Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Mais qu’ils sont forts nos ministres. Non, vraiment, ils sont très, très forts. Pour Michel Sapin – au nom prédestiné puisque son patrimoine contient pas mal de forêts (il a raison, ce sera un excellent investissement dans les années à venir) mais aussi quelques centaines d’hectares de terres agricoles, sans oublier les pièces et monnaies anciennes puisque notre ministre est un très grand collectionneur –, là encore je ne peux qu’admirer (pour de vrai) la stratégie patrimoniale de notre ministre des Finances puisque ce dernier n’a globalement presque pas un kopeck dans nos banques-qui-vont-si-bien et tout en actifs tangibles de chez tangibles. Alors effectivement, quand il n’y a pas de croissance économique, pour Michel il n’y a rien de bien grave. D’ailleurs, comme disait Chirac, cela « lui en touche une sans faire bouger l’autre »…
Je vous accorde que cette formule chiraquienne est quelque peu triviale mais j’aime bien à l’occasion le langage fleuri de notre ancien président (celui qui savait dire non aux États-Unis).
Croissance nulle au 1er trimestre ? « Pas grave » assure Sapin
Revenons sur l’événement du jour. La croissance économique au premier trimestre a été, selon l’INSEE, de 0 %. En réalité, nous devrions plus parler du taux de non-croissance que de taux de croissance, mais ma femme va encore me dire que je fais du mauvais esprit.
Bref, la croissance a été nulle. Et Michel Sapin sur Europe 1 a eu cette phrase lumineuse, transcendante, cet espèce d’éclair de génie puisqu’il a déclaré « ce n’est pas grave ».
Soyons honnêtes et objectifs. Un taux de croissance trimestriel n’est pas le taux de croissance annuel et l’économie ne fonctionne pas juste comme une extrapolation. En général, la croissance des premiers trimestres est toujours plus faible que celle des autres trimestres de l’année et en ce sens, ce que nous a dit le ministre n’est pas entièrement faux. Donc pas totalement faux mais totalement inaudible.
Inaudible car lorsque le chômage est aussi élevé, on ne peut pas dire que ce n’est pas grave.
Inaudible car lorsque la désespérance économique mène au suicide, on ne peut pas dire que ce n’est pas grave.
Inaudible car lorsque des entreprises ferment par dizaines et que nos petites villes ou villes moyennes sont sinistrées économiquement, on ne peut pas dire que ce n’est pas grave.
Inaudible lorsque le chômage des jeunes dépasse les 22 % et les 48 % oui, vous avez bien lu 48 % pour certaines classes d’âge qui n’arrivent même plus à rentrer sur le marché du travail, inaudible encore et toujours lorsque des millions de nos concitoyens sont à 50 euros près tous les mois, inaudible évidemment lorsque la pauvreté gagne du terrain, inaudible lorsque seuls les Restos du Cœur avec des dons privés alimentent de plus en plus de Français.
Alors Monsieur le Ministre, et je vous le dis avec bienveillance, si techniquement vous n’avez pas forcément tort, vous ne pouvez pas balayer la situation difficile que traverse votre peuple d’un simple « ce n’est pas grave ».
Des propos dignes d’un membre du Politburo à la belle époque soviétique !
Mais notre ami Michel est allé plus loin et ne s’est pas arrêté en si bon chemin.
« Ce n’est pas grave mais cela conforte toute la politique que nous menons aujourd’hui. Ce sont les chiffres du premier trimestre : c’est le moment où le président de la République, il en a eu l’intuition, a dit on doit accélérer, on doit approfondir, parce qu’on doit accélérer la croissance… »
Brejnev aurait pu dire, à propos de la famine en URSS liée à des récoltes épouvantables de blé que :
« Ce n’est pas grave, mais cela conforte toute la politique que nous menons aujourd’hui. Ce sont les chiffres du premier trimestre : c’est le moment où le président du Comité Central de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, il en a eu l’intuition, a dit on doit accélérer, on doit approfondir, parce qu’on doit accélérer la croissance de la production de blé. »
Il s’agit d’un discours technocratique au plus haut point d’une nomenklatura totalement coupée des réalités quotidiennes de son petit peuple tout juste bon à recevoir quelques coups de matraque s’ils dépassent les limites du politiquement correct dans l’expression de leurs revendications.
C’est la faute à la météo !
Enfin, dans tout ce drame, on rigole quand même bien. L’humour c’est très important, surtout quand c’est très grave.
Il y en a comme Delamarche, qui passe toutes les semaines sur BFM TV, qui s’époumonent depuis quelques mois au sujet de la météo américaine assez froide cet hiver et qui a servi pendant les 5 premiers mois de l’année à nous faire gober gentiment les mauvais chiffres économiques américains. C’est pô bon, mais c’est pô grave, c’est la faute au froid…
Et là, lisez cette perle : « Moteur traditionnel de la croissance, la consommation des ménages a nettement marqué le pas (-0,5 %) au premier trimestre, après +0,2 % au dernier trimestre 2013. Une chute de la consommation qui s’explique notamment par la météo : les températures clémentes cet hiver ont limité l’usage du chauffage, et donc les dépenses. L’autre moteur de l’économie française, l’investissement des entreprises, est aussi à l’arrêt : il s’est contracté de 0,5 %. »
Houhouhouhouh j’en rigole encore. Aux USA, ils n’ont pas de croissance parce qu’il fait trop froid et nous, ici, nous n’avons pas de croissance parce qu’il ne fait pas… assez froid ! Avouez tout de même que ce genre de paradoxe c’est tout de même assez cocasse.
D’ailleurs, souvenez-vous l’année dernière, l’augmentation de consommation du gaz parce qu’il avait fait très froid en France (je viens de recevoir mon rappel de charges donc je sais de quoi je parle) avait entraîné mécaniquement une augmentation du PIB de presque 0,5 % ! Cela avait eu un impact énorme. Aux USA, il a fait tellement froid que les Américains ne se sont pas chauffés un poil de plus… Alors de deux choses l’une, soit le froid n’a eu aucun impact ou marginal sur l’économie américaine, soit il a eu un impact et dans ce cas, la facture énergétique des ménages américains aurait dû avoir un effet positif sur le PIB US, ce qui n’a pas été le cas du tout puisque eux aussi sont à zéro… enfin presque, 0,1 % ce qui revient au même.
Si l’on reste dans la logique du bon sens de base, vu qu’il a fait froid et que la consommation de gaz et d’électricité n’a pas eu d’impact à la hausse sur le PIB, on peut en déduire que les Américains ne se sont pas chauffés plus malgré le froid… (ou très peu en plus) donc les Américains sont fauchés. Ils n’ont d’ailleurs pas acheté tellement plus de pulls et de doudounes même made in china… Ils doivent donc vraiment être fauchés !
Enfin François, c’est un canari dans la mine !
Vous connaissez sans doute l’histoire des mineurs qui emportaient avec eux un petit canari. Cet oiseau très fragile avait le don de mourir très vite avant un coup de grisou. Résultat : quand le canari trépassait, les mineurs couraient et la mine s’effondrait quelques minutes après.
Eh bien le père François, notre maréchal président, il est un canari lui aussi. Il suffit qu’il nous parle d’inversion pour que nous ayons une explosion du chômage. Il nous parle du retournement et paf… la croissance se retourne effectivement mais dans le mauvais sens.
On a toujours besoin d’un François. Si demain il vous dit que les banques vont bien, fuyez et achetez vite de l’or. S’il vous dit que l’on va avoir de la croissance hop, préparez-vous à la récession. François c’est un baromètre inversé à lui tout seul. Tenez, repensez au choc de simplification et pof, tout est beaucoup plus compliqué comme vendre son appartement !
François, pour redresser la France, il faut que tu dises que tout va très mal !
Je crois que notre seul espoir réside dans le fait que quelqu’un réussisse à faire dire à notre mamamouchi en chef que tout va très mal et que c’est la fin des haricots. Comme il se produit toujours l’inverse de ce qu’il nous raconte, peut-être qu’enfin, la croissance reviendra. On peut toujours rêver non ?
Préparez-vous et restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »