L’un des
créateurs de cette variété de riz – Ingo Potrykus – avait la cinquantaine quand il
commença à s’intéresser à la
sécurité alimentaire. Agé aujourd’hui de 80 ans,
il ne désespère pas encore de voir un jour son riz accessible
à la consommation humaine afin de lutter contre ce fléau
dévastateur qu’est la déficience en Vitamine A. Car si
son but est humanitaire, son innovation n’est pas du goût des
activistes anti-ogm.
Depuis le
début des années 1990, ils s’acharnent contre ce riz
amélioré génétiquement. Au même titre, ils
s’opposent depuis des années à la production
d’organismes génétiquement améliorés en
France. Leur pouvoir est si important qu’en dépit d’une
décision récente du Conseil d’Etat invalidant
l’interdiction de la mise en culture d’une semence de maïs
génétiquement modifiée, les ministres de l’agriculture
et de l’environnement français s’engageaient à
maintenir le moratoire sur la mise en culture de ce type de semences.
Si
l’intérêt de ces fruits, légumes et autres
céréales aidées génétiquement
échappe à nombre d’entre nous qui vivons en ville,
c’est que nous ignorons souvent les raisons pour lesquelles ces
organismes ont été créés et les problèmes
qu’ils cherchent à résoudre. Le ventre bien rempli, nous
avons du mal à imaginer que – même si les choses
s’améliorent – un total d’environ 842 millions de
personnes (une personne sur huit) souffrait encore entre 2011 et 2013 de
sous-alimentation chronique (manque de nourriture empêchant de mener
une vie active). Sans compter ceux qui souffrent de malnutrition.
C’est
pour lutter contre ce fléau qu’au début des années
90, Ingo Potrikus et Peter Beyer
se lancent dans un combat qui à l’époque semblait fou,
celui d’éradiquer les déficiences en vitamine A. Leur
idée est simple : s’assurer qu’un produit accessible
aux personnes les plus pauvres puisse être enrichi en beta-carotène (précurseur de la vitamine A)
afin que l’organisme puisse produire cette vitamine.
C’est
chose faite en 1999. Sauf que depuis cette époque, ils subissent les
attaques des activistes qui s’opposent de façon farouche
à la production de ce riz, lui reprochant notamment de ne pas
être efficace et lui préférant les méthodes
alternatives traditionnelles, en particulier la distribution de capsules de
vitamine A.
Si les
chercheurs s’acharnent, c’est que la distribution de ces capsules
– au programme depuis 15 ans de divers organismes comme
l’Organisation mondiale de la santé ou Helen Keller
International – n’a pas permis d’éradiquer le
problème. Ce sont toujours 1 à 2 millions de personnes qui meurent
par an et 500 000 enfants qui deviennent aveugles. Autant dire
qu’ils sont convaincus de l’importance de leur découverte.
Surtout qu’ils sont parvenus récemment à prouver au sein
de l’université Tufts
(États-Unis) qu’une portion de riz pouvait couvrir
jusqu’à 60% des besoins journaliers en vitamine A. Une victoire qui continue
d’être contestée par des groupes comme Greenpeace qui
refusent obstinément de voir les milliers de morts dus à cette
déficience et se contentent de l’approche précautionniste
à leur égard.
Ce cas
emblématique n’est que la partie émergée des
bienfaits de certains organismes améliorés avec succès.
Car ce que nous ignorons aussi, c’est que si nous ne mourrons en
général plus de faim dans les pays développés,
nous sommes néanmoins aussi les grands gagnants des gains de
productivité réalisés en agronomie par le biais de
semences plus résistantes, plus économes en énergie,
etc.
Pour se faire
une idée des bienfaits sanitaires, nutritionnels et environnementaux
des progrès de l’agronomie sur les cinquante dernières
années, on rappellera simplement que, sur cette période, la
population mondiale a plus que doublé – et la production
agricole quasiment triplé – tandis que les surfaces agricoles
n’augmentaient que de 12%. Selon une récente estimation, les
terres « épargnées » depuis les
années 1960 (les meilleurs rendements ayant rendu superflue leur
conversion à des usages agricoles) équivaudraient à la
superficie des États-Unis, du Canada et de la Chine réunis.
Sans être parfaites, les technologies et pratiques de gestion agricoles
modernes ont tout de même généré
d’importants bénéfices par rapport aux cultures et
méthodes du passé.
Les cultures
à ADN-recombinée de seconde génération promettent
à présent d’améliorer la qualité des
aliments de plusieurs manières : apport accru en vitamines, minéraux
et protéines (par ex. ananas enrichi en lycopène) ;
diminution des taux de toxines (par ex. manioc à moindre teneur en
cyanure, pomme de terre à faible teneur en acrylamide) ou
d’allergènes (par ex. arachide et blé) ;
enrichissement en bons acides gras (oméga-3) ; et meilleure
conservation des produits frais.
Les technophobies actuelles entraînent cependant des
coûts et délais réglementaires croissants. Entre 2008 et
2012, le coût mondial moyen de commercialisation d’une nouvelle
variété génétiquement améliorée
s’élevait à 136 millions de dollars, dont 35 millions
pour répondre aux contraintes réglementaires. Inutile de
préciser que ces coûts supplémentaires, découlant
généralement de revendications militantes, constituent une
puissante barrière à l’entrée sur un marché
auquel les écologistes reprochent volontiers un excès de
concentration aux mains de quelques grands groupes.
Si l’on
peut juger que les pays riches ont les moyens d’un tel luxe de
précautions, il en va autrement dans les sociétés moins développées.
Par conséquent, notre méconnaissance des biotechnologies
moléculaires et une attitude ambiguë à leur égard
qui nous les rend acceptable quand il s’agit de manipuler le
génome à des fins médicales mais inacceptables quand il
s’agit d’appliquer ce savoir à l’agriculture ont des
conséquences très regrettables. Ces attitudes nous
amènent à rejeter des moyens susceptibles de faire
émerger des modes d’action meilleurs et moins nocifs, plus encore
de sauver des vies.
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