La sueur perle sur son front. Il ahane, la fatigue faisant parfois sentir une langueur pénible dans ses muscles mis à rude épreuve. Mais Arnaud n’abandonne pas. C’est une question de principe, de motivation interne, c’est une façon de canaliser ce feu ardent qui nourrit son ardeur, fait vibrer ses tripes et bouscule ses pensées dans un bazar cosmique effervescent et coloré. Sans se relâcher, Arnaud repart au combat.
Et il ne s’en laissera pas conter. On ne la lui fait pas, à lui : les choses vont mal, certes, mais la foi bouge des montagnes, et tant pis si la sienne ressemble à un numéro d’équilibriste du cirque Bouglione, et tant pis s’il pousse sur la mauvaise montagne qui, d’ailleurs, est plutôt une grosse pile de vieux linges sales : Arnaud ira jusqu’au bout, il ne lâchera rien, il n’abandonnera pas.
Depuis le début de cette année, les semaines qui sont passées dans le calendrier sont comme des années pesant sur ses nerfs tant la conjoncture fut difficile et la réalité, chafouine, aura refusé de se plier à ses injonctions pourtant pleines de convictions. Ainsi, rudement, il avait évoqué rapidement l’idée de claquer le museau de Google, ce dragon étranger venu piétiner les données personnelles du petit peuple français dont il avait la garde, lui et les autres preux ministres-chevaliers de la Table Gauche. Il avait donc réclamé une relocalisation autoritaire en France des données du grand animal vorace, avant de se faire expliquer en coulisse que ses demandes étant grotesques, il fallait à présent émettre rapidement un démenti poli mais ferme et que non non, finalement, on va s’arranger discrètement merci passons à la suite.
Et quelle suite ! Si, pour le dragon des internets et des lolcats, les allers et retours du cabinet montebourgeois ont bien fait rire les internautes attentifs à la démonstration de confusion et d’incompétence qu’ils offraient au public, au moins le brave Arnaud se retrouve en terrain connu lorsqu’il s’agit de parler entreprise et économie en général, et monnaie européenne en particulier.
Et pour Arnaud, après avoir tour à tour désigné comme ennemis de la France économique les Coréens, les Allemands et, de façon générale, tous ces méchants étrangers qui tentent de racheter nos bijoux français, il fallait passer à un registre un peu différent, bien que toujours déclamatoire et toujours délicieusement teinté de ce dirigisme colbertiste aux senteurs vieille France.
Et pour que sa voix porte bien, que ses petits mouvements de mentons puissent convoyer correctement toute l’impétuosité et le caractère indiscutable de ses demandes, il s’est donc adressé directement au MEDEF. Ça lui change de parler à des patrons d’entreprises étrangères qui ont cette fâcheuse tendance à lui dire « oui » devant et « n’afoutr » derrière et qui lui laissent dans la bouche cet abominable amertume que l’échec risible lui provoque trop souvent.
C’est pratique, le MEDEF ! Groupement de copains et de coquins habitués au capitalisme de connivence étatique, pas un de ses membres ne peut prétendre pouvoir se passer vraiment de l’État français et pour Arnaud, il est dès lors bien plus facile de fanfaronner qu’avec un vendeur de pneus américains ou de ferrailles indiennes. L’angle d’attaque est tout trouvé : utilisons ce Pacte de Responsabilité, bricolage improbable d’un François Hollande alors coincé entre deux actualités ridicules à base de quenelles et de casque de scooter !
En substance, comme l’État français va mettre en place un Pacte de Responsabilité (avec l’évident brio qu’on lui connaît déjà), le courageux Arnaud demande en retour que les entreprises qui en bénéficieront (forcément) créent près de deux millions d’emplois. Pouf, parce que bon, c’est évident :
« J’observe que sur ces cinq prochaines années, si la conjoncture est celle que nous prévoyons, la France créera environ un million d’emplois. Dans le même temps , nous aurons aussi 650.000 nouveaux arrivants sur le marché du travail. Du coup, le chômage ne baissera que d’un point. Pour moi, l’objectif en termes de contreparties serait au minimum la création de 1,65 million d’emplois de manière à ce que l’effort des entreprises puisse contribuer à une baisse de 2 à 3 points du chômage. »
Fastoche. Un miyon d’emplois créés qui sortent par ce petit tuyau ici, et une injection de plus d’un demi-miyon par ce gros tuyau là, et donc conclusion il faut que ce petit tuyau-ci débite presque deux fois plus en ajustant le volant ici, la manivelle ici et là, et en appuyant sur le gros bouton, pouic voilà c’est fait, et un quart de tour sur le bidule là et c’est bon on ne touche plus à rien. Ça va le faire. « Si la conjoncture est celle que nous prévoyons », hein, bien sûr !
Pauvre Nono. S’il n’avait pas cette capacité à frétiller aussi stupidement, on le prendrait presque en pitié. Car inévitablement, ça va piquer un peu lorsqu’encore une fois (et comme toutes les putains de fois précédentes depuis 40 ans), on se rendra compte que la conjoncture n’a pas été celle qu’ils prévoyaient (oooh, zut), que la croissance anémique n’a pas permis de créer les emplois prévus, que le pacte de responsitruc se traduit par une petite bouffée d’air tiède à l’odeur douteuse, et que les entreprises n’ont pas pu jouer le jeu, sabotées qu’elles sont par les bonnes idées de taxes nouvelles et d’impôts rigolos novateurs que le reste du gouvernement se sera empressé de trouver d’ici à Noël prochain…
Bien sûr, Arnaud a probablement, enfoui au plus profond de son être intrépide, joyeux, primesautier même, cette petite pincée de lucidité qui lui permet de comprendre, sans en rien laisser paraître, que tout ceci n’est qu’une mascarade supplémentaire que seules ses grimaces comiques arriveront à faire passer dans les médias français. Mais qu’importe : il ne joue pas l’avenir de la France, mais plutôt la montre ou son avenir propre.
Et dans ce cadre-là, rien ne vaut les déclarations à l’emporte-pièce. Alors, en plus de ces millions d’emplois créés à gros bouillons et doigt mouillé, on va aussi exhorter le reste de l’Europe à suivre le mouvement qui, de loin, ressemble bien à celui, vertical et circulaire, d’un cheval de bois sur un manège enfantin aux lampions clignotants, Arnaud juché dessus et criant « Yahou ! » l’air émerveillé. Et quand je dis circulaire et vertical, je m’explique : à court d’idées nouvelles, les caciques du PS reviennent régulièrement, circulairement même, à cette chimère qu’en tripotant la monnaie, on pourra créer de l’emploi et de la croissance. Et vertical, parce que cette fois, il s’agit d’impulser un tel mouvement, vers le bas, à la monnaie européenne.
C’est, bien sûr, parfaitement idiot.
D’une part, idéologiquement à peine armés d’un petit couteau pour affronter la guerre économique moderne, les socialistes proposent ici une non-solution qui n’a jamais fonctionné nulle part, et vont se faire déchiqueter par le crépi du mur de la réalité sur lequel ils viendront se frotter langoureusement, et nous avec, pour ne pas changer les bonnes habitudes qui foirent. Une baisse autoritaire de la monnaie, décidée par une banque centrale et une autorité politique, parfaitement artificielle, sera bénéfique exclusivement pendant le temps nécessaire aux ajustements du reste des marchés (monétaires, de matières premières, de transports, d’énergie, de biens manufacturés et de services). Quelques semaines ou quelques mois plus tard, l’effet de la dévaluation sera estompé, et l’Europe (la France en premier lieu) se prendra de plein fouet les réajustements inévitables : le pétrole sera plus cher, tous les produits dérivés l’utilisant aussi, le coût du transport grimpera, etc… Même dans un monde où la France serait à peu près autonome, très majoritairement exportatrice, l’opération serait risquée et aux effets éphémères. Dans le monde actuel, une dévaluation sensible se traduira par un jeu à somme nulle, dans le meilleur des cas (et la « souplesse » actuelle des marchés montre qu’on en sera loin). Et pour une France majoritairement importatrice, cela sera extrêmement douloureux à moyen et long terme.
D’autre part, une telle mesure ne pourrait s’envisager qu’en imprimant massivement de l’Euro (ou en achetant des sommes colossales de dollars, de yens et de livres, ce dont on n’a pas les moyens), ce qui ne manquera pas de réjouir nos copains du Nord qui adoreront l’idée de diluer leur monnaie dans nos conneries. Comme, de surcroît, les Européens sont plutôt placés sur le chemin de la déflation, générer suffisamment d’inflation pour dévaluer l’euro revient à injecter (on ne sait pas trop comment) des montants titanesques dans l’économie, avec le risque évident de perdre tout contrôle des phénomènes déclenchés.Et même si on peut trouver fort drôle Montebourg allant chercher sa baguette de pain avec une brouette d’Euros fraîchement imprimés, globalement, c’est une bien mauvaise soupe qu’il veut nous vendre ici.
Comme dans tout manège, le plaisir ne dure que tant que la musique joue et avec ces « solutions », la musique s’arrêtera vite. Les socialistes comme notre brave Arnaud n’ont toujours pas compris le problème. Refusant obstinément la réalité parce qu’elle est trop moche, ils continuent de bidouiller l’économie, refusant de voir que l’augmentation continue des vexations fiscales appauvrit tout le monde, finances du pays incluses, refusant de voir que seule la diminution effective, massive et à tous les niveaux d’un État obèse pourra sauver leurs miches, refusant de comprendre que le problème, c’est l’État, c’est eux, c’est leurs idées pourries et leurs méthodes rances.
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