Le billet précédent a montré que la pratique
des prêts à taux fixes peut être très avantageuse
pour les débiteurs. Elle peut, cependant, s’avérer
dangereuse pour les créditeurs et pour les épargnants.
Analysons plus précisément ces dangers pressentis.
À
première vue, cette pratique des banques françaises semblerait
expliquer pourquoi la France a été relativement
épargnée par la crise des prêts immobiliers, qui a
contrario grandement affecté ces dernières années
les États-Unis, la Grande-Bretagne ou encore l’Espagne. Cette confusion s’appuie sur un raisonnement
simple et souvent véhiculé dans les média :
l’augmentation des taux d’intérêt pousse vers le
haut le montant de la traite (pour les débiteurs ayant souscrit des
crédits à taux variable), ce qui rend insolvable certains
emprunteurs et par conséquent les banques auprès desquelles ils
avaient souscrit les crédits en question.
Ce
raisonnement n’est pas erroné mais il ne suffit pas pour
conclure que les prêts à taux fixes permettraient
d’éviter des crises financières. Au contraire, la
généralisation des prêts à taux fixe en France
pourrait avoir des effets au moins aussi néfastes que la crise des subprimes
aux États-Unis (et cela sans même que les débiteurs
deviennent insolvables).
Car les
bénéfices des débiteurs d’une part, et ceux des
créanciers et épargnants d’autre part, ne coïncident
pas nécessairement. Si les taux augmentent, il est intéressant
pour le débiteur d’avoir souscrit des prêts à taux
fixe. Si en revanche le créancier et l’épargnant n’ont
pas prêté à des taux variables, ils subiront des pertes
car leurs fonds seront moins bien rémunérés que ce
qu’ils auraient pu être sinon. Si cette période
coïncide en plus avec une augmentation nominale des prix, alors ils
verront leur pouvoir d’achat diminuer.
Mais la
situation des banques françaises prêtant à des taux fixes
(et extrêmement bas) est bien pire encore. Il en est ainsi car ces
banques ne prêtent pas seulement des fonds propres mais aussi des fonds
qui, pour la plus grande partie, sont achetés sur le marché
interbancaire. Les banques parviennent à réaliser des profits
tout en proposant des taux toujours plus bas car leurs emprunts ont une
maturité inférieure à leurs prêts.
Concrètement,
en France, les taux des prêts immobiliers dépendent dans une
large mesure de l’évolution des Obligations assimilables du
trésor (OAT). Lorsqu’une banque prête sur 20 ans,
elle se finance pour sa part à travers des prêts de 10 ans, 5
ans voir des prêts dont la maturité est encore plus courte.
Cette opération lui permet de prêter à des taux bas mais
l’oblige en même temps à se refinancer en permanence pour
rembourser ses propres emprunts et poursuivre son activité de
crédit. Des mouvements des taux vers le haut pourraient donc affecter
très défavorablement les résultats de la banque et la
mettre en difficulté pour honorer ses propres créances.
Ce risque
n’est certes pas nouveau, et il a déjà été évoqué à plusieurs reprises par l’Autorité
de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou
encore par le Comité de Bâle sur
le contrôle bancaire (Basel Committee on Banking Supervision, BCBS) sans que cela ne change grande chose au mode de
fonctionnement des banques françaises. Toutefois, le problème
se pose en ce moment d’une manière plus aigüe car les taux
sont particulièrement bas depuis l’année dernière.
Donc, si les banques ont pu par le passé ajuster leur bilan à
terme en pariant (jusqu’à aujourd’hui avec succès)
sur une baisse des taux, il est de plus en plus difficile de le faire
actuellement car les taux ne pourront pas diminuer indéfiniment et le
problème du refinancement des prêts accordés depuis
l’année dernière et encore aujourd’hui à des
taux fixes (et bas) se posera tôt ou tard.
Les premiers signes ont d’ailleurs déjà
fait leur apparition pour ceux qui ont noté l’opération
de titrisation effectuée récemment par
le Crédit Foncier. Car devant le risque croissant d’une
remontée des taux, les banques n’ont que deux solutions
majeures : arrêter le robinet des crédits (du moins à
taux fixe) et/ou la titrisation des créances. Il faudrait donc
s’attendre prochainement à la multiplication de ces deux
démarches et observer dans quelle mesure elles seront efficaces.
Les taux fixes ne
représentent donc pas une panacée contre une crise financière
et peuvent même au contraire contribuer à la déclencher. Mais ce qu’il est en fin de compte
fondamental de retenir, c’est que ce n’est pas le type de taux
(fixe ou variable) qui pose problème mais le fait qu’ils soient
maintenus (par les décisions de politique monétaire de la BCE)
artificiellement bas. Ce sont, en effet, ces taux bas qui rendent solvables
des emprunteurs qui ne l’auraient pas sinon été. Cela les
encourage à entreprendre des actions plus risquées et des
projets moins faisables que dans d’autres circonstances.
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