La rencontre
avec Pierre-François Gouiffès ne pouvait évidemment que
m’inciter à lire son dernier ouvrage. Bien m’en a pris car
le livre offre une synthèse chiffrée de 40 ans de
dérapages dans les finances publiques.
Au fil des
pages, il offre aussi un certain nombre de réflexions utiles pour qui
veut se faire une bonne idée des enjeux actuels de la France. In fine, on tourne la dernière
page du livre sans savoir vraiment comment il sera possible de
réformer la France mais avec un éclairage crucial en cette
période de révolte fiscale.
Car si les
Français en ont ras-le-bol des taxes, ils ne semblent pas encore
réaliser pour la plupart d’entre eux que le très haut
niveau de taxation en France est lié à un montant de
dépenses publiques très important, lié notamment au recours
du gouvernement à la solution facile des subventions. Le cas des bonnets
rouges le confirme. Sauf que ces nouvelles subventions devront être
payées par des contribuables de plus en plus mécontents face
à la baisse de leur pouvoir d’achat.
Bref, le livre
permet de réaliser que les marges de manœuvre sont de plus en
plus faibles en la matière et que l’heure des comptes va
bientôt sonner. Comme l’écrivait Geoffrey Howe, chancelier
de l’échiquier et secrétaire aux Affaires
étrangères de Margaret Thatcher, « une
démocratie est capable d’accepter une amère
médication uniquement quand il est absolument manifeste qu’il
n’y a aucune alternative possible. »
La synthèse
Une bonne
partie du livre (chapitres 1, 2 et 3) permet donc de se faire une bonne
idée de l’évolution des comptes publics au cours des 4
dernières décennies et de discerner la tendance actuelle.
Plusieurs constats importants s’imposent.
Le premier,
c’est que la France présente un niveau très
élevé de recettes publiques, sans autre équivalent dans
l’Union européenne (UE) et la zone euro (à
l’exception aujourd’hui de pays scandinaves dont on constate
néanmoins que la tendance dans ces pays est inverse à celle de
la France). La France prélève ainsi cinq points de PIB de plus
que les moyennes de la zone euro et de l’UE, avec un montant stable
à environ 50% du PIB.
Les
dépenses publiques ont, quant à elles,
atteint un niveau très élevé. En 2011, la France
occupe le premier rang en matière de dépenses publiques au sein
de la zone euro et le 2ème au sein de l’UE
après le Danemark. Alors qu’elles représentaient 40% du
PIB en 1974, elles dépassent les 56% du PIB depuis le début de
la crise en 2009.
L’importance
des recettes ne permet cependant pas de couvrir les dépenses, si bien
que depuis 1974, la France n’a pas enregistré
d’excédent budgétaire. Cette année-là fut
la dernière où le budget de l’Etat fut
exécuté sans déficit. La dette s’est donc
elle-aussi accumulée au fil des années. Partie d’un stock de
départ vraiment bas et donc favorable, le stock de dette a connue une augmentation de plus de 50% par
décennie. Cette situation place désormais la France dans le
tiers des pays de la zone euro ayant la dette brute la plus forte. Alors
qu’elle n’était que de 20% en 1980, elle dépasse
les 90% du PIB fin 2012.
Ce constat
macroéconomique fait, l’auteur prend la peine de regarder les
choses de plus près afin de bien comprendre les grandes tendances. Il
souligne, en particulier, qu’en 2010, les quatre politiques publiques
les plus coûteuses sont la protection sociale (24% du PIB), la
santé (8%), les services publics généraux (7%) et
l’éducation (6%). Autre chiffre à garde en tête,
les dépenses de personnel représentent à elles-seules
13% du PIB.
Les bonnes questions
Ce constat
fait, Pierre François Gouiffès se
lance dans diverses analyses qui vont le conduire de la chronique des
différentes orientations prises en matière de budget au cours
des six mandats présidentiels achevés depuis 1974 à
l’étude des discours économiques et politiques. Il y
confronte aussi le constat décrit ci-dessus à d’autres
données comme celles de la croissance, la répartition des
revenus, les questions intergénérationnelles, etc.
On
l’aura compris, le livre est très touffu et offre un panorama
très complet des grandes questions actuelles. On en retiendra quelques unes.
Par exemple,
au sujet des engagements budgétaires, l’auteur pose la question
des écarts constants entre la prévision initiale et le taux de
croissance effectif. Et ajoute que ces écarts sont marqués
d’un biais très souvent optimiste : pour deux exercices
budgétaires sur trois, la prévision de croissance est
supérieure à la croissance effective avec une surestimation moyenne
de 0,6 points de PIB sur la période.
Autre question
évoquée à de nombreuses reprises : celle du passage
à l’euro. Faisant le constat que la politique économique
française a été profondément marquée par
la convergence monétaire européenne, il ajoute que la
création de l’euro a sans doute permis à la France un
endettement plus élevé que cela n’aurait
été possible en son absence. En effet, il écrit très justement
que la contrainte extérieure qu’était la
dévaluation du franc dans le rôle de régulateur
économique et politique, a semblé disparaître pendant
près d’une décennie pour finalement
réapparaître sous la forme d’un nouveau vecteur celui du
taux d’intérêt payé sur la dette souveraine.
Pour finir et
sans avoir pu mentionner ici les nombreux autres sujets
évoqués, nous attirons l’attention du futur lecteur sur les
pages concernant le discours dans les modèles keynésiens,
néo-ricardien et celui des choix publics.
Ils résument de façon simple et éclairée des
courants d’idées aussi bien influents qu’explicatifs de
nombreux phénomènes actuels.
Évidemment,
il serait facile de critiquer le livre pour le très grand nombre de
sujets évoqués et traités nécessairement de
façon rapide mais ce n’est finalement qu’une autre
manière de dire qu’il y a matière à
réfléchir et approfondir les pistes lancées par
l’auteur.
Celui-ci pour
conclure, écrit « il n’est toutefois pas exclu que la
société française soit passée, au cours des
quatre dernières décennies, d’une situation globalement
gagnants-gagnants (où l’essentiel des groupes sociaux profite de
la prospérité générale largement diffusée
par la redistribution publique) à une situation gagnants-perdants
(marquée par la préservation, voire la progression
d’avantages pour certains groupes sociaux et par la dégradation
de la situation pour d’autres, suivant le clivage classique insiders-outsiders), voire, dans une vision
pessimiste perdants-perdants, la mise en place d’une configuration
malthusienne induisant une perte de bien-être pour la
quasi-totalité des groupes sociaux. »
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