|
Vincent,
Ah, Vincent… Tu permettras que je t’appelle Vincent, après
tout, c’est ton prénom et ça sera plus sympathique que
répéter « Peillon, peillon » dans tout le billet, parce que payer,
nous n’arrêtons pas de le faire actuellement et que ça
commence à bien faire. Vincent, mon brave Vincent, je ne pensais pas
qu’en prenant ce poste de ministre à l’Education
Nationale, tu parviendrais, en quelques mois seulement, à mettre un
bordel aussi mémorable dans une institution aussi ancienne. Vincent,
mon brave Vincent, tu t’es surpassé.
On
savait, avant que tu récupères l’épineux maroquin,
que tu étais un dangereux laïcard
prêt à toutes les bassesses pour
assurer que ta philosophie
passerait. Du reste, tu n’avais pris personne en traitre : tout le
monde un minimum informé savait que tu utiliserais
l’école pour former de bon petits citoyens, républicains,
de préférence aussi laïcards que
toi, délicieusement imbibés de l’importance indiscutable
de l’État, qui partiraient à l’assaut de toutes les
religions, boutures vindicatives d’Homme Nouveau que ne renieraient pas
les plus grands communistes.
Ce
qu’on ne savait pas, c’est qu’en plus d’être un
philosophe aux idées délétères, tu étais
aussi parfaitement incompétent et que te donner les clefs d’un
ministère aussi important revenait à filer les clés de
l’Aston Martin à un Mr Bean passablement alcoolisé (si
tant est qu’après tant d’années d’incurie et
de gestion calamiteuse, l’Éducation Nationale puisse se
rapprocher encore d’une voiture d’exception, et non d’une
vieille 4L à la tôle cabossée et mangée par la
rouille).
Ah,
Vincent, en mettant tes petites lunettes rondes et tes petits doigts de
socialiste républicain compulsif dans les rouages scolaires, quelle
bêtise ton patron t’a-t-il laissé faire !
D’ailleurs, même toi tu t’en mordrais bien les doigts
maintenant s’ils n’étaient pas déjà tout
mâchouillés par le monstre hideux que tu viens de
réveiller, benêt, à force de shooter dedans avec tes
petits mocassins ferrés.
Eh oui
: vouloir à tout prix modifier le calendrier et le rythme de travail
scolaire, c’était s’attaquer, de toute façon,
à un morceau bien trop gros pour être fait dans la
précipitation, et sans le soutien minimum de la base, ces enseignants,
ces éducateurs et cette myriade de personnels effervescents qui
forment la cheville ouvrière de l’EdNat,
toujours prompte à la grogne et à la grève.
D’ailleurs, ça n’a pas loupé : tu voulais
absolument revenir sur les méchantes idées de ton
prédécesseur, un certain Luc Chatel.
On te comprend : il avait fait pipi autour du territoire, pour le marquer, il
te fallait absolument en faire autant pour couvrir cet affront. Et comme sa
rapide miction avait consisté en une refonte des rythmes scolaires
(oui, ministres de l’EdNat et
originalité ne font pas bon ménage), tu as choisi la même
piste glissante pour relâcher tes propres sphincters.
Tellement
glissante que ça n’a pas loupé : tu as glissé et
te voilà, les quatre fers en l’air, à copieusement
t’arroser pendant que tout le monde grogne. Oh, bien sûr, on
trouvera bien cette commode association de parents
d’élèves, la FCPE, si gentiment acquise à ta
cause, et qui, par le truchement d’un « sondage »
ad hoc, aboutit à la conclusion évidente que finalement, cette
réforme est supayr et engendre des
volées de bisous bien appliqués ; la propagande qui accompagne
d’ailleurs ce vivier de parents crypto-socialistes amoureux de tes
bidouilles est absolument hilarante puisque même le journaliste est
obligé de rappeler que l’opération de communication
provient d’une association lourdement favorable à cette
réforme.
Mais
réinsérons gentiment ce sondage au milieu de la pile qui sert
à caler l’armoire dont il n’aurait jamais dû sortir,
et regardons les quelques autres articles de presse qui nous relatent, eux,
les expériences de terrain en rapport avec cette réforme.
C’est
pas joli joli, mon Vincent. C’est même
un tantinet abrasif.
Je
passe rapidement sur les analyses psycho-sociologiques
de la débâcle : apparemment, non content de bouleverser les
rythmes scolaires, la réforme que tu as introduite a pas mal
modifié la façon dont les infrastructures sont
utilisées, avec des classes qui servent tantôt à
apprendre ce qu’on fait de nos jours passer pour de la lecture et de
l’écriture, et tantôt pour des ateliers de
poterie-macramé pardon atelier slam
(avec « droit de dire des insultes »), ou des ateliers
pro-gender tenus par les dames de la cantine sur
des horaires variables. Bilan : les élèves ont du mal à
s’adapter à un cadre de plus en plus liquide voire gazeux, comme
un peu tout ce que fait ce gouvernement depuis un an (à
l’exception des taxes et impôts, qui sont, eux, clairement dans
le solide, genre semelle de béton).
Et si
l’on s’attarde sur les témoignages des enseignants, des
parents (pas de la FCPE, les autres, non syndiqués/encartés),
des élèves et des personnels gravitant autour de
l’école, le constat est sans grande ambiguïté : ta
réforme, Vincent, est catastrophique. Le
fait que Paris soit la seule grande ville à l’appliquer
dès cette rentrée 2013 explique sans doute pourquoi les autres
villes ne connaissent qu’une mobilisation modérée ; mais
partout où cette réforme est tentée, les frictions se font sentir.
Soit,
je l’admets : le corps enseignant est souvent en proie à des
soubresauts, des spasmes et des sanglots. L’absence maintenant
chronique de formation décente est d’ailleurs un marronnier tant
de la presse qui choie alors son lectorat que de mes colonnes qui s’en payent une
bonne tranche. Mais justement : le récent changement de
situation politique, aussi pastel fut-il, permet d’affirmer que, cette
fois-ci, c’est différent. Pendant ces longues années noires
où la droite régnait presque sans partage,
dépeçant l’EdNat et distribuant
les punitions au corps enseignant, il ne s’écoulait guère
une année sans qu’une réforme soit immédiatement
suivie d’une guirlande de grèves ou de couinements
lacrymogènes dans la presse. Cependant, l’arrivée
salvatrice de la gauche (sonnez hautbois, résonnez musettes), avec une
confortable présence à tous les niveaux électoraux
français, assurait un retour au calme dans le bastion socialiste de
l’Edulcoration Nationale.
À
l’évidence, ça couine encore plus fort actuellement, ce
qui veut dire que non seulement, ta réforme, Vincent, est mauvaise,
mais qu’elle est suffisamment catastrophique pour parvenir à
retourner contre toi des gens qui t’avaient pourtant à la bonne.
On peut le dire, Vincent, c’est un gros gros
FAIL.
Et il
n’est qu’à lire les expériences
« alternatives » des uns et des autres dans
les classes concernées
sabotées par ta magic touch pour comprendre que ce ne sont pas des
gênes passagères, et que quelques petits ajustements de
dernière minute ne suffiront pas à remettre l’institution
sur ses rails (quels qu’ils fussent et où qu’ils amènent)
; si l’on y ajoute la présence obstinée du bourrage de
crâne égalitariste et sexuel, on a un tableau assez croquignolet
:
À
l’atelier judicieusement rebaptisé « les mots de la
danse », on parle danse, certes, mais on n’en fait pas.
Victor, qui se rêvait en Gene Kelly, a hérité de
l’atelier modelage mais est verni comparé à Laura,
larguée dans un mystérieux atelier égalité
filles/garçons qui n’a pourtant été annoncé
nulle part. À tout prendre, la cour, après tout… Mais
non, ça y est, votre fille est prise une fois par semaine au
« théâtre », elle qui n’en voulait
pas, et sa copine échappe de justesse à
l’égalité des sexes, finalement réservée
aux CP/CE1.
Alors
vois-tu, mon brave Vincent, il serait temps de t’arrêter,
là.
Un type
normalement constitué, qui cherche à travailler au bien commun
ou, plus humblement, à minimiser ses boulettes, devrait prendre un peu
de recul et se dire : bon, là, j’ai merdé grave, je
m’arrête, je prends du recul, je réfléchis.
Mais non. Toi, Vincent, tu es investi d’une mission,
quasi-biblique ou d’ordre religieux en tout cas, qui consiste
d’une part à assurer qu’on se souviendra de ton nom
(là, c’est gagné) et d’autre part que des millions
de gamins seront durablement lobotomisés abêtis par
la destruction minutieuse de tous les cadres et références qui
furent construits sur les millénaires précédents en
terme d’instruction. Alors, tout naturellement, tu continues avec tes
idées, bille en tête, et te voilà maintenant
lancé, après la violente dégradation des rythmes
scolaires, sur l’altération à l’acide fluorhydrique
des programmes scolaires
(dans lesquels tu ne couleras pas de gros barils de politique,
oui, oui, on te croit).
Bien
sûr, on pourrait imaginer le meilleur : tu t’es rendu compte que
les conneries pédagogos, ça allait
cinq minutes pardon 20 ans, mais il était temps de revenir au solide,
aux bases. Et on peut regarder ton historique et imaginer sans mal que
ça va se terminer, une fois encore, en gros FAIL des familles, des
élèves et des profs.
C’est
pourquoi, je te le dis gentiment, mon brave Vincent : surtout arrête
ton bordel, Vincent, c’est la cata. Arrête tout. Lâche le
guidon. Prends des vacances. Tu es gentil, allez : laisse-nous.
|
|