La Belgique est connue pour
faire des surprises. Elle a par exemple été capable de fonctionner
parfaitement sans gouvernement national pendant plusieurs années, et sans se diviser,
pour le plus grand chagrin de certains. Notons également sa grande variété de
délicieuses bières, que j’ai amplement goûtées au cours des trois années que
j’ai passées dans le pays. Mais aujourd’hui, ce petit pays accumule
soudainement des montagnes de bons du trésor américain.
Au mois de mars, selon des
données publiées par le Département du Trésor
des Etats-Unis, elle a ajouté 40,2 milliards de dollars à ses – déjà
importantes – réserves de bons du trésor, qui s’élèvent maintenant à 381,4
milliards de dollars, ou 79% de son PIB !
Voilà qui place le pays en
troisième position, derrière les deuxième et troisième plus grosses économies
du monde que sont la Chine (1,27 trillion de dollars) et la machine à
imprimer qu’est le Japon (1,20 trillions). Depuis le mois d’août de l’année
dernière, les réserves de bons du trésor américain de la Belgique ont
augmenté de 129% !
Que diable se
passe-t-il ?
Les exportations de bières et
de fromage puant ont-elles explosé ? Il se pourrait qu’elles aient
quelque peu augmenté. Mais leur impact sur les réserves de bons du trésor n’a
pu être que minuscule. La Belgique n’est pas un pays où les évènements se
développent rapidement. Les compromis doivent être négociés dans le respect
des règles de finesse belges. Les gens partent en vacances, et tout s’arrête.
La formidable bureaucratie – qui n’a pas disparu en raison de l’absence de
gouvernement – a dû être épuisée grâce à des efforts surhumains. L’expansion
des réserves de bons du trésor n’a rien à voir avec l’économie.
Voilà qui nous laisse face à
une autre explication : quelqu’un déplace des millions de dollars de
bons du trésor. Les mouvements enregistrés ont été époustouflants. Les
registres des Comptes étrangers officiels ont atteint un record de 3,02
trillions de dollars le 18 décembre, soit une hausse de 150% en six ans. Et
puis ils ont chuté, et le 5 mai dernier, ils ont plongé de 104,5 milliard de
dollars. A l’époque, la situation en Ukraine tournait au fiasco. Les
gouvernements occidentaux ont menacé la Russie de sanctions. Et puis certains
bons du trésor se sont re-matérialisés, pour
disparaître à nouveau. Voici à quoi ressemble cette volatilité :
Nous avons été livrés à nous
même, à patauger dans le brouillard officiel et spéculer quant à cette
montagne de trésoreries. Mais aujourd’hui, Treasury
International Capital (TIC) System a publié les chiffres du mois de mars.
Nous savons maintenant qui a paniqué : la Russie.
Les bons du trésor de la
Russie ont plongé de près de 50 milliards de dollars entre les mois d’octobre
et mars. Un tiers. Plus de la moitié de cette baisse a été enregistrée en
mars (26 milliards de dollars), après que des sanctions aient été appliquées.
Les données relatives au mois d’avril ne seront pas disponibles avant juin.
Etant donné ce qu’il se passe avec les bons du trésor détenus par des entités
étrangères (graphique ci-dessus), les réserves de la Russie ont des chances
d’avoir continué de plonger au mois d’avril. La Russie, par peur de voir ses
bons du trésor gelés, est-elle prête à se débarrasser de l’intégralité de ses
réserves ?
Le président Vladimir Poutine
en a clairement eu assez.
Pourquoi la décision de la
Russie ne fait-elle pas plonger le marché des bons du trésor ? Il
semblerait qu’elle ne s’en débarrasse pas exactement, ou plutôt qu’elle les
déplace hors de la portée du gouvernement des Etats-Unis en les envoyant à
l’étranger. En Belgique.
La Belgique est un centre
financier majeur et un point de transit pour toutes sortes d’actifs,
notamment grâce à Euroclear, qui est une société
basée à Bruxelles. Elle gère 33 trillions d’actifs pour plus de 2.000
déposants locaux et internationaux, courtiers, banques centrales, banques
commerciales, gestionnaires d’investissement et organisations supranationales
dans plus de 90 pays. Chaque année, elle s’occupe de finaliser 780 trillions
de dollars de transactions pour ses clients. Ou 1.177 fois le PIB de la
Belgique.
Déplacer les réserves de bons
du trésor de la Russie n'est pas grand-chose pour Euroclear,
qui ne fait ainsi que devenir le dépositaire de la Russie. Officiellement,
les réserves de la Russie seraient déposées en Belgique. Euroclear
pourrait ensuite les mélanger à d’autres bons du trésor et les transférer
vers la Fed sous son propre nom. Puisque ces réserves appartiendraient
officiellement à la Belgique, elles seraient hors de la portée du
gouvernement américain. Ni le Congrès ni l’Administration, qui menacent sans
relâche d’imposer toujours plus de sanctions, ne peuvent geler ces bons du
trésor.
La spirale de sanctions a
donné lieu il y a plusieurs mois à une bataille entre les Etats-Unis et la
France, qui est désormais terminée : le gouvernement français a décidé
de livrer deux navires de guerre à la Russie malgré les menaces des
Etats-Unis. Lisez ceci : France Thumbs Nose at Obama Over
Sanctions: Will Deliver Two Warships to Russia