Les rangements sont toujours surprenants. Outre le fait qu’ils
permettent d’ordonner les choses et de se débarrasser de celles
devenues inutiles, ils sont aussi bien souvent l’occasion de redécouvertes.
C’est ce qui m’est arrivé il y a quelques jours en
mettant la main sur un rapport du groupe d’amitié France –
Nouvelle-Zélande du Sénat. Daté de juin 1998, il
s’intitule « La Nouvelle-Zélande : le
libéralisme en action ».
Composée de cinq sénateurs, issus des groupes centristes
et de droite, la délégation s’est rendue aux antipodes,
du 18 février au 2 mars 1998, dans le but
« d’analyser les racines politiques, les modalités de
mise en œuvre et le bilan de ce libéralisme sans
concession ». En effet, « au cours des quatorze
dernières années, la Nouvelle-Zélande est passée
d’une des économies les plus protégées et les plus
réglementées des pays membres de l’OCDE à une des
économies les plus ouvertes et les plus compétitives. La
rapidité et l’ampleur de cette marche vers le libéralisme
économique confère aujourd’hui un caractère assez
unique à l’expérience
néo-zélandaise ».
Les sénateurs nous rappellent qu’au début des
années 80, « la Nouvelle-Zélande était
habituellement considérée comme le pays développé
qui avait le plus fort degré de protectionnisme tarifaire et
d’intervention de l’État dans son
économie ». Quant au FMI, il estimait que la politique
économique néo-zélandaise « était la
plus dirigiste des pays développés et s’apparentait par certains
aspects à celles menées, à la même époque,
dans les économies planifiées d’Europe de
l’Est ». Le rapport sénatorial indique même que
certains qualifiaient le pays « d’Albanie du
Pacifique ».
L’État-providence instauré par les travaillistes
en 1935 a été maintenu, voire renforcé, par le parti
national (conservateur). C’est ainsi que la Nouvelle-Zélande
connaissait le contrôle des prix et des salaires, qu’elle
assurait une retraite indexée à partir de 60 ans, qu’elle
offrait les frais médicaux et une garantie de ressources à
toute personne victime d’un accident, que ses entreprises publiques
sévissaient dans la banque, les assurances, les
télécommunications…, mais aussi l’hôtellerie,
l’édition ou l’exploitation forestière, etc.
Ajoutons qu’en trente ans, la Nouvelle-Zélande avait
reculé de la 3ème à la 13ème
place mondiale en termes de niveau de vie. Bref, comme le disent nombre
d’interlocuteurs des sénateurs français :
« Nous n’avions pas le choix, nous marchions à
l’abîme », « Nous avons eu peur du
gouffre », « On distinguait le fond du
précipice, il fallait réagir ».
Les sauveurs seront des travaillistes (c’est-à-dire des
socialistes) – David Lange, premier ministre, et Roger Douglas,
ministre des finances – qui prennent leurs fonctions le 14 juillet 1984,
après avoir remporté les élections législatives.
Tout de suite, « des réformes
drastiques » sont « menées au pas de
charge ». Ce sont les « Rogernomics » qui débutent par une dévaluation de
20 % du dollar néo-zélandais et se poursuivent par :
-
la disparition du contrôle des taux
d’intérêt, des prix et des salaires,
-
la suppression des obligations de réserve
pour les banques,
-
l’instauration de la liberté des
mouvements de capitaux, des échanges boursiers et
d’établissement des banques,
-
la renonciation aux parités fixes de
change et le flottement du dollar néo-zélandais,
-
la suppression des aides à
l’exportation et du système des licences d’importation,
-
la réduction des tarifs douaniers,
-
la mise en place d’une taxe
générale sur les biens et services (la GST, Goods and Services Taxe), au taux uniforme de 10 %, se substituant
à l’ensemble des taxes indirectes à taux et assiettes
différents qui existaient précédemment,
-
la division par 2 (de 66 % à 33 %) du taux
marginal de l’impôt sur le revenu,
-
la baisse de l’impôt sur les
sociétés, dont les modalités de recouvrement sont
standardisées,
-
la suppression de la plupart des subventions
à l’agriculture.
Ce dernier point est des plus importants. Les subventions agricoles
représentaient, disent les sénateurs français,
« de l’ordre de 40 % des recettes brutes des
exploitants, c’est-à-dire l’équivalent de leur
revenu net pour beaucoup d’entre eux ». En 1985, elles
avaient déjà diminué des 2/3 ; en 1987, elles
équivalaient à 1/6 du montant initial ; en 1989, elles
avaient complètement disparu. Cela ne se fit pas sans douleur :
le cheptel ovin perdit 20 millions de têtes en une dizaine
d’années et le chômage, quasi-inexistant dans les
campagnes, monta rapidement à 10 %.
Mais les agriculteurs firent le gros dos. Il y eut peu de
manifestations, et 1 % seulement des exploitations disparurent. En 1998,
selon le rapport, aucun agriculteur « Kiwi » ne voulait
« revenir à l’ancien système ».
Surtout, cette réforme en entraîna d’autres. Les
fermiers et les industriels, moins protégés et donc davantage
confrontés à la concurrence internationale, exigèrent
une réduction des dépenses publiques pour être
compétitifs.
Le gouvernement travailliste opéra alors de profondes
réformes dans les entreprises publiques : ouverture à la
concurrence dans les secteurs industriel et commercial ; transformation
en société commerciale de droit commun ; privatisation
partielle ou totale.
Il s’attaqua ensuite au domaine régalien de l’État.
Les ministères adoptèrent « une comptabilité
proche de celle du secteur privé avec un compte de résultat et
l’obligation d’opérer des provisions pour
risque ».
Par ailleurs, nombre de services furent transférés
à des « agences », administrativement
indépendantes, « dotées de ressources et d’une
comptabilité propre mais liées par contrat à leur
administration de tutelle. Ainsi, le service national de l’immigration
est une unité organisée comme une entreprise au sein du
ministère du travail ». Leurs dirigeants sont
recrutés en contrat à durée déterminée.
D’ailleurs, tous les cadres administratifs supérieurs, y compris
dans les ministères, « sont recrutés par petites
annonces nationales ou internationales ».
Et l’on sent la délégation sénatoriale surprise
par le fait que le directeur-adjoint du Trésor qu’elle a
rencontré soit d’origine japonaise, ait fait ses études
aux États-Unis et soit venu s’installer en Nouvelle-Zélande
« à la suite de l’obtention de son
poste ».
En même temps, le périmètre de l’administration
rétrécissait. En effet, les activités n’ayant plus
lieu d’être sont supprimées (tutelle des entreprises
publiques ou délivrance des licences d’importation), et
d’autres (études par exemple) confiées à des
experts indépendants.
Malgré tout cela, le déficit budgétaire n’était
toujours pas résorbé en 1990, et la dette publique avait
été multipliée par 1,5 depuis 1984. Les travaillistes
perdirent alors les élections au profit du parti national.
À
suivre.
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