Mon pays pourra pleurer tant
qu’il voudra les résultats du référendum qui s’est tenu hier en Ukraine, ce
sont nous qui avons tout déclenché en promouvant le renversement d’un
gouvernement élu qui avait plus un penchant pour la Russie que pour les
ouvertures de l’OTAN. Le président Viktor Yanukovych,
élu en 2010, était peut-être un escroc et un vaurien, son opposante, la milliardaire magnat du pétrole Yulia
Tymoshenko, n’était pas bien différente. La leçon
que les Etats-Unis ont sans cesse manqué de tirer en plus de dix ans de
mésaventures en Asie centrale, est que lorsque vous créez des remous en des
terres lointaines, ce sont les évènements, et non les membres du Département
d’Etat, qui finissent dans le siège du conducteur.
Alors l’Ukraine a organisé un
référendum, et le résultat en est que 87% des Ukrainiens de l’est préfèrent
être rattachés politiquement à la Russie plutôt qu’au gouvernement de Kiev.
Et c’est facile à comprendre. Le fleuve Dnieper
marque une ligne de division ethnique : l’est du pays est
majoritairement peuplé de gens qui parlent le russe. Deuxièmement, le
gouvernement de Kiev présente tous les signes d’un Etat en faillite : un
Etat qui ne peut pas respecter ses responsabilités les plus basiques que sont
la couverture des coûts du maintien des infrastructures et des institutions.
Le gouvernement de Kiev est en banqueroute. C’est bien entendu le cas de
beaucoup d’autres nations, mais contrairement aux Etats-Unis ou encore à la France,
l’Ukraine n’a pas une devise assez forte et une banque centrale assez
puissante pour participer au jeu comptable qui permet aux plus grosses
économies de prétendre être solvables.
Kiev doit 3,5 milliards de
dollars à la Russie pour du gaz qui lui a été fourni par le passé, et Moscou
lui a demandé de payer ses livraisons de juin à l’avance. N’importe quelle
société gazière américaine demanderait la même chose à un mauvais payeur. Le
Fonds monétaire international a offert à Kiev un prêt de 3 milliards de dollars,
dont 2,6 milliards seront utilisés pour payer la Russie (Kiev a certainement
besoin du reste pour diriger son pays, payer ses policiers, etc.). L’Ukraine
est dans une situation désespérée, cela ne fait aucun doute, mais la Russie
est-elle supposée lui fournir du gaz gratuit indéfiniment ? Aussi
merveilleuse que puisse être la vie aux Etats-Unis, la plupart d’entre nous sommes
forcés de payer nos factures de chauffage. Pendant combien de temps le FMI
acceptera-t-il de payer les factures mensuelles de l’Ukraine ? En
septembre, cette question devrait devenir plus urgente encore – mais d’ici là,
la situation pourrait dégénérer et laisser place à une guerre civile.
Les Etats-Unis et leurs alliés
de l’OTAN aimeraient peut-être que l’Ukraine devienne l’un de leurs Etats
clients, ils ne sont pas prêts à payer pour ça. Voilà qui me pousse à me demander,
puisque la Russie aura un jour à payer la note de l’Ukraine, de qui l’Ukraine
est vraiment le client. Quel est le pays qui en est le plus proche
géographiquement ? Quelles histoires nationales sont intimement liées ?
Je ne suis pas certain que la
Russie et son président, Vladimir Poutine, soient enchantés de la dissolution
de l'Ukraine. Ils auraient été satisfaits d’une Ukraine indépendante, stable
politiquement, et capable de leur assurer une place de long terme dans les
ports de la mer Noire. La Russie parvient tout juste à sortir la tête de l’eau
financièrement grâce à son économie basée sur le pétrole, de gaz et les minéraux,
qui lui permet d’importer des biens à la consommation. Elle n’a pas besoin d’un
voisin incapable de s’en sortir tout seul. Il semblerait au moins que la
Russie soit prête à supporter la région de l’est du Dnieper.
Je suis certain que l'Ukraine
occidentale, centrée autour de Kiev, ne sera pas capable de subvenir à ses
besoins en tant qu’Etat moderne, c’est-à-dire maintenir le niveau de vie
correspondant à la culture techno-industrielle. Elle n'a pas l'énergie
fossile nécessaire. Elle est à la merci des autres. Ces dernières années, l’Ukraine
a maintenu un programme d’exploration spatiale indépendant (ce qui ne peut
être dit des Etats-Unis) que l’on observera bientôt avec nostalgie. Comme d’autres
régions du monde, le destin de l’Ukraine est de se retourner vers l’ère médiévale,
de redevenir une nation post-industrielle basée sur l’agriculture, avec une
population moins dense et un mode de vie moins élevé. Elle est une région
productrice de céréales, ce qui présente des avantages au vu du futur auquel
est destiné notre monde – si tant est qu’il parvienne à éviter de finir dans
le cimetière d’éléphants des anachronismes industriels.
L’Ukraine ne pourra pas
prétendre être la pupille de l’Occident indéfiniment. Elle n’a pas d’argent.
Tôt ou tard, le FMI finira par cesser de payer ses factures de gaz. Et puis
le FMI devra un jour se tourner vers les nations chancelantes de l’Europe de
l’est, dont la situation ne fera que s’aggraver si elles ne parviennent plus
à obtenir de gaz de la part de la Russie. Vous pouvez parier que l’Europe
réfléchira à deux fois avant de s’allier aux Etats-Unis pour imposer des
sanctions à d’autres. Les Etats-Unis passent actuellement à côté de l’opportunité
de se faire un client plus approprié : eux-mêmes. Pourquoi devraient-ils
prêter des milliards de dollars à l’Ukraine alors qu’il n’existe aucune ligne
de chemin de fer digne de ce nom entre New York City et Chicago ?