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Après
sa lecture des philosophes des
Lumières, (voir notre article
sur Helvétius) Isaiah Berlin,dans
La liberté et ses traitres, s’est intéressé aux
socialistes utopistes du XIXe
siècle et en particulier à Claude Henri
de Rouvroy, comte de Saint-Simon. Ce dernier, plus connu sous le nom d’Henri
de Saint-Simon, est un philosophe français né en 1760, mort en
1825, et considéré comme le père du socialisme.
« Il y a
eu Moïse, il y a eu Socrate, il y a eu le Christ, il y a eu Newton,
Descartes et il y a moi », a écrit un jour Saint-Simon. Emile
Faguet l’a bien décrit en disant de lui : « c’est
un fou, très exactement, beaucoup plus nettement que Rousseau
lui-même, mais c’est un fou très intelligent, comme il
arrive ; qui a eu comme l’intuition de ce qui devait être le plus
grand objet des préoccupations du siècle ; et il n’est
personne qui soit plus intéressant à étudier ».
Une interprétation technologique
de l’histoire
Saint-Simon
est d’abord le père de ce que Berlin appelle
« l'interprétation technologique de l'histoire »,
qui a beaucoup influencé l'interprétation matérialiste
de Marx lui-même. Et selon Berlin, celle de Saint-Simon « est
à certains égards une vision bien plus originale et bien plus
tenable ».
À la
suite des économistes libéraux, il va attirer l'attention sur
le rôle des facteurs économiques dans l'histoire. Saint-Simon
est en effet l’un des premiers à avoir défini les classes
au sens moderne du terme, c'est-à-dire comme des entités
sociales d'ordre économique, reposant directement sur les
progrès de la technologie, sur les progrès dans la
manière de se procurer, de distribuer et de consommer les produits. La
société actuelle est divisée en deux classes hostiles,
la classe des exploitants et celle des exploités, la classe des
propriétaires oisifs et celle des travailleurs productifs.
Mais le nouvel
ordre social prôné par Saint-Simon est un ordre autoritairement centralisé
et hiérarchisé, mis en place par une élite restreinte de
producteurs et de savants disposant d’un pouvoir total. Pour lui, comme
pour son disciple Auguste Comte plus tard, la liberté individuelle,
loin de coopérer à l'ordre social, est au contraire le principe
même du désordre.
L’apologie du dirigisme et du
gouvernement des élites
C’est
pourquoi, contrairement au libéralisme classique, Saint-Simon estime
que l'activité économique exige une réglementation :
« L'organisation sociale doit avoir pour objet unique et permanent
d'appliquer le mieux possible à la satisfaction des besoins de
l'homme, les connaissances acquises dans les sciences, dans les beaux-arts et
dans les arts et métiers » (L'Organisateur).
Cette élite éclairée sera donc composée de
savants, d’ingénieurs, d’industriels et d’artisans.
Il est intéressant
de savoir que Saint-Simon a recruté ses premiers disciples à
l'École polytechnique : Auguste Comte, Prospère Enfantin,
Victor Considérant. « Il faut, écrivit Enfantin, que
l'Ecole polytechnique soit le canal par lequel nos idées se
répandront dans la société ». De fait,
l’école est devenue un foyer saint-simonien ardent. Une
tradition incarnée par le Groupe X-Crise en 1931 et qui s'est fait
sentir jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Au cœur
de toute cette conception, explique Isaiah Berlin,
il y a la science, ou plutôt le scientisme,
c’est-à-dire la conviction que la société ne
doit pas être gouvernée de façon démocratique,
mais par des élites qui comprennent les besoins et les
possibilités technologiques de leur époque. « La souveraineté
ne consiste pas alors dans une opinion arbitraire érigée en loi
par la masse, mais dans un principe dérivé de la nature
même des choses, et dont les hommes n'ont fait que reconnaître la
justesse et proclamer la nécessité » (L’Organisateur).
C’est
à Saint-Simon que nous devons l’idée d’un
capitalisme d'État, d’une organisation rationnelle de
l'industrie et du commerce, dans l'intérêt de la
société. Cette idée, écrit Berlin en conclusion,
peut revêtir « des formes tempérées et
humaines dans le cas, par exemple, du New Deal américain ou de
l'État socialiste anglais de l'après-guerre ».
Mais elle prendra « des formes violentes, implacables, brutales et
fanatiques dans le cas de sociétés directement
planifiées comme le fascisme ou le communisme ».
Œuvres de
Saint-Simon :
Vues sur la propriété et
la législation
(1814) ; L'Industrie (1816-1818) ; L'Organisateur (1819-1820), Catéchisme des industriels (en
partie rédigé par son secrétaire A. Comte, 1823-1824) ; Nouveau Christianisme (1825).
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