Je suis né et ai grandi à New
York City, dans l’East Side de Manhattan (avec un
léger intermezzo dans la banlieue de Long Island de 1954 et 1957 et bien que
je vive maintenant depuis des dizaines d’années à trois cent kilomètres au
nord de la ville). J’y retourne de temps à autres pour y rencontrer des
éditeurs et faire le plein de frissons cosmopolites. Un matin de printemps,
il y a quelques années, à la fin du règne du maire Bloomberg, je traversai
Central Park depuis mon hôtel à l’ouest de la 75e rue en direction
du Metropolitan Museum of Art quand j’ai eu une
épiphanie.
Tout au long de ma vie,
Central Park, et pour ainsi dire le reste de la ville, n’avait jamais encore
été en si bon état. Le cœur de New York avait subi une restauration
phénoménale. Quand j’étais petit, dans les années 1960, les districts comme Tribeca, Soho et Bowery étaient
peuplés d’alcolos et de cafards. Les brutes qui travaillaient dans le Meatpacking District n’avaient encore jamais vu un
top-modèle. Brooklyn était tout autant reculé du reste du monde que la
Roumanie de Nicolae Ceausescu. Le zoo de Central Park ressemblait à une scène
sortie tout droit de Riot in Cellblock D, et le parc lui-même était jonché des
restes des affreuses expériences de Robert Moses qui voyait les grillages
comme des œuvres d’art. Sont ensuite arrivées les années 1970 et leurs
graffitis, qui ont été résumées par le tristement célèbre gros titre de
journal [President]
Ford to City: Drop Dead.
Mais ce jour
là, le parc rayonnait. Sheep Meadow avait été entièrement recouvert de gazon, les
structures de Frederick Law Olmsted, le Pont d’Arc,
la fontaine Bethesa avaient été restaurés. Des
lofts de plusieurs millions de dollars se vendaient à Bowery.
A l’endroit où des camions déchargeaient autrefois des carcasses pleines
d’asticots se pavanaient maintenant des célébrités de la télé et de la mode.
Brooklyn était le nouveau Jérusalem des arts vivants. Et mes parents
n’auraient plus pu se permettre le F2 avec deux salles de bains (avec cheminée)
dans lequel j’ai grandi à l’est de la 68e rue.
La raison qui se cache
derrière la glorieuse renaissance de New York City est la financiarisation de
l’économie. Des milliards de dollars ont afflué vers ce petit coin des
Etats-Unis depuis les années 1980, vers les comptes en banque d’innombrables
vampires affairés à déshabiller le reste de la nation de ses actifs. Au cas
où vous vous posiez la question, tout le patrimoine de villes comme
Detroit, Akron, Peoria, Waukegan, Chattanooga, Omaha, Hartford, et d’une
pléthore d’autres a été saigné pour profiter à l’impérialisme des chaines de
banlieue ou aux rackets de la médecine et de l’éducation – et tout ça a
convergé, abracadabra, vers la rénovation de quelques kilomètres carrés près
de l’Océan Atlantique.
Personne, dans les médias de
New York, ne parvient à saisir cette dynamique ou ne sait ce qu’il se passera
ensuite. Le processus d’extraction de richesses est terminé, et New York City
est désormais en passe d’entamer une descente à en donner le vertige vers la
détérioration et le chaos, à commencer par le règne du bientôt malheureux
Bill de Blasio.
Le maire Bloomberg a été
célébré pour avoir, entre autres, stimulé une nouvelle génération de
gratte-ciels. Il existe une théorie selon laquelle un empire construit ses
bâtiments les plus monumentaux avant de s’effondrer. Je pense qu’il y a du
vrai là-dedans. C’est ce qui est maintenant sur le point de se passer à New
York, notamment pour ce qui concerne l’empire financier de Wall Street, qui
est en passe d’exploser. Les nouveaux gratte-ciels érigés pour les 1% sont
déjà obsolètes. Les acheteurs ne le savent pas. Dans l’ère de rareté de
capital que nous entrons aujourd’hui, ces bâtiments gigantesques ne pourront
être entretenus (et ils ont besoin d’une attention incessante, méticuleuse et
coûteuse). Diviser la propriété de mégastructures entre différents
appartements grâce à des associations de propriétaires est une expérience
nouvelle, et qui est vouée à l’échec. Tous ces grands bâtiments érigés en le
nom du grand Michael Bloomberg passeront bientôt du rang d’actifs à celui de
passifs.
Ce n'est que l'un des exemples
de l’effondrement des mégalopoles qui viendront surprendre ceux qui pensent
que la super-croissance peut continuer indéfiniment. Il sera certainement
injuste de faire porter le chapeau au pauvre Mr. de Blasio
(bien qu’il soit en mesure d’aggraver la situation), de la même manière qu’il
est erroné d’attribuer le crédit de ce que la financiarisation de l’économie
a apporté à une portion des Etats-Unis à Michael Bloomberg.