| La crise de la dette et celle du dollar n’en font qu’une. Dans une déclaration écrite destinée aux participants de l’assemblée générale du FMI, en fin de semaine dernière, le secrétaire d’État au Trésor américain Jack Lew a tenu à rappeler que si « les États-Unis jouent un rôle central dans le système financier international », ils ne peuvent pas « prendre cette réputation obtenue de haute lutte pour acquis ». Il n’est pas fréquent qu’un haut responsable de l’administration américaine aborde cette question. Christine Lagarde n’a pas voulu signifier autre chose, au nom du FMI, en évoquant en d’autres termes choisis l’éventualité d’un défaut américain sur la dette pour en comparer les conséquences à la crise de 2008, et estimer que « le statut de l’économie américaine serait de nouveau en danger ». Quand bien même une issue provisoire serait trouvée au blocage politique sur le relèvement du plafond de la dette américaine – moins probable qu’avant le week-end, mais toujours possible – les conséquences du brutal rapatriement des capitaux américains vont laisser des marques durables dans l’économie des pays émergents et l’esprit de leurs dirigeants. Considérant le moment propice pour marquer un point, les dirigeants Chinois n’y ont pas été par quatre chemins, ayant choisi comme canal l’agence officielle Chine nouvelle, expliquant, comme Paul Jorion l’a signalé hier : « alors que les hommes politiques américains » ne parviennent pas à « trouver un accord viable pour refaire fonctionner normalement les institutions politiques dont ils sont si fiers, c’est peut-être le bon moment pour une planète abasourdie de commencer à envisager la construction d’un monde désaméricanisé ». Pour ensuite chercher des alliés : « les jours inquiétants où les destinées d’autres pays se trouvent dans les mains d’une nation hypocrite doivent prendre fin, et un nouvel ordre mondial doit être mis en place, où toutes les nations (…) verront leurs intérêts respectés et protégés sur un pied d’égalité ». L’occasion leur a été servie toute chaude de réaffirmer la nécessité de bâtir un nouveau système monétaire international, et leur volonté d’y contribuer, après avoir fait silence de longues années à ce propos, ne pouvant précipiter le mouvement sauf à y perdre des plumes. Aujourd’hui, ils suivent celui-ci, ne l’ayant pas déclenché et le redoutant. Ils ne sont pas restés pour autant inactifs et ont multiplié les accords de swap monétaire, le dernier en date avec la BCE. D’autres banques centrales occidentales et des pays émergents en ont également contracté, notamment celles des pays ayant les rapports commerciaux les plus étroits avec la Chine, dans le cadre des échanges Sud-Sud. La dédollarisation se poursuit, avec pour objectif de minorer progressivement l’usage du dollar dans le commerce international ; comme un travail de sape s’inscrivant dans une stratégie à plus long terme. Point d’orgue, l’initiative de Chiang Mai a été conclue en 2010 entre les dix pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), la Chine, le Japon et la Corée du Sud, afin de créer un réseau d’accords bilatéraux de swap monétaire entre les partenaires, aboutissant à la constitution d’une réserve de change de 240 milliards de dollars en 2012. Depuis, le FMI déploie des trésors de diplomatie et affirme sa volonté de coopérer avec ce qui est une ébauche de FMI asiatique, prenant tournure bien plus rapidement que le projet de banque de développement des BRICS, qui est miné par des divergences internes d’intérêt. Le Japon avait été à l’origine de ce regroupement asiatique, à la suite de la crise de 1997 qui avait suivi un brutal retrait de capitaux, après leur afflux, rappelant ce qui vient de se passer ; il en a résulté cette fois-ci de forts grincements de dents lors des assemblées générales du FMI et de la Banque Mondiale ainsi qu’à l’occasion de la réunion du G20 finances, qui se sont toutes tenues à Washington en fin de semaine dernière. Ce n’est pas fini. En bloquant l’évolution des droits de vote et de tirage, pourtant modeste telle que prévue, au sein du FMI, le Congrès américain joue avec le feu comme les républicains le font avec la dette. Une montée en puissance négociée des pays émergents en son sein se révélant impossible, d’autres voies alternatives sont empruntées sous les auspices chinoises. L’inéluctable ne peut qu’être retardé et se fera à chaud s’il ne peut l’être à froid. Dans l’immédiat, toutes les ressources du vocabulaire ont été utilisées pour exorciser le spectre d’un défaut sur la dette. Le marché a pris les petites précautions qu’il pouvait prendre. Il ne reste plus qu’à attendre un sursaut ou bien des annulations de dépenses afin d’honorer prioritairement la dette et d’obtenir un nouveau répit, justifiant une mise en garde de Christine Lagarde, hier dimanche, devant l’éventualité d’une brutale réduction des dépenses publiques. Les tenailles se resserrent. | |