Nous avons
mis en évidence les hésitations du gouvernement français
concernant la concurrence faite par les voitures de tourisme avec chauffeur
(VTC) aux taxis. La question des taxis sera sans doute une leçon utile
pour évaluer la possibilité d’assouplir les
réglementations dans certains secteurs. Il s’agit d’une
réforme que ce gouvernement ou un autre, tôt ou tard, sera
forcé d’entreprendre afin d’amortir l’augmentation
exponentielle des tarifs et la dégradation visible des services.
Le
problème qui se pose est de savoir comment briser un système
protégé dans lequel les acteurs investissent dans l’achat
d’une licence en espérant des retours surinvestissement
élevés du fait de la rente procurée implicitement par la
limitation du nombre des licences en circulation. Dès lors que les
responsables politiques sont convaincus de la nécessité de
réformer ce système, la question est de savoir comment
convaincre ceux qui en bénéficient.
Sur le plan
de la faisabilité, la solution la plus évidente est aussi la
plus radicale : en finir une fois pour toutes et rapidement avec le
système des licences. Il est toutefois peu probable qu’un membre
du gouvernement actuel (ou celui d’un prochain gouvernement) ait le
courage d’assumer la responsabilité d’une telle
réforme. Les nombreuses tentatives échouées dans
d’autres pays, comme l’Italie, laissent d’ailleurs présager
que la colère des chauffeurs des taxis ne passerait pas
inaperçue.
Les
tentatives de dérèglementations menées par le
gouvernement Prodi en 2007 se sont soldées par un échec partout
en Italie et plus particulièrement à Rome, où le maire Walter Veltroni avait dû garantir une augmentation de 18% des tarifs des taxis pour que les syndicats
acceptent la création de 500 nouvelles licences et mettre ainsi fin
aux manifestations de rue qui paralysaient la capitale
italienne depuis plusieurs mois. Le bras de fer avec les taxis sera
d’autant plus difficile
en France, où les gouvernements quel qu’ils soient sont particulièrement
soucieux de leur relation avec les syndicats.
Une telle
solution pose par ailleurs un problème important sur le plan moral. Les
licences représentent des privilèges. On ne voit pas à
première vue d’obstacle moral à en finir le plutôt
possible avec un système cher et peu fiable du point de vue du
consommateur. Ceci est d’autant plus évident qu’il est, en
outre, profondément injuste du point de vue de ceux qui souhaitent
pratiquer ce métier. Ils se trouvent ainsi exclus par ce
système des licences.
Toutefois, il
s’agit là de personnes – les chauffeurs de taxis – qui
attirés par le mirage de la rente, ont investi des sommes
considérables dans l’achat de leurs licences (environ
200 000 euros pour une licence de taxi parisien) et se sont souvent
endettées pour ce faire. Cela fait sans doute parti des risques du
métier – quel entrepreneur n’en prend pas. Il semble cependant assez évident que les
détenteurs de licences pourraient légitiment se
considérer trompés sur la marchandise et demander des
compensations si l’État annulait ces licences du jour au
lendemain.
En
souscrivant au système des licences de taxis avec toutes les
conditions et obligations coûteuses qu’une telle décision
comporte, un chauffeur pourrait se considérer trompé par
l’État, s’il perdait du jour au lendemain les
privilèges attendus. Imaginons un fournisseur de services qui cesserait
unilatéralement de
garantir l’accès à toute une gamme de services auxquels
des clients viendraient tout juste de s’abonner. Dans ce cas, comme
dans celui des taxis (même s’il ne s’agit pas de la
même relation contractuelle), il ne serait pas surprenant que les
clients réclament des compensations.
La
stratégie la plus efficace et le plus juste pour réformer un
système de licences (mis à part leur annulation soudaine)
serait donc de mettre en place un système de compensations pour les
détenteurs. Ces compensations pourraient aller du rachat des licences
au prix du marché de ces dernières (ce qui peut
s’avérer une opération trop chère) à la
mise en place d’une compensation au pro
rata, en fonction du temps de détention de la dite licence. Nul ne
doute que racheter à un prix fort les licences données
gratuitement représenterait une perte sèche pour le budget de l’État,
mais ce prix permettrait en quelque sorte de mesurer le coût de
mauvaises décisions politiques antérieures.
Une autre
stratégie, beaucoup plus longue mais moins onéreuse pour l’État
consisterait à dévaloriser le prix de la licence
jusqu’à le rendre presque nul. En tolérant la concurrence
des VTC, il serait possible de créer de nouvelles opportunités
d’affaires susceptibles de décourager les chauffeurs de taxi
d’intégrer le système coûteux des licences. Petit
à petit, cela en diminuerait le prix jusqu’à le rendre nul,
le jour où il serait de fait possible de pratiquer le métier de
chauffeur de taxi sans payer de licence.
Pour
l’heure, le gouvernement semble hésiter quant aux choix des
réformes au risque de choisir la seule option désastreuse,
à savoir réglementer les VTC en pensant que cela pourra
compenser les effets pervers des réglementations pesant sur les taxis.
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