Ainsi donc, François Hollande a parlé. Il est allé s’exprimer à la radio, le front plissé et l’esprit certainement plein des conseils que ses communicants lui ont fournis, pour fêter dignement les deux ans d’un quinquennat mal enquillé, actuellement marqué par une popularité catastrophique. L’exercice était nouveau. Le résultat, lui, nettement moins.
En une heure, le président de la République, répondant aux questions de Jean-Jacques Bourdin, aura — sur la forme — montré une nette amélioration de ses capacité à communiquer des idées. En terme de contenant, il partait d’assez bas ; l’amélioration était franchement possible. Reconnaissons donc à Hollande qu’il a pour une fois pris au sérieux sa propre démarche, et qu’il a eu la bonne idée d’admettre ses plus grosses erreurs (sans aller, toutefois, à reconnaître sa consternante contre-performance léonardienne, échec artisanal de proportion pourtant épique).
Mais c’est bien sur le fond, à l’évidence, qu’on doit le juger sur cette heure d’intervention dans laquelle il a tenté à la fois d’expliquer le parcours chaotique des deux années passées à l’Élysée et de montrer qu’il avait encore quelques juteux projets dans sa besace.
Et quels projets !
Comme d’habitude, on trouve en bonne place les bricolages traditionnels histoire de ratisser aussi large que possible et rassembler l’électorat qui s’est beaucoup dispersé récemment. La cote de popularité étant fort mauvaise, il n’y avait pas besoin d’aller chercher très loin quelques bonnes idées à pas cher qui pourraient marquer des points. Ainsi peut facilement se classer l’idée de représenter le texte pour le vote des étrangers, qui aura l’immense mérite de faire jacasser les partis politiques, sans aboutir à quoi que ce soit de bien pertinent dans un futur proche. De la même façon, le fait de temporiser toute prise de position sur la procréation médicalement assistée ne coûte rien et lui évitera vraisemblablement quelques épineuses passes d’armes avec une droite qui a bien du mal à trouver des sujets de rassemblements et qui trouverait dans une telle discussion de bonnes raisons de tempêter à l’Assemblée.
Il aura même continué sur cette lancée de petits bonbons faciles à distribuer. Une fois parti à Villiers-Le-Bel après l’interview, il a par exemple proposé une petite réforme du permis de conduire, histoire de le rendre plus simple, plus facile, plus abordable et certainement plus rose. À vrai dire, il aurait eu tort de s’en priver : ce genre de promesses ne coûte pas grand-chose et ne polarisera pas franchement l’électorat.
Parallèlement, le président s’est risqué à quelques sorties plus ou moins habiles sur des sujets d’actualité, qui ont surtout montré une maîtrise assez moyenne des dossiers. Ainsi, s’accrocher coûte que coûte à la réforme des rythmes scolaires introduite par Vincent Peillon avec fracas et malgré la crispation maintenant évidente tant de l’Éducation Nationale que des parents d’élèves et des communes chargées de l’appliquer, c’est faire preuve d’un courage un peu ridicule, d’autant qu’en parallèle, le pauvre Hamon, qui hérite du dossier, n’a très clairement pas tout l’outillage mental à sa disposition pour éviter un abandon en rase campagne, ni même l’appui de son administration : avec le départ inopiné de son n°2, Jean-Paul Delahaye, la réforme en question paraît surtout morte-née. Un peu à l’instar d’un Chirac qui laissera passer le CPE mais ne le promulguera pas, Hollande défend ici un ectoplasme qui ne prendra jamais vraiment corps.
De la même façon, lorsqu’il évoque sa maîtrise de la finance, il fait doucement sourire. Certes, l’union bancaire européenne est en route, mais c’est un projet qui ne date pas d’hier, et le pauvre n’y est pas pour grand-chose. Du reste, on peut largement arguer que ce projet ne sera qu’une cautère sur une jambe de bois. Par exemple, les banques françaises sont lourdement exposées au risque financier ukrainien, et ce n’est pas l’union bancaire qui va y changer quoi que ce soit. D’autre part, la taxe Tobin (ou plus exactement, sur les transactions financières) est une parfaite idiotie, poussée tant par la droite socialiste du précédent président que par la gauche socialiste actuelle. De plus, on voit mal ce que le président pourra lui trouver pour fanfaronner, tant sa version actuelle est diluée et, de fait, impraticable. On peut déjà s’attendre à des effets de bords comiques et coûteux.
En une heure de temps, on pouvait aussi s’attendre à une petite brouettée de promesses plus ou moins ridicules, plus ou moins tenables, et plus ou moins habituelles dans la bouche d’un politicien qui se fait actuellement frotter l’épithélium avec du crépi en terme de popularité. Avec une grosse louchée de petits bisous fiscaux pour les salariés modestes (et une baisse de trois points des cotisations, dans bientôt, promis juré craché, vers janvier 2015), on le voit espérer rattraper le vote d’une tranche de population nettement plus acquise à la gauche radicale (celle représentée, de façon brouillonne, par le Front de Gauche, et de façon camouflée, par le Front National).
Lorsqu’il indique aussi vouloir réformer pour la classe moyenne, celle qui n’est, finalement, ni vraiment riche, ni vraiment pauvre, et qu’il a précédemment tabassée d’impôts, on pourra s’étonner que cette promesse — qui n’engage à rien tant sa description est floue — n’a pas été réalisée plus tôt : c’est elle qui doit bénéficier des réformes, certes certes, mais pour ce qui est du détail, vous consulterez l’intendance qui verra tout ça plus tard, ne vous inquiétez pas.
Quant au chômage, le petit air de pipeau qu’il nous joue depuis deux ans continue, toujours aussi pulsé et obstinément à contre-temps de la réalité. Au sujet de la courbe des demandeurs d’emplois, magnanime avec lui-même, le président reconnaît que « Nous l’avons stabilisée, pas inversée. » Plus troublant, il a ensuite rappelé dans la foulée que
« c’est la seule promesse qui compte aux yeux des Français et je m’engage donc à la tenir. »
Autrement dit, concernant les autres promesses, il les fait mais ne s’engagera pas trop, hein. Ce n’est pas comme si elles comptaient vraiment aux yeux des Français, donc ça va.
Comme on le voit, jusqu’ici, le président a, sur la forme, repris un peu de crédibilité, et sur le fond, joué la partition parfaitement habituelle à laquelle on pouvait s’attendre de quelqu’un qui n’a, finalement, à peu près rien à craindre (il est président, il y reste, quoi qu’il arrive), et qui a encore quelques cartouches dans sa besace (remaniement, dissolution) pour s’assurer un avenir assez tranquille.
Mais là où Hollande sera bien vite retombé sur ses petites habitudes de politicien bidouilleur aux pâles copies de tactiques mitterrandiennes, c’est lorsqu’il aura annoncé, de façon assez détournée, un report des élections régionales, pour les mettre en phase avec la réforme territoriale qui a été lancée récemment, et a évoqué, là encore de la façon la plus ambigüe possible, la disparition des départements (ou, tout du moins, des Conseils généraux).
Tout ceci est, bien évidemment, un magnifique enfumage.
Enfumage qui a, du reste, parfaitement fonctionné lorsqu’on voit les réactions journalistiques et les réactions politiques.
Du côté des journalistes, toutes les rédactions se sont mobilisées comme un seul homme pour mettre en avant cette supercherie : Hollande sera peut-être le président de la réforme territoriale ? Mes petits amis, quels instants magiques ne vivons-nous pas ! C’est extraordinaire, les élections régionales pourraient être repoussées ! Et les régions fusionnées ! Et les départements dissouts ! Quelle excitation, quelle transformation, quelle révolution mes enfants, c’est vraiment géniaâal !
Les politiciens, devant cette orgie médiatique, ne sont évidemment pas en reste : vite, ouvrons notre bec, qui pour abonder dans le sens présidentiel, qui pour s’étouffer de rage que le méchant président puisse ainsi remettre en question le calendrier électorale parce qu’on sait, au fond, que si les élections avaient lieu aux dates prévues, il se prendrait une volée de bois vert, voyons, voyons. Ainsi, pour Copé, il faut en passer par un référendum (autrement dit, planifier un vote au moyen d’un vote, c’est particulièrement finaud) et ne surtout pas laisser ceci à la seule initiative du chef de l’État. Après tout, « il s’agit en réalité d’une grande réflexion institutionnelle que l’on doit avoir » !
Sauf qu’ici, je dis modestement « stop ». Ou plutôt, foutaises.
Non pas que la disparition des départements m’attristerait. En réalité, ils sont à l’évidence redondant dans le mille-feuille institutionnel dont la France s’est doté aux cours des années. Le report des compétences actuellement dévolues aux conseils généraux vers les communautés de communes ou vers les régions (mélange possible) ne serait pas un mal, d’autant plus si on arrive vraiment à faire disparaître les structures et les centaines de milliers d’emplois fonctionnaires qui les occupent. Je n’y crois pas trop, mais après tout, pourquoi pas.
Mais en réalité, tout ceci est un parfait enfumage : alors que le pays accumule actuellement des problèmes graves, une fiscalité débordante, un chômage galopant, et des perspectives économiques de plus en plus sombres, le président, les journalistes et toute la clique politique, bref, tous ces clowns qui sont payés, de près ou de loin, par nos impôts, s’emploient à réformer … le cadastre administratif.
Ce pays est foutu.
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