Joie, bonheur et sourires rayonnants : à quelques semaines de la rentrée, les premiers avis d’imposition sur les revenus 2013 arrivent dans les boîtes à lettres. Et immédiatement, le contribuable, à peine rentré de vacances, dépiaute fébrilement son courrier pour vérifier si, lui aussi, fait partie de ces heureux assujettis dont les impôts, fort modestes puisqu’on est en France, pays du lait et du miel, vont encore baisser.
Car oui, c’est une certitude : pour certains d’entre eux, les impôts vont baisser. Bercy s’est d’ailleurs fendu d’un communiqué de presse ces jours derniers pour bien s’assurer que tout le monde était au courant de cette information capitale : grâce aux effets sensibles et bénéfiques de tous les efforts entrepris par le gouvernement, la France va mieux et une partie des ménages, ceux à revenus modestes, verront leur feuille d’impôt s’alléger. Et en plus, il n’y aura pas besoin de remplir un cerfa complexe en triplicata, puisque ce sera automatique. C’est Bercy qui le dit.
Et pour les autres contribuables (les pas modestes, les pas pauvres, les pas non-imposables), toute augmentation du chiffre n’est en réalité qu’un sentiment de hausse ; tout le monde sait que les sentiments sont trompeurs, mais rassurez-vous, il n’y aura pas de hausse d’impôts. Michel Sapin, le Rameur des Finances, a clairement décrit la position officielle du gouvernement, entre deux ahanements poussés sur des avirons trop lourds : malgré la faible croissance (nulle), il n’y aura pas de hausse (trop forte).
Cependant, notez bien qu’il n’y aura pas non plus de remboursement de l’argent prélevé en trop suite aux énormes économies consenties par le gouvernement, qui s’acharne (et le fait savoir bruyamment) pour descendre la facture de 50 miyards sur les 3, 4 ou 5 prochaines années, si si, juré craché. Il ne faut pas rêver non plus. Et tous ceux qui recevant des e-mails douteux, se sont bêtement imaginés que les impôts pouvaient vraiment rembourser des choses, devront se faire une raison et seront probablement déçus du résultat. Du reste, de ces e-mails de phishing ou des dernières déclarations de Valls et Sapin clamant qu’ils allaient faire des économies, je ne sais pas encore clairement où se situe la plus grosse fraude.
Il faut dire qu’en matière d’austérité, la crédibilité générale des gouvernements qui se sont succédé ces derniers temps en France laisse franchement à désirer. Oh, oui, bien sûr, si « austérité » signifie « pluie drue de taxes et d’impôts », alors oui, on y est, en plein dedans. Si, en revanche et comme on l’admet plus facilement, « austérité » signifie que l’État et son administration se mettent à la diète et font des efforts pour adapter leurs dépenses avec les rentrées fiscales, alors non, décidément, l’austérité n’est toujours pas là. L’administration française est même toujours dans le peloton de tête des plus dépensières.
Cette constatation, faite et refaite par chacun des Français et notamment par ceux qui paient, continuellement, des impôts, incite peut-être ces derniers à se poser une question, aussi pertinente qu’agaçante : à quoi bon ?
À quoi bon payer tous ces impôts puisque, quoi qu’il arrive, les dépenses publiques ne seront pas maîtrisées ? À quoi bon, puisque les services rendus en contrepartie sont de plus en plus médiocres, voire carrément mauvais ? À quoi bon alors que le futur qui se dessine en France semble de plus en plus sombre ? À quoi bon, alors que la dette ne sera pas remboursée ?
Pas étonnant, dès lors, de constater que les réticences s’accumulent du côté des payeurs, qui multiplient assidûment les demandes de délais ou les remises gracieuses. Le plus inquiétant ici reste qu’à côté de ceux qui, faisant œuvre utile de résistance active contre l’État en demandant, systématiquement, des réductions et des délais, que ce soit justifié ou non, on trouve un nombre croissant de Français qui n’ont même pas le luxe de faire ces demandes pour le plaisir de ralentir l’énorme machine bureaucratique, mais bien parce que leurs finances ne leur permettent plus de nourrir la bête.
Ainsi, les relances pour les demandes de paiement d’impôts sont passées de 4.51 millions en 2011 à 10 millions en 2013 ; les demandes de réductions gracieuses sont, elles, passées d’un million à 1.28 million sur la même période. Peut-être cette augmentation s’explique-t-elle en partie par la multiplication d’articles de presse expliquant en détail comment procéder pour, justement, demander réduction ou étalement de ces impôts, ou, plus simplement, peut-être — hypothèse moins rose encore mais pas moins crédible — les contribuables se sont-ils appauvris ? Du reste, ce qui est vrai pour les particuliers l’est aussi pour les entreprises qui, elles aussi, accumulent les délais de paiement des cotisations sociales…
En tout cas, si, après les savants calculs de Bercy, quelques ménages nouvellement imposables échapperont bien cette année à toute augmentation d’impôts, voire n’auront pas à payer cette fois-ci, la fiscalisation de la part employeur des complémentaires santé devrait en revanche rendre imposable quelque 252.000 foyers supplémentaires, tandis que la fiscalisation des heures supplémentaires, appliquée pour la première fois sur une année entière, fera entrer dans l’impôt près de 200.000 ménages de plus.
Oui, vous avez bien lu. Alors qu’on fanfaronne à Bercy sur les contribuables qui vont échapper à la saignée annuelle, les mêmes politiciens s’empressent d’oublier les autres contribuables, bien plus nombreux, qui vont s’en cogner une nouvelle tranche. Youpi ! L’impôt s’étend donc à de nouvelles couches qui, elles aussi, vont devoir manifester leur « consentement à l’impôt », cette petite partie douce-amer du vivre-ensemble français qui permet à la société de continuer à fonctionner avec le brio que le monde entier nous envie.
La distribution des avis d’imposition continuera encore quelques jours. Des centaines de milliers d’aoûtiens, rentrant de vacances, découvriront qu’ils sont, au contraire de ce que les discours lénifiants de la caste politique actuellement au pouvoir avaient laissé entendre, de nouveaux assujettis au tonneau des Danaïdes de l’État français. Il sera intéressant de regarder comment ces populations nouvellement fiscalisées réagiront alors. Et parallèlement, il sera aussi fort éclairant de regarder, dans quelques mois, les performances de la collecte fiscale.
Entre le consentement à l’impôt et l’effet Laffer, m’est avis qu’on n’a pas fini d’entendre parler des problèmes budgétaires français.
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