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Comme je
l’expliquais dans mon précédent
article, le marché du travail français se distingue par sa rigidité. Celle-ci
s’explique principalement par quatre facteurs : la semaine de 35
heures et les indemnités de licenciement (abordés dans
l’article en lien), la question
du salaire minimum universel et des cotisations sociales. Nous allons
ici traiter de ces deux facteurs.
Le salaire
minimum universel (le SMIC en France) est sans doute l’aspect le plus
difficile à réformer en France compte tenu du symbole qu’il
représente dans l’esprit collectif. Pourtant, supposé
protéger les plus faibles, le salaire minimum les exclut car leur
productivité ne justifie pas une rémunération au-dessus
de ce qu’ils peuvent contribuer à l’entreprise. On
pourrait dire que le salaire minimum incite les entreprises à axer
leur développement sur les aspects technologiques et oblige ainsi les
travailleurs les moins qualifiés à se former. C’est une
présentation hypocrite du salaire minimum. Car si les entreprises sont
incitées à se développer technologiquement, c’est
avant tout pour diminuer leur besoin en une main d’œuvre devenue
trop cher. Quant aux travailleurs moins qualifiés, comment peut-on
prétendre qu’ils suivront une formation s’ils ne peuvent
pas trouver un travail pour la payer ?
Évidemment,
on pourra toujours affirmer que le salaire minimum universel est plus
élevé ailleurs, comme par exemple au Luxembourg ou en
Australie. C’est vrai mais cela cache le fait que par ailleurs le
marché du travail dans ces pays est beaucoup moins rigide sur d’autres
aspects. Par conséquent, ils peuvent supporter sans trop de dégâts
le coût du salaire minimum. D’autres diront que si dans certains
pays aux économies très solides comme la Suisse, ou à un
moindre degré l’Allemagne, aucun salaire minimum légal n’y existe, des
négociations collectives établissent néanmoins des salaires
minima par secteur. Encore une fois, c’est oublier que les partenaires
sociaux dans ces pays sont plus pragmatiques, plus proches de la vie de
l’entreprise et garants avant tout du maintien des individus dans leur
emploi et non de la hausse continue des salaires. Les salaires minima
établis par ces négociations sont plutôt flexibles et ne
constituent pas une loi écrite dans le marbre.
Reste que la
suppression pure et simple du salaire minimum en France serait sans doute
difficile à accepter par la grande majorité de la population.
Cela pose de fait la question de la rigidité des cotisations sociales.
Si le salaire minimum en France pose problème, c’est parce
qu’il ne se situe pas vraiment autour des 1400 euros bruts, mais
plutôt autour de 2800 euros, charges comprises. Car pour une entreprise, le
« salaire » inclut tout ce qui est payé pour
embaucher quelqu’un et non son salaire net ou
« brut ». Le « coût de
l’employeur » ou le « super brut »,
voilà le salaire qui compte pour l’entreprise. Ce salaire est
constitué d’un peu plus de 45% de cotisations sociales. Ces
cotisations comportent en gros trois volets : assurance maladie,
retraite, et assurance chômage. La réforme de la retraite
constitue à elle seule un problème très compliqué
et nous n’en parlerons pas ici.
C’est
pourquoi, envisager la question du Smic, c’est aussi poser celle du
financement de la sécurité sociale en France. Or, les
réformes des assurances maladies et chômage présentent moins
de complications techniques. En effet, i rien ne justifie techniquement la
tutelle de l’Etat sur l’assurance maladie L’assurance
maladie pourrait rester obligatoire. Cependant, elle pourrait passer à
la libre concurrence entre assurances privées afin
d’éliminer notamment les coûts bureaucratiques et les
redondances typiques de l’administration publique.
Pour mieux
exposer l’enjeu des coûts de la santé publique, je propose
au lecteur un petit exercice. Le salaire mensuel net d’un travailleur
moyen en France est de 2 043 euros (Source :
INSEE), ce qui nous donne un « super brut » proche
de 4 000 euros. Les cotisations santé constituent environ 12% du super
brut par mois pour une couverture santé égale à 70% du tarif de base de la
sécurité sociale – lequel se trouve
généralement en-dessous des tarifs réels des services
santé. Aux États-Unis, un salarié moyen touche un super
brut mensuel de 4 583 dollars (Source :
SSA),
soit 3 391 euros. En moyenne, il paye
448 dollars (Source :
Kaiser Family Foundation)
par mois au titre de son assurance santé, soit 332 euros, ou 9,8% de
son super brut. Or, cela lui permet d’avoir une couverture proche de
100% à frais réels. Et ce en dépit du fait qu’on
assiste aux États-Unis à une inflation des coûts du fait
des nombreuses interventions de l’État fédéral.
Concernant
l’assurance chômage, il est évident que si
l’environnement économique venait à
s’améliorer du fait des réformes mises en œuvre dans
le billet précédent, la pression sur cette assurance serait
beaucoup moins forte. Aujourd’hui, une critique récurrente
consiste à souligner son incapacité à trouver des postes
adaptés au profil des chômeurs. Il est vrai que l’incompétence
réelle et la mauvaise volonté peuvent être une des causes
de ce problème. Il n’en demeure pas moins que la rigidité
constatée sur le marché du travail français contribue
énormément au problème. Même pour des
sociétés de service
comme Manpower ou Randstad, connus pour leur
compétence en la matière, la chose n’est pas facile. Un
marché redynamisé rendrait plus facile le repositionnement des
chômeurs, du fait d’investissements plus importants et
d’une plus grande diversité dans les débouchés.
L’assurance
chômage – à savoir le fait de rémunérer
l’inactivité - pose cependant un problème en soi,
d’autant plus que l’absence d’un marché du travail
dynamique rend la période d’inactivité plus longue que ce
qu’elle pourrait être. Par conséquent, les dépenses
réalisées avec ces allocations chômage sont très
élevées. Un marché redynamisé permettrait de
réduire la période potentielle d’inactivité
grâce à une plus grande offre de postes créés par
les entreprises. Cette réduction sera amplifiée si un vrai
marché de l’assurance chômage était mis en place,
car les recettes des compagnies d’assurance-chômage reposeraient
alors sur leur capacité à replacer leurs assurés –
et sur le fait qu’elle préfèrerait replacer un
assuré dans des emplois stables au risque sinon de devoir lui verser
des indemnités plus souvent.
En résumé,
une réforme du marché du travail est selon moi un
complément nécessaire aux réformes des marchés
des biens et services. On pourrait envisager un décalage entre la mise
en œuvre des réformes sur les marchés des biens et
services et celles du marché du travail afin de
bénéficier du dynamisme renaissant des premiers. Les
réformes des 35 heures et celle des indemnités de licenciement
sont peut-être les plus faciles à mettre en œuvre dans
l’immédiat. La libération des marchés des
assurances maladie et chômage (tout en les maintenant obligatoires)
pourraient être entamées dans la foulée. La
réforme du SMIC est à envisager en dernier, une fois que la
redynamisation du marché commencera à porter ses fruits. On pourrait
même envisager de ne pas le supprimer, à condition de cesser de
l’augmenter de sorte qu’au fur et à mesure que les
salaires moyens augmenteront, sa signification économique sera de
moins en moins importante.
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