie de l’administration font tout, à vos frais, pour que cette consommation cesse (avec, au passage, un constat d’échec assez minable, mais ce n’est pas le sujet).
Bon.
Notez aussi au passage, dans cette cohérence un peu gluante qui enrobe généreusement toutes les actions de nos élus, que bien que les splifs, joints, et autres piquouses festives soient parfaitement interdits, Gouvernemaman comprend la douleur et les difficultés des drogués et envisage donc, par le truchement d’élus démagos solidaires, d’ouvrir des salles de shoot parce que bon, c’est interdit mais c’est mieux quand c’est encadré (à l’inverse du reste où c’est autorisé donc on l’encadre aussi, si vous me suivez).
Kof kof. Excusez-moi, c’est un peu fort, ce pneu afghan. Mon dealer n’a manifestement pas les mêmes arrivages subtilement dosés qui sont délivrés dans les ministères par camions entiers. J’ai la tête qui tourne et les remarques désobligeantes du pétunia de mon balcon me déconcentrent un peu, je dois dire. Mais tout ceci posé, on se demandera donc pourquoi, après avoir eu ces petits mouvements pas trop cohérent sur la drogue, puf puf excusez-moi je dois puf puf raviver la combustion puf puf, le gouvernement est en train, discrètement, sournoisement, mais sûrement, de tenter d’encadrer encore un peu plus le vin.
Oui, je sais, j’en ai déjà parlé en mai dernier, apprenant que deux sénateurs préparaient activement toute une batterie de mesures, dont (évidemment) des taxes, sur le vin (déjà lourdement taxé).
Surtaxer le vin en France, pays viticole, c’est comme une drogue, la taxodépendance, c’est, littéralement … stupéfiant de bêtise. À l’époque, certains avaient cru halluciner devant cette proposition (alors qu’ils n’avaient ni bu ni fumé, ce qui était encore plus étrange). Rapidement, la folle rumeur est remontée aux oreilles des uns et des autres. Des journalistes ont relayé les inquiétudes. Des politiciens, goguenards et patelins, ont nié toute velléité de sacrifier la filière viticole aux lobbies et lubies sanitaires. Et la tension est retombée, bien sûr.
Mais en France, tout projet de taxes, tout projet de lois visant à restreindre un nouveau pan de liberté et à émincer un peu plus un bout de notre responsabilité d’adultes, toute tentative de mettre la société un peu plus en coupe réglée pour l’État n’est jamais vraiment abandonnée. Dès lors, il valait mieux rester vigilant.
C’est ce qu’a fait l’association Vin & Société qui a établi des tours de garde pour vérifier que le projet allait bien vite s’interrompre. Et elle en a profité pour lancer son site, Ce Qui Va Vraiment Saouler Les Français, expliquant assez bien les tenants et les aboutissants du consternant projet actuellement poussé dans les multiples tubulures chromées des institutions législogènes de la République. Et cela donne le petit tableau suivant :
Oui, vous lisez bien : certaines de ces mesures visent à interdire de parler du vin sur internet, ou d’en parler positivement dans les médias, ou cherchent à durcir les mentions sur les étiquettes, etc… Pour la première, totalement, parfaitement et incroyablement grotesque, la Mission interministérielle qui est à l’origine de la performance excuse la présence de cette énormité par une erreur de copier-coller.
Mon pétunia toussote un peu. Pardon, il pouffe. Avec la fumée, je distingue mal la différence entre son gloussement hilare et ses éventuels problèmes pulmonaires (c’est un pétunia phtisique, que voulez-vous), et j’ai du mal à entendre les touches de mon clavier. Mais revenons à mon sujet.
Or donc, il s’agit d’un texte qui est présenté à des parlementaires, à des ministres, qui sera amené à être discuté à l’Assemblée Nationale, et pour lequel on aurait pu s’attendre à ce qu’une relecture un minimum attentive soit faite. Mais non, le truc fut torché si vite ou si peu relu qu’un bout de texte se sera inséré au mauvais endroit, et pouf l’interdiction de parler du vin sur internet, oh pardon excusez-moi j’ai ripé sur CTRL+V. À la mission interministérielle, ce n’est manifestement pas que du vin qu’ils boivent au petit-déjeuner.
Mis à part ces expériences informatiques malheureuses, on se demande un peu quelles excuses nos élus vont pouvoir trouver pour justifier l’apparition, sur les bouteilles de vin, d’images bien ragoûtante de foies cirrhosés, de voitures enroulées sur des barrières de sécurité avec des petits bouts de cadavre éparpillés sur la chaussée ou que sais-je encore. Parce que derrière le désir de « mieux sensibiliser » la population aux graves dangers de l’alcool, il y a cette mesure concrète… parfaitement catastrophique pour les viticulteurs qui vont avoir un argumentaire très subtil à développer pour continuer à exporter, malgré tout, leurs bouteilles de poison aux étiquettes macabres. Sans compter que médicalement, on est dans l’affabulation à peu près complète (non, boire un verre de vin par jour n’entraîne pas l’alcoolisme, les excès de vitesse, le scorbut ou l’éjaculation précoce, enfin, voyons !)
Mon pétunia, qui joue actuellement de la guitare électrique, insiste pour que je passe rapidement sur la cohérence de l’ensemble de cet édifice légalo-sanitaire, en collision frontale avec les épiphénomènes mousseux d’un Montebourg frétillant d’aise avec son Made In France : j’ai déjà parlé de cohérence en début de billet, on est ici encore en terrain connu du N’importe Quoi Épileptique.
… Zut, mon splif obèse est fini. Les nuages de rigolade s’estompent doucement, et mon pétunia est maintenant plus calme.
Cette histoire de bastonnade de la filière vini/viticole pourrait laisser croire à une poussée d’urticaire étrange, dans laquelle quelques élus et fonctionnaires se seraient lancés un défi sanitaire idiot et temporaire. Pour rire.
Il n’en est malheureusement rien : c’est bien un mouvement de fond auquel on assiste. Ce qui est vrai pour le vin l’est aussi pour les boissons énergisantes, par exemple. Après la suppression des alcools, des vins, des boissons énergisantes, après la nécessaire élimination des boissons gazeuses (trop de CO2 qui fait braire les écolos !), à ce rythme, il ne restera bientôt plus que l’eau plate, distillée et aseptique, incolore, inodore et sans saveur. Et lorsque les liquides seront enfin domptés, on passera aux solides, à commencer par les fromages, ces concentrations nauséabondes de miasmes, et notamment le camembert (plein de bactéries et dont le nom, après tout, commence par « came », si ce n’est pas un signe, hein, mon pétunia ?)
On sent bien là qu’on veut supprimer du paysage français, outre ce qui pourrait être typiquement français, tout ce qui pourrait aussi être un risque de santé, même vague, même exagéré, même hypothétique. Le principe de précaution est maintenant appliqué au-delà de toutes les limites de la raison, n’importe comment.
À l’instar des condamnés à mort dont on s’assure l’excellente santé par un check-up médical complet avant l’injection finale, ces démarches ressemblent à s’y méprendre à ces gestes précis et glaciaux d’embaumeurs de la société française avant qu’elle soit déposée, définitivement, dans un douillet cercueil.