Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Derrière cette question qui semble assez simple se cache en réalité une grande complexité économique.
Petit rappel de la fixation du cours d’une monnaie
Dans un monde normal (ce que nous avons quitté définitivement à partir de la fin 2007) et de changes dits « flottants », ce sont les « marchés » qui fixent la valeur d’une monnaie en fonction de leur analyse des grands paramètres économiques (croissance, dette, taux d’intérêt, etc.), mais l’élément fondamental reste la « demande » que rencontre une monnaie corrélé à sa rareté… En clair, plus une monnaie est désirée par l’ensemble de l’économie et plus la base monétaire existante est faible (quantité de monnaie en circulation) plus cette monnaie aura de valeur et donc plus elle sera « forte ».
Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui c’est qu’il n’y a plus de monnaie fiduciaire de grande qualité accessible à travers le monde et que les banques centrales, par leur interventionnisme exacerbé depuis le début de la crise des subprimes en 2007, ont totalement déstabilisé les modes de fixation des prix des différents actifs par les marchés, qu’il s’agisse des actions, des obligations et bien entendu des monnaies.
Autre chose à avoir en tête lorsque l’on parle de la « valeur » d’une monnaie, c’est que l’on parle là d’un principe dynamique et relatif. Dynamique car cela évolue chaque jour, chaque heure, chaque minute et chaque seconde, et relatif car la valeur d’une monnaie s’exprime en réalité comparativement à la valeur des autres monnaies. L’euro est fort ou faible par rapport au dollar par exemple ou au yen, ou au franc suisse…
Maintenant que nous avons posé les quelques concepts de base, essayons de savoir si l’euro est « trop fort ».
L’euro fort a fait perdre 2,5 % de chiffre d’affaires au CAC 40 en 2013 (étude Ricol Lasteyrie)
Je vous parle de ce sujet aujourd’hui car tout d’abord le sujet de la force de l’euro est un vieux serpent de mer et aujourd’hui, selon une nouvelle étude du cabinet Ricol Lasteyrie Corporate Finance, l’euro fort a fait perdre 2,5 % de chiffre d’affaires à nos entreprises du CAC 40.
Vrai ou faux ? Difficile de répondre à une telle affirmation car cela nécessiterait des pages entières de calculs, d’hypothèses et de raisonnements pour tenter d’avoir une vision un peu plus claire des choses et certainement un article de quelques lignes largement insuffisant.
Si l’euro fort peut pénaliser, il peut également avantager comme toute monnaie forte.
Inconvénients d’une monnaie forte :
Vos produits coûtent plus cher que ceux du voisin à monnaie faible. Par exemple, un Airbus construit en Europe et en euros va coûter 20 % plus cher qu’un Boeing similaire construit aux USA en dollars… Mais Airbus s’adapte et ouvre des usines aux États-Unis en zone dollar pour ne plus être pénalisé par les taux de change…
Les produits qui coûtent plus cher c’est évidemment le point noir théorique d’une monnaie surévaluée et il n’y a pas tellement d’autres inconvenants notables mais ce dernier est largement suffisant pour laminer votre tissu industriel si ce dernier n’est pas en mesure comme Airbus de s’internationaliser à très grande vitesse.
Une perte de compétitivité de ce type va donc entraîner une baisse de vos exportations et comme votre monnaie est forte, « importer » vous coûte moins cher, donc il va y avoir une hausse des importations, le tout va conduire à une dégradation de la balance commerciale et les déficits commerciaux vont accroître… Au bout du compte, cela devrait finir par faire baisser votre monnaie et naturellement les choses devraient se réajuster… Enfin ça, c’est pour la théorie, dans les faits cela ne fonctionne plus ces dernières années (puisque les banques centrales sont toutes hyper-interventionnistes).
Les avantages :
Comme votre monnaie est forte, vos importations notamment en dollar sont moins cher et donc votre énergie (le pétrole importé) sera moins coûteuse, il y aura moins d’inflation dans votre zone monétaire. Enfin, il est également possible de mettre en avant le côté vertueux d’une monnaie forte dans la mesure où elle oblige les entreprises à faire des gains de compétitivité et de qualité afin de continuer à vendre des produits plus cher.
C’est ce que l’Allemagne a réussi à merveille depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et ce sur quoi la France échoue lamentablement depuis aussi longtemps.
Les entreprises allemandes ont su monter en gamme et s’accommoder plus que facilement d’une monnaie forte alors que l’industrie française est restée empêtrée dans des produits de milieu de gamme. Notre industrie moyenne a donc subi de plein fouet un double choc. Celui de la concurrence étrangère et des pays émergents d’une part, avec ses cohortes de délocalisations, et d’autre part évidemment la force de l’euro qui a terminé de ravager le peu de compétitivité qui nous restait.
Le problème n’est pas la force de l’euro mais l’euro lui-même
Alors l’euro est-il trop fort ? La réponse est non si vous êtes Allemand. La réponse est oui si vous êtes Français… Le problème n’est donc pas encore une fois la « force » de l’euro mais le fait que l’euro (aussi belle que soit l’idée) est une monnaie unique pour des économies hétérogènes et que cela ne peut pas fonctionner autrement qu’en avantageant certains et en pénalisant d’autres…
Ce débat est aussi vieux que l’euro lui-même et je peux vous assurer que si tout arrive à se maintenir disons encore deux ans, nous aurons exactement la même conversation dans deux ans…
Cela dit, vu que la situation est loin de s’améliorer et la France étant particulièrement malade, il y a peu de chance que tout cela perdure encore bien longtemps.
François Hollande va devoir rapidement choisir entre la mise en place d’une politique européenne (les nouveaux dirigeants sont tous en train d’être nommés) et qui sera très impopulaire, et quitter la zone euro pour retrouver des marges de manœuvre. Et comme à son habitude, François Hollande tentera une motion de synthèse improbable pour encore gagner du temps et ne rien décider jusqu’au jour où nos partenaires siffleront la fin de partie.
Préparez-vous et restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »