Qui gagne la bataille en Ukraine?
Malgré des signaux continus de graves difficultés dans les
provinces orientales de l'Ukraine, beaucoup de commentateurs ont récemment
offert une interprétation résolument optimiste des événements qui s’y
déroulent. Le président américain Barack Obama est l’un de ceux-là, ayant
qualifié la réponse occidentale à la crise ukrainienne comme « un
exemple éloquent de diplomatie multilatérale couronnée de succès ».
Il y a un peu de vrai dans ces interprétations optimistes.
Oui, la Russie a payé le prix de ses actions récentes. Oui, cet État oriental
ne représente plus une menace géopolitique majeure.
Mais ce qui ressort de cette crise est que Vladimir
Poutine serait prêt à faire payer à la société russe un prix important pour
protéger les intérêts de l’État russe.
Revenons sur les cinq cartes que Vladimir Poutine a
empochées au cours des six derniers mois.
#1 : L’OTAN ne s’élargira plus
Tout d'abord, il a mis un coup d’arrêt – et pour longtemps
– à toute idée de nouvelle expansion de l’OTAN.
L’État russe s’est opposé à la marche de l’OTAN vers l’est
depuis le milieu des années 1990 mais n’a jamais été en mesure d’y mettre le
frein. La courte guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie a été la première tentative de Moscou de
tracer une ligne rouge.
Cette fois, la crise ukrainienne démontre que toute
tentative future de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN ou dans l’Union
européenne fera face à une opposition ferme de la part de l’État russe et
conduira probablement au démembrement du pays considéré.
Première carte empochée : l’expansion de l’OTAN est
gelée.
#2 : La Crimée et les ressources de la mer Noire
seront russes
Deuxièmement, Moscou a pris le contrôle de la Crimée.
Cette prise a entraîné certains coûts à court terme (y
compris de légères sanctions économiques), mais elle a cimenté le contrôle
russe sur la base navale de Sébastopol et permettra à la Russie de
revendiquer les réserves de pétrole et de gaz de la mer Noire, estimées à
plusieurs milliards d’euros.
Les États-Unis et l'Europe tenteront de bloquer
l’exploitation de ces réserves par l’État russe mais seront susceptibles de
lever le pied une fois la situation ukrainienne stabilisée. Et concrètement,
si la Russie décide finalement de commencer l'exploitation de ces zones,
peut-on imaginer les États-Unis envoyer la 6ème flotte pour l’arrêter ?
Non.
Deuxième carte empochée : la Crimée et les réserves
énergétiques de la mer Noire.
#3 : L’Ukraine reprend sa place « d’entre-deux »
Troisièmement, Moscou a rappelé aux dirigeants ukrainiens
qu'elle a plusieurs façons de rendre leur vie impossible.
Peu importe leurs propres inclinations, il est dans leur
intérêt de maintenir une relation cordiale avec Moscou. Le nouveau président
ukrainien semble avoir bien reçu le message. Depuis sa prise de fonction, il
a clairement fait savoir qu'il veut approfondir les liens économiques entre
l'Ukraine et l'Europe – ce qui est essentiel pour espérer reformer une économie ukrainienne en situation
alarmante – mais qu’il a également l'intention d'améliorer les relations du
pays avec la Russie.
Troisième carte empochée : l’Ukraine ne choisira plus
un camp aux dépens de l’autre.
#4 : Le front européen de la Russie ne se réarme pas
Quatrièmement, l’appel à « faire revivre »
l'OTAN est un vœu pieux, si ce n’est de la pure fiction.
Certes, l'alliance atlantique a fait déployer quelques avions
de guerre à l'est pour rassurer ses membres baltes et Washington s’est fendu
des déclarations habituelles promettant une aide militaire à la Pologne.
Mais ce qu’il faut retenir de cette crise est que
l’élargissement de l’OTAN n'a jamais été basé sur des calculs d'intérêts et
de capacité : les États-Unis et leurs alliés ont tout simplement supposé que
l'article 5 les engageant à défendre les membres de l'OTAN n'aurait jamais à
être honoré.
Qu’en est-il des discussions européennes sur
l’augmentation des dépenses de défense ? Elles n’empêcheront pas
Vladimir Poutine de dormir. Les membres européens de l'OTAN parlent depuis
des années d’améliorer leurs capacités de défense, mais le niveau des
dépenses réelles a diminué de façon constante.
Quatrième carte empochée : ni l’OTAN ni l’Europe ne
se préparent à combattre.
#5 : L’accord énergétique avec la Chine est
profitable pour l’État russe
La Russie a signé un contrat gazier avec la Chine portant
sur 400 milliards de dollars sur 30 ans. Ne croyez pas ceux qui prétendent
que cet accord est mauvais pour Moscou : le prix que la Chine a accepté
de payer est certes légèrement inférieur à celui que la Russie applique à ses
clients européens, mais il est plus du double du prix payé par la Communauté
des États indépendants et permettra à Gazprom d’engranger un joli profit.
Plus important encore, l'accord renforce les relations
économiques sino-russes et diversifie la clientèle de Gazprom, ce qui lui
permettra de faire pression pour négocier avec d’autres clients.
Dernière carte empochée : l’accord énergétique avec
la Chine assure à Moscou des rentrées financières sur 30 ans.
Conclusion
Les manœuvres de Moscou ressemblent à un échec si vous croyez
que leur but était de recréer l’Union soviétique. En revanche, si vous pensez
que leur objectif était de maintenir l'Ukraine en dehors de la « sphère
d'influence » américaine en Europe, tout démontre que Poutine a géré cette
crise de manière adroite.
Il est temps pour le président russe de jouer l’accalmie
maintenant qu’il a raflé à peu près tout ce qu'il pouvait raisonnablement
empocher.
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