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J’ai noté récemment que les
discussions autour de la question monétaire en 1526, à l’époque de Nicolas
Copernic, étaient plus ou moins identiques aux nôtres. Il s’agissait de
débats entre ce que j'ai appelé la vision classique de la monnaie, et la
vision mercantiliste.
La vision classique voudrait que la monnaie soit stable,
neutre et fiable au possible – l’équivalent monétaire des poids et mesures
tels que le mètre et le kilogramme. Cette vision était celle d’économistes
britanniques connus sous le nom d’économistes classiques, entre 1750 et 1925.
L’expression pratique de leurs idées dans le monde réel a été l'étalon or,
notamment celui qui a évolué après 1850.
Les mercantilistes pensent la monnaie comme un outil qui
doit être utilisé pour atteindre des objectifs politiques de court-terme,
tels que le financement de déficits financiers ou la réduction du taux de
chômage. La monnaie devait être gérée par les bureaucrates des gouvernements,
les « hommes d'Etat » décrits par James Denham Steuart dans
son ouvrage intitulé An Inquiry into the Principles of Political Economy,
publié en 1767. Cette vision a culminé avec la longue ligne de penseurs
britanniques connus sous le nom de mercantilistes, entre 1600 et 1750.
L’expression pratique des idées mercantilistes est une devise flottante gérée
par un gouvernement.
Il est clair que des gens ont discuté de ce sujet des
centaines d’années durant. Mais ce débat remonte à bien plus loin. Platon
était un homme d’argent flou, ce que j’appelle un mercantiliste. Son
étudiant, Aristote, était quant à lui un homme de monnaie saine, un
classiciste.
Le premier livre à s’être penché sur la question monétaire
dans le monde occidental est semble-t-il celui de Nicolas Oresme (1320-1382),
De
Moneta. Il a été écrit en 1375. (Le tout premier livre à avoir abordé
le sujet de la monnaie est le Chhuan Chih ou Traité de la Monnaie,
écrit par Hung Tsun en 1149. J’espère qu’il sera un jour traduit. Les Chinois
ont inventé la monnaie papier au début du XIe siècle, et n’ont pas tardé à
vivre de folles aventures grâce à cette invention.
De Moneta
n’est pas aussi décourageant que son titre le suggère. Il s’agit d’un essai
assez court et pratique, qui est disponible gratuitement
sur mises.org.
Oresme commence son essai par ces mots, qui décrivent
parfaitement la tension entre les stratégies classique et
mercantiliste :
« Il
semble à certains qu’un roi ou prince peut, de sa propre autorité, par droit
ou privilège, muer librement les monnaies qui ont cours en son royaume, les
réglementer à son gré et en retirer autant de gain et de profit qu’il lui
plaît. D’autres, cependant, sont d’un avis opposé. C’est pourquoi j’entends,
dans le présent traité, écrire là-dessus ce qui, suivant la philosophie
d’Aristote principalement, me paraît devoir être dit, en commençant par
l’origine des monnaies, rien ne devant être affirmé à la légère. Je soumets
le tout à la correction de plus grands que moi qui, peut-être, à partir de ce
que je vais dire, pourront être incités à déterminer la vérité sur ce point,
de sorte que, toute incertitude cessant, tous puissent tomber d’accord sur un
seul avis et trouver à cet égard ce qui sera utile à l’avenir aux princes et
aux sujets ou, mieux encore, à l’Etat tout entier ».
Oresme développe des arguments à la manière charmante du
quatorzième siècle, et conclue que :
« [Altérer la valeur d’une devise] n’évite pas le
scandale, mais l’engendre plutôt. Il n’y a ni nécessité ni commodité à faire
cela, la société n’en peut tirer aucun avantage. Cela est clairement indiqué
par le fait que ces mutations sont d’intervention récente comme on l’a déjà
dit au chapitre précédent. On n’a en effet jamais rien fait de semblable dans
les royaumes bien gouvernés d’autrefois. Si cependant les Italiens et les
Romains ont finalement fait de telles mutations, comme on le voit par
certaine mauvaise monnaie ancienne que l’on retrouve de temps en temps dans
les champs, ce fût peut-être là l’une des causes pour lesquelles leur noble
empire a été réduit à néant. Il est dont clair ainsi que ces mutations sont
si mauvaises qu’elles ne doivent en aucun cas être permises ».
Il observe ensuite :
« D’autre
part, durant ces périodes de mutation, on ignore très souvent combien vaut
telle ou telle pièce, et il faut faire commerce de la monnaie, ou bien
l’acheter et la vendre, ou bien changer le prix, à l’encontre de sa nature.
Et ainsi, il n’y a aucune certitude pour al chose qui doit être la plus
certaine, mais plutôt la confusion et l’incertitude et de la désorganisation
qui attire le blâme sur le souverain. De plus, il est absurde et tout à fait
contraire à l'honneur d’un roi d’interdire le cours de la vraie et bonne
monnaie du royaume et, poussé par la cupidité, de sommer, que dis-je, de
contraindre ses sujets à utiliser de la moins bonne monnaie, comme si l’on
voulait dire que ce qui est bon est mauvais, et vice versa ».
Oresme avait une vision intéressante des bénéficiaires de
devises fiduciaires flottantes :
« Certains corps de la communauté s’emploient à des
activités honorables ou utiles à tout l’Etat, qui ont pour but d’accroître ou
gérer les richesses naturelles pour les besoins de la communauté : ce
sont les hommes d’Eglise, les juges, les soldats, les cultivateurs, les négociants,
les artisans et leurs semblables. Mais il en est un autre qui augmente ses
richesses personnelles par l’exercice d’un métier vil : ce sont les
changeurs, marchands de monnaie ou billonneurs ; et certes, cette
activité est honteuse, comme on le disait au chapitre XVIII. Partant, ces
derniers, qui sont pour ainsi dire superflus à l’Etat, et certains autres,
tels que les receveurs et les manieurs d’argent ou leurs semblables, prennent
une grande part du revenu ou gain qui provient des mutations de monnaie et,
soit malice, soit hasard, s’enrichissent de ce fait, à l’encontre de Dieu et
de la justice, puisqu’ils n’ont pas mérité de telles richesses et qu’ils sont
indignes de tant de biens. D’autres en sont appauvris, qui constituent les
corps les meilleurs de cette communauté, si bien que le prince, par-là, lèse
ses sujets les plus nombreux et les meilleurs, les grève à l’excès et que,
cependant, tout le gain ne lui en revient pas, mais que ceux que l’on a cités
en ont en grande part ».
Ce passage ne
décrit-il pas notre propre situation ?
Nous sommes
aujourd’hui dans un monde largement mercantiliste. Les intellectuels
insistent sur le fait que les monnaies fiduciaires gérées par les
gouvernements sont la meilleur manière de gérer les choses. Ils ne veulent pas
abandonner leurs objectifs de gestion économique.
Mais les
leçons de l’histoire sont limpides. La situation était claire au temps
d’Oresme comme au temps de Copernic. Elle a été claire alors et l’est encore
à présent, après quarante-deux années d’expérience avec la monnaie papier.
Pendant 182
ans, depuis leur création jusqu’en 1789-91, les Etats-Unis ont suivi le
principe mercantiliste de stabilité monétaire – en pratique, un système
d’étalon or. Leur économie a englobé un continent, et le pays est devenu une
superpuissance militaire, avec la classe moyenne la plus prospère et la plus
large de l’Histoire.
Depuis 1971,
il y a eu des hauts et des bas, mais la tendance est nette. Le salarié
américain moyen est moins bien payé aujourd'hui qu'en 1970. Pendant un temps,
ce problème a pu être camouflé en faisant travailler les femmes, mais même
avec deux revenus, le revenu moyen des ménages américains n’est aujourd’hui
pas supérieur à ce qu'il était en 1988. La classe moyenne s’est érodée, alors
que les travailleurs les plus pauvres et les chômeurs se sont multipliés.
Les Etats-Unis
sont en déclin, et ils le resteront jusqu’à ce qu’ils abandonnent leurs
fantaisies mercantilistes. Un autre pays finira un jour – probablement la
Chine – par découvrir l’avantage économique représenté par une monnaie saine,
et utilisera cette stratégie pour surpasser les Etats-Unis et d’autres
nations qui lui sont similaires, de la même manière que les Etats-Unis l’ont
fait autrefois. L’approche classique de la monnaie renaîtra de nouveau,
simplement parce qu’elle apporte de meilleurs résultats.
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