Mercredi dernier, dans le métro lillois, une jeune femme se fait tripoter par un ivrogne. Appelant à l’aide les passagers de la rame, elle doit cependant subir l’individu alcoolisé sans que personne n’intervienne. Ce n’est qu’une fois hors du métro, au milieu de la circulation urbaine, qu’un automobiliste lui viendra en aide. Magie des réseaux sociaux couplés à une presse en désuétude trop heureuse de faire du drame social pour occuper ses colonnes, ce fait divers malheureusement banal a rapidement enflé pour finir par faire de gros titres dans la presse nationale.
En substance, l’affaire racontée par les journaux nationaux est brossée à gros traits : la jeune femme a été agressée sexuellement, a subi les attouchements d’un jeune homme en état d’ébriété, le tout sous le regard indifférent (ou torve et concupiscent, allez savoir) de nombreux passagers du métro qui se sont honteusement abstenus d’intervenir. Ceci n’a pas empêché la justice de passer puisque l’agresseur a finalement été rattrapé, est passé en comparution immédiate et s’est pris dix-huit mois de prison ferme assorti d’une interdiction du territoire de deux ans (le fait qu’il était, comme on dit de nos jours, « défavorablement connu » des forces de police a dû jouer quelque peu).
Mais voilà : tout ceci soulève plein de questions, dont une de société qui aura été posée par le procureur de la République de Lille, Frédéric Fèvre, et qui en a profité pour ouvrir une enquête préliminaire pour « non-assistance à personne en danger » : comment la société égalitaire, solidaire, citoyenne, multiculturelle, festive et éco-consciente dans laquelle nous vivons tous, et pour laquelle nous payons tant d’impôts afin que ça se passe bien, comment peut-elle dériver pour aboutir à cette hideuse indifférence de nos concitoyens devant les malheurs d’une femme agressée ?
La question posée, l’enquête débute donc. Il ne s’agit plus de châtier l’impétrant (c’est fait, n’y revenons plus), ni même d’en expliquer le comportement : tout le monde sait que c’est la société qui est au moins en partie responsable de la dérive de ce pauvre homme, que ce sont les conditions d’emploi difficiles, le turbo-capitalisme des patrons mangeurs d’enfants communistes et l’ultra-libéralisme doublé d’un individualisme double-couche molletonné de tous les individus qui traînaient par là qui ont produit ce résultat navrant, pas de doute. Non, ici, il s’agit de retrouver ceux qui n’ont rien fait et de les punir aussi un peu, parce que franchement, dans une société normale (égalitaire, solidaire, citoyenne, multiculturelle, festive, éco-consciente et aux bisous nappés de caramel) il est inconcevable qu’on laisse ceci se produire. Et puis ça tombe bien, c’est puni par la loi, d’abord.
Il faut bien ça. Le procureur de la République à Lille est d’ailleurs tout tourneboulé de l’intérieur et a bien rappelé le fond du problème :
« En tant que représentant du ministère public, je suis inquiet de ce visage d’une société où on est capable de prendre une autre rame en laissant seule une femme face à son agresseur. Il est là, l’effroi aujourd’hui, se dire que dans notre société, on ne pourra pas compter sur la collectivité »
Voilà : c’est horrible de savoir qu’on ne peut plus compter sur la collectivité ! La collectivité, c’est l’alpha et l’oméga de la sécurité. C’est la béquille quant on boite, le coussin quand on doit mettre un genou à terre, le sparadrap Hello Kitty quand on est amputé. Et la collectivité qui n’agit pas, ce serait comme l’État qui n’apporterait pas de solution. Ce serait comme un service des urgences débordé qui laisserait mourir des gens faute de soin. Ce serait comme des gouvernants qui s’occuperaient plus d’air pur et de vélos que de chômage et d’entreprises. Ce serait insupportable. Il faut donc punir les individus individualistes.
Sauf qu’à première vue, cela ne va pas être totalement du gâteau de retrouver et mettre en examen les méchants égoïstes/individualistes indifférents au sort des donzelles en détresse. Et puis, on ne peut pas s’empêcher de se dire que cette recherche des coupables, de tous les coupables, ce pointage minutieux des défaillances cache un peu trop la nécessaire réflexion sur ce qui s’est produit.
Par exemple, on pourrait noter qu’à part la médiatisation très exagérée de ce fait divers, cette affaire est d’une triste banalité et n’est finalement qu’un nouvel exemple parfaitement ordinaire de ce qui se passe, régulièrement, en France. D’ailleurs, selon les propres paroles de la personne agressée,
« J’espère que ça n’arrivera pas à une autre fille. Arrivé une certaine heure, mieux vaut ne pas prendre le métro. Il y a des gens qui boivent, qui fument, qui sont désagréables. »
Apparemment, c’est donc quelque chose d’assez banal, à Lille, d’avoir des gens qui boivent, qui fument, et qui sont désagréables (on supposera ici qu’il s’agit en réalité de gens qui boivent plus que de raison, qui fument là où c’est interdit et des substances a priori pas autorisées, et qui sont plus désagréables que la faune habituelle de voyageurs en transport en commun). C’est d’ailleurs tellement banal qu’il y a quelques semaines, un groupe de militants du Groupe Identitaire avait organisé des « patrouilles sécuritaires » dans ce même métro, au grand dam de tout ce qui compte parmi les associations conscientisées, dénonçant l’apparition de milices (apparemment, le collectif, dans ce cas-là, ce n’est pas bien).
Eh oui : on est fort prompt à dénoncer l’absence de réaction des individus devant l’agression en cours, mais on oublie qu’apparemment, ce genre de faits divers est suffisamment courant pour que justement, plus personne ne s’en émeuve. Peut-être le problème réside-t-il en partie là, et il faut ensuite se poser la question : ces agressions ont-elles lieu parce que les gens ne réagissent plus, ou les gens ne réagissent plus, blasés, parce que ces agressions ont lieu régulièrement ?
Et là, la réponse est gênante quel que soit le cas.
Si les individus ne réagissent plus parce qu’il y a trop d’agressions, peut-être est-ce le signe clair d’un problème fondamental de sécurité. Peut-être est-ce la démonstration que la société, voulue si bisou, ne l’est plus depuis suffisamment longtemps pour que personne ne s’émeuve plus qu’une femme se fasse peloter lourdement par un poivrot agressif. Peut-être cette société est-elle devenue suffisamment violente pour que chaque individu fasse un calcul, sordide, d’importance de l’agression, et que celle-ci se soit classée bien trop bas dans le niveau de danger pour justifier une action… En tout cas, le collectif appelé de ses vœux par le naïf procureur, ici, est clairement en faute de n’avoir su endiguer cette insécurité galopante. Au fait, quelle entité collective est en charge, justement, d’assurer la sécurité ? La foule ? Les individus qui voyagent dans le métro ? Ou l’état par sa police ?
Au contraire, si les agressions ont lieu parce que les individus ne réagissent plus, peut-être est-ce parce que chacun d’entre eux sait qu’intervenir peut lui coûter fort cher. On ne compte plus, dans la presse, les cas où le bon samaritain, venant à la rescousse, se retrouve à son tour troué. D’ailleurs, Laurence Rossignol, sénatrice PS, avait fait l’expérience de cette « indifférence », et s’était étonnée que personne ne soit venu à sa rescousse ; mais voilà, lorsqu’à l’inverse de Laurence, on est défavorablement inconnu des services de police, on évite d’intervenir et de passer ensuite de longues heures au commissariat du coin à expliquer ce qui s’est passé, ou aux urgences à tenter de survivre. Sans compter qu’ensuite, l’agresseur, devenu agressé, peut aussi se retrouver à réclamer des dommages et intérêts. Et les obtenir.
Alors oui, comme le dit le gentil procureur, c’est fort désolant et très très mal de n’avoir pas observé de réaction. C’est bien triste que la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui autorise ce genre d’inaction. Mais voilà, monsieur le procureur : tout ceci n’indique pas franchement un problème au niveau des individus qui sont très rationnels, finalement, et qui ne réagissent pas parce que c’est devenu trop banal ou trop dangereux. Cela montre plutôt que vous et les juges, les politiciens et tout l’appareil d’État, avez parfaitement réussi à faire pénétrer le message important que seul l’État peut intervenir sur ce genre de problèmes.
Vous et tout l’appareil d’État avez persuadé tout le monde efficacement que la défense concrète du citoyen ne passait que par l’État. Et maintenant, vous vous plaignez que, l’État n’assumant pas ses missions qu’il s’est lui-même arrogé, les citoyens soient les bras ballants ? À force de collectivisme, vous avez durablement désarmé les individus, physiquement d’abord, puis psychologiquement, en leur ôtant toute possibilité, puis toute envie, de défendre leur prochain. Et maintenant, devant l’échec lamentable de la collectivisation de la force, vous vous plaignez et vous versez des petites larmes ?
Allons. Un peu de cohérence, que diable !
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